Étude de 2021 concernant l’incidence économique de la diffusion de musique en continu sur l’industrie de la musique au Canada

Préparée pour Patrimoine canadien
2 juin 2021
Wall Communications Inc.

REMARQUE : Les opinions exprimées dans le présent document sont uniquement celles de Wall Communications Inc. et ne représentent pas nécessairement celles de Patrimoine canadien ou de toute autre personne ou organisation.

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Liste des figures

Liste des tableaux

Liste des acronymes et abréviations

ACDRM
Agence canadienne des droits de reproduction musicaux
ACTRA
Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists
APEM
Association des professionnels de l’édition musicale
AV
Audiovisuel
BMG
Bertelsmann Music Group
CISAC
Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs
DE
Droits d’exécution
DR
Droits de reproduction
EMC
Éditeurs de musique au Canada
FIIP
Fédération internationale de l’industrie phonographique
IA
Intelligence artificielle
IMPF
International Music Publishers Federation
MROC
Musicians Rights Organization of Canada
OGC
Organismes de gestion collective
PAPE
Premiers appels publics à l’épargne
PI
Propriété intellectuelle
RACS
Recording Artists’ Collecting Society
SOCAN
Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique
UMG
Universal Music Group

Résumé

La présente étude porte sur l’incidence des services de diffusion de musique en continu sur les créateurs de musique du Canada. Cette question a déjà été examinée dans une étude réalisée il y a deux ans par Wall Communications Inc.Note de bas de page 1 L’étude de 2021 conserve essentiellement le même mandat, mais vise une autre période. Au cours des deux dernières années, l’industrie a été marquée par un certain nombre de changements pertinents qui permettent de mieux comprendre l’incidence de la diffusion en continu.

Nous analysons plusieurs enjeuxNote de bas de page 2 dans le cadre de la présente étude, mais les questions fondamentales auxquelles cette dernière a pour but de répondre commencent par des interrogations simples : À combien s’élèvent les revenus générés par l’industrie canadienne de la musique enregistrée? Combien rapporte la diffusion en continu? À qui ces revenus sont-ils distribués?

Les quatre catégories de titulaires de droits à l’étude

Afin d’examiner le statut des quatre catégories de titulaires de droits, soit les auteurs-compositeurs, les éditeurs, les interprètes et les maisons de disques (producteurs), expliquons d’abord le rôle de chacune d’elles dans la « création de musique ». En bref, les auteurs-compositeurs écrivent les paroles, composent la musique, ou les deux. Les éditeurs peuvent être considérés comme les partenaires commerciaux des auteurs-compositeurs, dans la mesure où ils cherchent des possibilités de monétiser les chansons qu’ils représentent. Les interprètes (aussi appelés artistes) exécutent des chansons dans le cadre d’un enregistrement sonore. En règle générale, les maisons de disques (aussi appelées producteurs) financent les enregistrements sonores et détiennent les droits sur l’enregistrement maître, en plus de remplir d’autres fonctions.

Les auteurs-compositeurs sont titulaires des droits d’auteur de leurs compositions et ont droit à un paiement lors de l’exécution publique d’une de leurs chansons et de la reproduction de celles qui ont été enregistrées. Les éditeurs ont normalement un statut similaire, puisqu’ils obtiennent une part du paiement des redevances de droits d’auteur-compositeur ou un pourcentage des redevances de droits en contrepartie de l’administration de l’utilisation des œuvres musicales. Les interprètes (vedettes et d’accompagnement) bénéficient de droits « voisins » sur leurs prestations qui sont enregistrées. Les droits voisins sont aussi reconnus lors de l’exécution publique d’un enregistrement sonore. La Loi sur le droit d’auteur du Canada définit ces paiements de redevances comme une « rémunération équitable »Note de bas de page 3. Il existe également un droit de reproduction en vertu duquel certains types d’exécution publique d’un enregistrement sonore doivent être autorisés. Les maisons de disques ont leurs propres droits « voisins » sur l’exécution publique d’un enregistrement sonore ainsi qu’un droit de reproduction leur permettant d’autoriser une exécution publique.

Nous évaluons les revenus de chacune des catégories de titulaires de droits ainsi que leur répartition au sein de l’industrie canadienne de la musique enregistrée, et nous évaluons ensuite la part qui est versée à chaque catégorie par les services de diffusion de musique en continu, principalement les services par abonnementNote de bas de page 4.

Revenus de l’ensemble de l’industrie selon la catégorie de titulaires de droits

En ce qui concerne la répartition des revenus dans l’ensemble de l’industrie canadienne de la musique enregistrée, nous constatons que les maisons de disques récoltent plus de la moitié des revenus totaux de l’industrie, tandis que les auteurs, les éditeurs et les interprètes en obtiennent entre 13 % et 20 %.

Figure 1 : Revenus de l’industrie canadienne de l’enregistrement sonore selon la catégorie de titulaires de droits, 2019

Wall Communications Inc., 2021.

Figure 1 : Revenus de l’industrie canadienne de l’enregistrement sonore selon la catégorie de titulaires de droits, 2019 – version texte
Titulaires de droits Revenus Pourcentage
Auteurs-compositeurs 187,4 M$ 20 %
Éditeurs 143,0 M$ 15 %
Interprètes 125,0 M$ 13 %
Maisons de disques 482,5 M$ 52 %

Revenus tirés du marché de la diffusion en continu selon la catégorie de titulaires de droits

La diffusion en continu est désormais le mode de consommation de musique le plus répandu au Canada et à l’étranger. La Fédération internationale de l’industrie phonographique (FIIP) a déclaré que la diffusion en continu au Canada a généré (pour les maisons de disques) des revenus de 129,0 M$ US en 2016 (ou 35 % des revenus totaux), mais que ceux-ci ont augmenté en 2020 pour passer à 359,0 M$ US (ou à 74 % des revenus totaux).

Figure 2 : Revenus de l’industrie de la musique enregistrée selon le format (rapport de la FIIP sur le marché mondial de la musique : Canada) de 2016 à 2020 ($ US)

Rapport de 2021 de la FIIP sur le marché mondial de la musique (Canada) et Wall Communications Inc., 2021.

Figure 2 : Revenus de l’industrie de la musique enregistrée selon le format (rapport de la FIIP sur le marché mondial de la musique : Canada) de 2016 à 2020 ($ US) – version texte
Année Diffusion en continu Autre Total
2016 129 200 000 241 900 000 371 M$
2017 194 000 000 230 500 000 425 M$
2018 255 900 000 170 600 000 427 M$
2019 304 800 000 142 000 000 447 M$
2020 359 000 000 124 000 000 483 M$

En ce qui a trait aux revenus tirés des services de diffusion de musique en continu, le pourcentage de revenus des maisons de disques est nettement plus élevé, passant de 52 % (des revenus totaux de l’industrie de la musique enregistrée) à 69 % des revenus de la diffusion en continu en 2019. Les auteurs-compositeurs et les éditeurs n’ont touché respectivement que 6 % et 8 % des revenus totaux, alors que la part des interprètes s’élève à 17 %.

Figure 3 : Revenus tirés de la diffusion en continu au Canada selon la catégorie de titulaires de droits, 2019

Wall Communications Inc., 2021.

Figure 3 : Revenus tirés de la diffusion en continu au Canada selon la catégorie de titulaires de droits, 2019 – version texte
Titulaires de droits Revenus Pourcentage
Auteurs-compositeurs 30,0 M$ 6 %
Éditeurs 41,0 M$ 8 %
Interprètes 85,7 M$ 17 %
Maisons de disques 342,7 M$ 69 %

Comparaison entre les grandes maisons de disques et les maisons de disques indépendantes

Les grandes maisons de disques (Sony, Universal Music Group et Warner) dominent l’industrie de la musique enregistrée à l’échelle mondiale et nationale. Cette domination s’étend également au secteur de la diffusion en continu, dans lequel elles détiennent environ 72 % du marché canadien. Les grandes maisons de disques représentent pratiquement tous les interprètes canadiens les plus populaires (p. ex., The Weeknd, Justin Bieber, Shawn Mendes et Drake). Les autres maisons de disques importantes (p. ex., BMG, Kobalt/AWAL et d’autres étiquettes indépendantes étrangères) se partagent la majeure partie des revenus restants issus de la diffusion en continu au Canada.

Parmi les 50 chansons les plus diffusées en continu au Canada (d’artistes canadiens et étrangers) en 2020, il n’y avait aucun interprète vedette représenté par une étiquette indépendante (canadienne ou internationale). Tous les interprètes de ces chansons étaient représentés par une grande maison de disques. Selon nous, il s’agit d’une indication du rôle prépondérant que jouent les grandes maisons de disques sur le marché canadien.

Les artistes canadiens

Pour ce qui est de la part des artistes canadiens dans les diffusions, les chansons d’interprètes canadiens qui comptaient parmi les 50 chansons les plus diffusées en continu au Canada en 2020 (interprètes canadiens et étrangers) ont recueilli 372,9 millions de diffusions (ou 15,4 %) sur un total de 2,42 milliards de diffusions. Près de 90 % des 372,9 millions de diffusions étaient des chansons de The Weeknd, de Justin Bieber, de Shawn Mendes et de Drake. Aucune chanson d’un interprète représenté par une maison de disques indépendante canadienne ne figurait sur cette liste.

Du total de 1,15 milliard de diffusions des 50 chansons d’interprètes canadiens les plus diffusées en continu, 700 millions de diffusions (plus de 60 %) ont été cumulées par quatre artistes seulement, soit Drake, The Weeknd, Justin Bieber et Shawn Mendes. Compte tenu du fait que seul un petit nombre d’artistes canadiens connaissent un énorme succès sur le marché de la diffusion en continu, les revenus des autres artistes canadiens (p. ex., les artistes indépendants, mais aussi les artistes moins populaires des grandes maisons de disques) sont inférieurs, et de beaucoup, aux leurs. Ainsi, le marché de la diffusion en continu est en grande partie monopolisé par des interprètes étrangers et par quelques interprètes canadiens extrêmement populaires.

Le marché francophone québécois

Le marché canadien de la musique francophone (qui est principalement situé au Québec) se distingue du reste du marché canadien à plusieurs égardsNote de bas de page 5. Étant donné que la langue des produits culturels a créé un obstacle partiel avec le reste du Canada (et avec la majeure partie des États-Unis et des autres pays), les créateurs de musique francophone du Québec ont évolué dans un écosystème musical distinct au sein duquel ils ont pu se développer et obtenir un succès relatif, car dans tous les secteurs de l’industrie, il était à la fois possible et viable de faire carrière.

Le milieu très soudé de la musique francophone québécoise a connu récemment des changements importants, notamment le départ de distributeurs établis, l’arrivée de nouveaux distributeurs multinationaux (dont une grande maison de disques) et la présence accrue de Québecor dans plusieurs secteurs de l’industrie québécoise de la musique.

De plus, la consommation accrue de musique sur les services de diffusion en continu au détriment de la radio terrestre (en particulier) a eu pour effet de diminuer les redevances versées par les médias de radiodiffusion traditionnels, de faire baisser de façon relative les revenus tirés de la diffusion en continu, de réduire la visibilité sur le marché et de faire fléchir les ventes physiquesNote de bas de page 6. Il est également plus difficile de découvrir des artistes provinciaux dans le contexte de la diffusion en continu.

L’écosystème qui a si bien servi les créateurs de musique francophone du Québec à l’époque des médias traditionnels n’est plus en mesure de jouer le même rôle à l’ère de la diffusion en continu.

L’impact de la COVID-19

L’impact de la COVID-19 sur l’industrie canadienne de la musique et sur l’industrie à l’extérieur du Canada a été bien documenté dans plusieurs études récentesNote de bas de page 7. Plutôt que de répéter les recherches effectuées dans le cadre de ces études, nous présentons certaines de leurs principales conclusions ainsi que nos propres observations au sujet de la corrélation entre la croissance de la diffusion en continu et la pandémie de COVID-19.

L’impact semble être plus marqué chez les artistes qui n’ont pas encore développé un large auditoire pour leur musique (c.-à-d. les artistes qui ne sont pas représentés par une grande maison de disques).

L’un des principaux impacts de la COVID-19 est la perte des revenus provenant des spectacles locaux, des tournées et des festivals pour la plupart des musiciensNote de bas de page 8. Les interprètes tirent environ 75 % de leurs revenus de représentations en direct et de tournées (comparativement à moins d’un tiers dans les années 1990)Note de bas de page 9. Les tournées sont essentielles à la découverte de la musique, mais elles n’ont plus pour avantage de contribuer aux ventes de produits physiques et aux revenus issus des services numériques. Les redevances versées en contrepartie de la diffusion d’enregistrements sonores dans les restaurants, les gymnases, les bars et d’autres lieux de rassemblement ont également diminuéNote de bas de page 10. Les revenus des musiciens qui créent des bandes sonores pour la télévision, le cinéma et la publicité chutent au fur et à mesure que les entreprises réduisent leurs activités. Les plateformes qui ne diffusent pas de musique en continu (p. ex., la radio) ont aussi été touchées, ce qui aura pour effet de réduire les paiements de redevancesNote de bas de page 11.

Services de diffusion en continu et paiements

Les services de diffusion numérique de musique en continu sont extrêmement nombreux et ne cessent de se multiplier. Les possibilités pour les consommateurs d’accéder à de la musique diffusée en continu sont donc tout aussi vastes et grandissantes. Il en va de même pour les possibilités de licence découlant des nouveaux types de services de médias sociaux qui incorporent de la musique enregistrée.

Nous constatons que les revenus estimatifs des titulaires de droits pour un million de diffusions varient selon le fournisseur de service de diffusion en continu, mais qu’ils semblent se situer en moyenne entre 4 000 $ et 5 000 $. En règle générale, les paiements versés pour un million de diffusions sont répartis entre plusieurs titulaires de droits. Nous remarquons également que la majorité des artistes canadiens n’atteignent pas un million de diffusions par année sur les services de diffusion en continu.

Tableau 1 : Revenus estimatifs (d’un artiste amateur) provenant de divers services de diffusion en continu (un million de diffusions)
Service de diffusion en continu Diffusions en continu Revenus ($ US)
Spotify 1 million 4 000 $
Apple 1 million 5 000 $
Tidal 1 million 12 000 $
Deezer 1 million 4 700 $
Amazon 1 million 5 000 $
Pandora 1 million 1 400 $
YouTube 1 million 1 750 $
SoundCloud 1 million 1 300 $

Sources : Music Gateway et Wall Communications Inc., 2021.

Spotify a déclaré en 2020 qu’environ 551 000 chansons avaient cumulé un million de diffusions en continu (au cours de la durée de vie du service) et qu’elles auraient chacune rapporté des revenus de près de 4 000 $ USNote de bas de page 12. En 2020, 13 400 artistes ont généré des redevances de 50 000 $ US ou plusNote de bas de page 13. Cette même année, seulement 7 800 artistes ont généré 100 000 $ US ou plus; 1 820 artistes ont généré 500 000 $ US ou plus, et 870 artistes, 1 M$ US ou plus.

Bien que les artistes les plus populaires jouissent d’un succès considérable, les revenus des artistes des échelons inférieurs chutent abruptement. Sur les sept millions d’artistes environ qui figurent sur SpotifyNote de bas de page 14, seulement 0,11 % ont généré des revenus de 100 000 $ US ou plus en 2020, et ce, sans tenir compte de la répartition de ces revenus entre les titulaires de droits (p. ex., les membres d’un groupe et les coauteurs).

Bouleversements technologiques et changements dans l’industrie

La technologie a joué un rôle majeur dans l’avènement de la diffusion en continu. Au nombre des progrès technologiques qui ont rendu possible la diffusion en continu figurent la numérisation du contenu, la transmission numérique, l’ubiquité d’Internet et la prise de décisions algorithmique. La technologie a aussi donné lieu à plusieurs changements fondamentaux dans la structure de l’industrie.

Si la prolifération des services de diffusion en continu (services spécialisés en musique ou services qui incorporent de la musique) a multiplié les débouchés pour les créateurs dans une large mesure, la technologie a aussi permis à de nouveaux acteurs de faire leur entrée dans chacun des segments de la chaîne d’approvisionnement de l’industrie de la musique. Les auteurs-compositeurs et les interprètes peuvent désormais créer (c.-à-d. composer, enregistrer et produire) de la musique sans quitter leur domicile. Il n’est plus nécessaire d’utiliser un studio de haute technicité ou de faire appel à un arrangeur ou à un producteur, voire à des musiciens de séance professionnels.

Tous les aspects du processus d’enregistrement, tels que l’ingénierie, le mixage et la mastérisation, peuvent aujourd’hui être gérés à l’aide d’un logiciel personnel de numérisation audio du poste de travail ou par une tierce partie en ligne. Les créateurs peuvent maintenant exécuter eux-mêmes toutes les étapes de la production d’un enregistrement maître ou faire appel à des tiers pour accomplir certaines fonctions, sans que la participation d’une maison de disques soit requise.

À chaque étape de la chaîne d’approvisionnement de l’industrie de la musique, la technologie a permis à un nombre croissant d’acteurs tiers d’assumer pratiquement toutes les fonctions qui relevaient autrefois de la compétence des maisons de disques. En outre, la distinction entre les rôles joués par chaque partie est également en train de s’estomper en raison de l’expansion verticale des entreprises, qui se lancent dans des secteurs connexes de l’industrie.

Dans l’industrie, la structure de « tiers » issue des nouvelles technologies a favorisé une hausse appréciable du nombre d’artistes amateurs. Parallèlement, le nombre de chansons (et des enregistrements afférents) créées chaque année a aussi augmenté de façon astronomique. Selon les estimations, le nombre de chansons téléversées chaque jour sur les plateformes de diffusion en continu varie de 40 000 à 60 000Note de bas de page 15.

L’élimination des obstacles technologiques et infrastructurels, qui constituaient autrefois de très grands défis pour les créateurs de musique, a permis à ces derniers de produire de la musique de meilleure qualité à moindre coût et de la distribuer plus facilement aux consommateurs. À priori, ces changements auraient dû avoir pour effet d’améliorer le sort de tous les créateurs de musique. Cependant, jusqu’à présent, ce sont surtout les grandes maisons de disques qui en tirent le plus de profits, comparativement aux autres titulaires de droits.

Les maisons de disques (particulièrement les grandes et les autres maisons de disques importantes) ont été en mesure de faire des gains relatifs, contrairement aux autres titulaires de droits. Le simple fait que les maisons de disques soient propriétaires des enregistrements maîtres fournit à celles-ci un avantage décisif dans les négociations. Dans sa forme la plus rudimentaire, une chanson est un ensemble de paroles et/ou de notes de musique. Néanmoins, tant que la chanson n’est pas « figée » ou matérialisée dans un enregistrement sonore, il est difficile de la monétiser. Cette capacité de monétisation confère au propriétaire de l’enregistrement un grand pouvoir de négociation sur les conditions d’utilisation de la chanson (y compris les paiements connexes).

Les auteurs-compositeurs et les éditeurs (ainsi que les interprètes dans une certaine mesure) dépendent du propriétaire de l’enregistrement sonore pour faire progresser leurs intérêts, puisque l’enregistrement sonore est le principal moyen par lequel les titulaires de droits monétisent leurs droits. Si certaines redevances sont versées pour des utilisations autres que celles de musique enregistrée (p. ex., une représentation en direct), la grande majorité des redevances proviennent de l’utilisation d’enregistrements sonores.

Les créateurs de musique se sont fait « évincer » de la classe moyenne. Le comité parlementaire chargé de l’examen de la Loi sur le droit d’auteur a récemment souligné la « réalité difficile » de la classe moyenne artistique en déclin, y compris la baisse significative des revenus depuis les années 1990 et l’augmentation du nombre d’artistes vivant sous le seuil de la pauvreté. Même si un nombre relativement restreint d’artistes au sommet connaissent un succès notable, la plupart des artistes ont été durement touchés. Plus particulièrement, les artistes indépendants et amateurs titulaires de droits sont désavantagés par la diffusion en continu, qui en est venue à dominer le paysage de la consommation de la musique.

Toutefois, certains signes indiquent que ce paysage, et potentiellement le sort des créateurs de la classe moyenne, est en train de changer.

Entre 2017 et 2020, le pourcentage de diffusions en continu sur Spotify de chansons représentées par les grandes maisons de disques a diminué, passant de 87 % à 78 %Note de bas de page 16. Merlin, l’association des artistes, des maisons de disques et des distributeurs indépendants, a rapporté que ses membres comptent maintenant pour plus de 15 % du marché mondial de la musique numériqueNote de bas de page 17. Des 40 000 à 60 000 titres téléversés sur Spotify chaque jour, le volume de musique téléversée par des artistes amateurs était huit fois supérieur au volume distribué par les trois grandes maisons de disques. En 2019, les revenus des artistes amateurs se sont élevés à environ 960 M$ à l’échelle mondiale, puis se sont accrus d’environ 27 % en 2020, pour atteindre 1,22 G$Note de bas de page 18.

Même si l’avenir reste imprévisible et que, jusqu’à maintenant, seuls les créateurs de musique les plus renommés ont considérablement prospéré grâce à la diffusion en continu, certains signes positifs montrent que les artistes indépendants ainsi que les auteurs et les interprètes des classes inférieure et moyenne pourraient connaître des jours meilleurs.

Évolution de la structure de propriété au sein de l’industrie

Bien que les grandes maisons de disques occupent toujours une place dominante en 2021, plusieurs facteurs (p. ex., la technologie et les tiers fournisseurs de services) sont en train de transformer l’industrie. Le paysage des entreprises est également en train de changer. Les liens interentreprises entre les principales parties sont complexes et évoluent constamment. Tout d’abord, nous remarquons la participation réciproque de grandes maisons de disques (Sony et Universal) dans Spotify; la détention de parts de Spotify, d’Universal et de Warner par Tencent; et la participation d’investisseurs institutionnels réputés dans Apple, Amazon et Spotify.

Les grandes maisons de disques sont non seulement devenues des acteurs de taille dans le secteur de la distribution « indépendante » (p. ex., Sony est propriétaire de The Orchard, qui offre des services de distribution aux artistes et aux maisons de disques indépendants), mais elles continuent aussi de faire l’acquisition d’autres exploitants indépendants (p. ex., Sony a acheté AWAL/Kobalt en 2021).

En plus de faire leur entrée sur le marché indépendant, les grandes maisons de disques se sont lancées dans un segment très important du secteur de la diffusion en continu (et plus particulièrement pour la découvrabilité de la musique), c.-à-d. la création de listes de lecture. Chacune des grandes maisons de disques a créé une marque de commerce pour ses listes de lecture : Filtr pour Sony, Topsify pour Warner, et Digster pour Universal. Si Spotify crée la majorité des listes de lecture accessibles sur son service de diffusion en continu, celles des grandes maisons de disques y sont placées au second rang, tandis que celles des étiquettes indépendantes figurent rarement sur le service.

Bien que l’incursion de Sony et des autres grandes maisons de disques dans le marché indépendant ait entraîné un changement structurel majeur, le secteur de l’édition a aussi connu des bouleversements en raison de multiples acquisitions à grande visibilité et très coûteuses. La dernière décennie a été ponctuée d’achats de catalogues d’éditeurs (ou d’autres entreprises d’édition), mais la dernière année a été marquée par des transactions d’une tout autre ampleur.

Au cours de la dernière année, d’éminents auteurs-compositeurs de l’industrie, comme Bob Dylan, Paul Simon, Neil Young et beaucoup d’autres, ont vendu leurs droits d’édition pour des sommes se chiffrant en centaines de millions de dollars. De premiers appels publics à l’épargne (PAPE) ont été lancés pour plusieurs droits musicaux, notamment par Warner Music Group (2020), Universal Music (annoncé) et Hipgnosis, et cette pratique fait désormais partie de la réalité dans l’industrie. La participation des sociétés privées d’investissement en capital dans l’industrie s’accroît également de façon significative.

Les données

L’un des principaux obstacles à la concurrence dans l’industrie de la musique réside dans le manque de disponibilité, de transparence et d’exhaustivité des données. La technologie est en train de changer la donne.

L’avènement des organismes de gestion collective (OGC), des distributeurs tiers et des services de diffusion en continu, qui publient des données concernant les artistes ou les rendent autrement disponibles, a permis d’atténuer substantiellement les problèmes de transparence structurelle. Le langage contractuel vague qui offrait peu de possibilités aux artistes d’éclaircir des questions relatives à leurs intérêts commerciaux personnels a été remplacé par des conditions d’utilisation clairement définies et comprises. Les OGC, notamment ceux du Canada, ont été parmi les premières organisations de l’industrie de la musique à faire preuve d’une plus grande transparence et ils ont à maintes reprises affirmé leur engagement à l’égard de la transparence, un de leurs principaux arguments afin de vendre leurs services.

Les activités d’un bon nombre de nouveaux arrivants qui fournissent des services tiers aux artistes amateurs et indépendants reposent sur la collecte, le formatage et l’analyse de données. De multiples entrepreneurs de la musique moderne ont pu faire leur entrée dans l’industrie parce qu’ils comprenaient bien les technologies de collecte, de stockage et d’analyse de données.

Dans une industrie où le succès est traditionnellement fondé sur des facteurs tels que les tournées, le marketing, la promotion et la chance, les données en sont de plus en plus un facteur déterminantNote de bas de page 19. La possibilité de savoir notamment qui écoute une chanson diffusée en continu, et depuis quel endroit, à quelle fréquence et à quelle période elle est écoutée, fournit un ensemble d’outils qui étaient inexistants avant la diffusion en continu.

Les services de diffusion en continu s’appuient eux-mêmes largement sur les données et leur application afin de personnaliser les listes de lecture de chaque utilisateur (p. ex., Spotify), et les maisons de disques, quant à elles, enrichissent en données des algorithmes d’apprentissage automatique pour mieux prédire les probabilités de succès des artistes. Des outils similaires sont désormais accessibles pour tous les aspects de la création et de la commercialisation de la musique.

Le rôle des données et de leur analyse au sein de l’industrie va encore plus loin. Certains artistes craignent que les données commencent à être utilisées pour déterminer la façon dont le contenu est créé plutôt que pour aider les artistes à bâtir leur carrière, ce qui va à l’encontre de la sensibilité de bon nombre d’entre eux. Toutefois, puisque l’ampleur des récompenses financières dépend du degré de popularité d’une chanson, il ne fait aucun doute que cette pratique existe déjà.

Les algorithmes, qui exploitent les « mégadonnées », fournissent des outils qui aident à concevoir de la musique plus populaire, mais qui facilitent également la découverte des œuvres musicales et des artistes par les auditeurs. Les métadonnées (dont la création et l’utilisation sont si faciles dans le domaine de la musique numérique) sont l’élément moteur qui permet au secteur de la diffusion en continu de développer de nouvelles applications et d’offrir un meilleur service aux auditeurs et aux titulaires de droits.

Les données ont une valeur intrinsèque dans le contexte de la création et de la consommation de musique, et leur valeur ainsi que leurs applications ne cessent de croître. La question de savoir qui en sont les propriétaires, comment elles peuvent être exploitées et qui doit tirer profit de leur valeur est encore loin d’être réglée.

Étude de 2021 sur l’incidence économique de la diffusion de musique en continu sur l’industrie de la musique au Canada

Wall Communications Inc., 2021

Introduction

La présente étude porte sur l’incidence des services de diffusion de musique en continu sur les créateurs de musique du Canada. Cette question a déjà été examinée dans une étude réalisée il y a deux ans par Wall Communications Inc.Note de bas de page 20 L’étude de 2021 conserve essentiellement le même mandat, mais vise une autre période. Au cours des deux dernières années, l’industrie a été marquée par un certain nombre de changements pertinents qui permettent de mieux comprendre l’incidence de la diffusion en continu.

Au début de l’étude précédente, un dilemme apparent était soulevé :

« Pour les créateurs de musique, la diffusion en continu a connu un développement quelque peu controversé, alors qu’elle est perçue, en général, comme très avantageuse pour les auditeurs. Pour de nombreux créateurs, la distribution de musique en continu par les fournisseurs commerciaux aurait suscité une perte considérable de revenus et, selon certains, elle a eu un impact dévastateur sur la capacité des créateurs de simplement gagner leur vie en poursuivant une carrière axée sur la création musicale. »

« Dans des observations qui semblent contradictoires, le commerce de la musique enregistrée (et typiquement diffusée) semble en plein essor (généralement aux États-Unis et au Canada), selon de nombreux rapportsNote de bas de page 21. »

Ce dilemme est toujours aussi apparent en 2021. Au risque de nous répéter, l’évidence est que la consommation de musique à l’heure actuelle repose en grande partie sur les services de diffusion audio et audiovisuelle en continu. En outre, la diffusion en continu a propulsé l’industrie de l’enregistrement sonore sur une trajectoire ascendante, alors qu’elle se trouvait encore dans une période de croissance négative il y a à peine six ansNote de bas de page 22. L’industrie regorge de nouvelles dépenses de consommation dans la musique enregistrée (et de nouvelles licences commerciales connexes)Note de bas de page 23.

Parallèlement, les revues spécialisées, les blogues, les rapports stratégiques et les médias grand public abondent en récits au sujet de créateurs de musique qui perçoivent des sommes minimes pour l’utilisation de leurs œuvres sur les services de diffusion en continu ou des sommes qui ne suffisent certainement pas à assurer leur subsistance.

La présente étude vise à comprendre comment ces événements apparemment contradictoires peuvent survenir simultanément, à supposer qu’ils traduisent bien la réalité. Nous analysons plusieurs enjeuxNote de bas de page 24 dans le cadre de l’étude, mais les questions fondamentales auxquelles cette dernière a pour but de répondre commencent par des interrogations simples : À combien s’élèvent les revenus générés par l’industrie canadienne de la musique enregistrée? Combien rapporte la diffusion en continu? À qui ces revenus sont-ils distribués?

Afin d’examiner ces enjeux, nous devons classer les personnes qui créent de la musique au Canada par catégories. Étant donné que nous voulons étudier les caractéristiques de la monétisation des œuvres musicales diffusées en continu, nous catégorisons les secteurs de l’industrie en fonction des divers groupes de titulaires de droits.

Les « créateurs de musique » sont souvent désignés spontanément comme les personnes et les organismes qui créent des chansons dans leur forme la plus élémentaire, c.-à-d. les auteurs ou paroliers (paroles) et les compositeurs (musique)Note de bas de page 25. Cette perception est liée au fait qu’ils fournissent le premier, et sans doute le plus important, « effort créatif » dans la conception d’une œuvre musicaleNote de bas de page 26. Bien entendu, lorsqu’une chanson est enregistrée, l’interprète vedette de la chanson fournit également un apport créatif notableNote de bas de page 27.

Parmi les autres parties à la création d’un enregistrement sonore figurent les éditeurs (qui cherchent à trouver des possibilités d’exécution et de monétisation des chansons qu’ils représentent), les maisons de disques (qui sont normalement chargées d’organiser et de financer la séance d’enregistrement en soi et de produire l’enregistrement maître de l’exécution d’une œuvre musicale), les interprètes d’accompagnement qui prennent part à la séance d’enregistrement (les musiciens de séance), ainsi que d’autres personnes qui participent à la séance d’enregistrement et au traitement ultérieur de l’enregistrement (notamment les ingénieurs du son, les ingénieurs du mixage et les ingénieurs de la mastérisation)Note de bas de page 28.

Il convient de noter que les maisons de disques assument habituellement plusieurs rôles, dont le développement des artistes, la distribution du produit (y compris les négociations avec les services de distribution de musique, comme les services de diffusion en continu, aux fins de la détermination et de la perception des paiements pour l’utilisation d’une chanson) ainsi que la commercialisation et la promotion de l’enregistrement sonoreNote de bas de page 29.

Sans vouloir froisser les auteurs, les compositeurs ou les interprètes vedettes, nous emploierons le terme « créateurs de musique » canadiens dans son sens le plus large en vue de désigner tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement de l’industrie canadienne de la musique enregistrée, depuis l’étape de la création de la musique jusqu’à sa distribution aux consommateursNote de bas de page 30.

De plus, il convient de faire mention des OGC, c.-à-d. les organisations qui perçoivent les paiements de redevances et les distribuent à leurs membres qui sont titulaires de droits (entre autres, les auteurs-compositeurs, les éditeurs, les interprètes et les maisons de disques). Les OGC jouent un rôle clé dans l’industrie compte tenu de leur contribution dans chacune des catégories. Ce sont d’importants intermédiaires pour les titulaires de droits des quatre catégories, mais ils ne participent pas à toutes les ententes commerciales. Plus précisément, une large part des activités des maisons de disques sont menées indépendamment des OGC (p. ex., la négociation et la perception des paiements des services de diffusion en continu en vertu de leurs propres droits sur un enregistrement maître, mais aussi au nom de l’artiste-interprète et parfois d’autres parties titulaires de droits)Note de bas de page 31.

Dans le corps de la présente étude, nous commençons par donner une description relativement détaillée (section 2) des divers titulaires de droits et des activités de chacun d’eux. Même si cette section induira à coup sûr de la somnolence chez tous les lecteurs, sauf chez les plus férus, elle est néanmoins essentielle aux discussions ultérieures. Pour quiconque de l’extérieur de l’industrie (et beaucoup de travailleurs de l’industrie), la complexité des activités, des droits et des ententes contractuelles des titulaires de droits et de la terminologie afférente est incontestablement déroutante. Nous espérons que la section 2 permettra d’apporter quelques éclaircissements à cet égard.

La section 3 présente une compilation de données pertinentes sur les revenus de l’industrie de la musique et les revenus estimatifs de divers groupes de titulaires de droits au Canada en 2019. En raison de contraintes liées à la confidentialité et d’autres limites relatives aux données, nous évaluons les revenus à l’aide de différentes méthodes, notamment des extrapolations, des analyses comparatives et des analyses des points de référenceNote de bas de page 32. Finalement, nous établissons les revenus estimatifs des quatre catégories de titulaires de droits, soit les auteurs-compositeurs, les éditeurs, les interprètes (artistes) et les producteurs (maisons de disques).

La section 4 pousse cette analyse encore plus loin en mettant l’accent sur les revenus du secteur de la diffusion de musique en continu de l’industrie. Encore une fois, nous avons utilisé différentes méthodes pour évaluer les revenus dans chaque catégorie de titulaires de droits.

La section 5 examine plusieurs caractéristiques du secteur de la diffusion en continu de façon plus approfondie, y compris les rôles relatifs des grandes maisons de disques par rapport à ceux des maisons de disques indépendantes, les revenus de redevances du Canada par rapport à ceux de l’étranger, les défis propres au marché francophone québécois et l’impact de la COVID-19.

La section 6 se penche sur l’état actuel et la trajectoire du secteur de la diffusion en continu, les développements importants dans l’industrie et les répercussions connexes sur la concurrence au sein de l’industrie.

La section 7 présente quelques brèves observations.

Les annexes fournissent une description de la méthodologie, la liste des parties qui ont contribué à l’étude ainsi que la liste des références.

Identification des éléments de la chaîne d’approvisionnement et des parties prenantes

De manière générale, nous avons l’intention de nous en tenir à la catégorisation établie en fonction des divers titulaires de droits, car elle concorde généralement avec les différentes activités réalisées par les multiples parties de l’industrie de la création de la musique. Qui plus est, dans le cadre de la présente étude, nous nous concentrons sur l’incidence économique des services de diffusion de musique en continu sur les divers titulaires de droits.

Il existe quatre grandes catégories d’intrants dans la chaîne d’approvisionnement :

  1. les paroliers et les compositeurs de musique (« auteurs-compositeurs »);
  2. les éditeurs (agents qui s’emploient, au nom des auteurs-compositeurs, à faire diffuser les chansons dans différents médias);
  3. les interprètes (vedettes et d’accompagnement); et
  4. les producteurs (habituellement les maisons de disques, mais y compris toutes les entités, autres que les interprètes, qui participent au processus d’enregistrement sonore en soi).

À cela s’ajoute une autre source d’intrants, soit les services de diffusion en continu, comme Spotify, Apple Music et d’autres plateformes, qui ont pour fonction d’assurer la distribution de chansons aux consommateursNote de bas de page 33. Les services de diffusion en continuNote de bas de page 34 ne font pas l’objet d’un examen comme tel dans le cadre de la présente étude (sauf pour ce qui est des paiements qu’ils versent aux titulaires de droits pour l’utilisation des œuvres musicales et de leur impact sur les créateurs de musique en tant que principaux « agents de changement »).

Les parties associées à chacune de ces quatre étapes de l’approvisionnement dans l’industrie de la création de musique sont détentrices de droits, qui s’appliquent lors de l’utilisation d’un enregistrement sonore par des tiers (p. ex., un service de diffusion en continu, la radio, la télévision ou un film, ou la vente de l’enregistrement aux consommateurs dans un format physique ou numérique). Les droits et les fonctions de chaque catégorie sont décrits ci-dessous.

Soulignons également que, dans le passé (c.-à-d. avant le développement et l’adoption généralisés d’Internet et des progrès technologiques connexes), chaque catégorie de la chaîne d’approvisionnement avait une infrastructure relativement distincte au sein de l’industrie, dans laquelle les fonctions étaient exécutées par des parties distinctes. Aujourd’hui, une seule personne (ou un petit groupe de personnes) peut exécuter la totalité ou un bon nombre des fonctions comprises dans la chaîne d’approvisionnement. Cette capacité d’accomplir de nombreuses fonctions de la création de musique grâce à la technologie est en train de bouleverser et de redéfinir l’industrie, même si la grande majorité des activités commerciales de l’industrie reposent toujours sur les segments traditionnels de la chaîne d’approvisionnement (à l’exception de la distribution de musique aux consommateurs, qui est désormais assurée principalement par les services de diffusion en continu).

2.1 Les auteurs-compositeurs

Nous employons le terme « auteurs-compositeurs » pour désigner les personnes qui composent la musique ou écrivent les paroles d’une œuvre musicale. Ce terme inclut les personnes qui créent des chansons populaires et tout autre genre de musique, ainsi que les compositeurs de musique pour le cinéma et la télévision.

Dans le cadre du modèle plus traditionnel de composition de chansons populaires (avant les années 1960), un groupe de personnes était chargé de composer les paroles et la musique des chansons (p. ex., les modèles de composition de chansons de Tin Pan Alley et du Brill Building)Note de bas de page 35. Ces chansons étaient souvent créées par un duo composé d’un parolier et d’un compositeur de musique, puis proposées par des éditeurs (abordés à la section suivante) à des interprètes (pensez à des interprètes comme Frank Sinatra, qui étaient seulement des chanteurs ou interprètes, et non des auteurs). Ce modèle a changé dans les années 1960 lorsque les artistes populaires ont commencé à écrire et à interpréter leurs propres chansons.

Ce modèle a perduré jusqu’à aujourd’hui, bien qu’il ait évolué à un point tel que plusieurs personnes participent parfois à la composition des paroles et de la musique d’une chanson (plusieurs coauteurs peuvent écrire quelques lignes des paroles ou de la musique d’une chanson) et que la frontière entre l’écriture d’une chanson et sa production et son enregistrement soit devenue floueNote de bas de page 36.

Par ailleurs, nous insistons à nouveau sur la difficulté de définir la création de valeur relative d’une chanson en fonction de la contribution des différentes parties. Par exemple, les paroles et la musique de la chanson « Take It Easy » ont été essentiellement composées par Jackson BrowneNote de bas de page 37. Cependant, Glen Frey a écrit deux lignes des paroles d’un couplet (en plus de créer l’arrangement final de la chanson) et a été crédité comme coauteur. Il s’avère que les deux lignes écrites par Frey sont souvent les plus citées et les plus mentionnées de la chansonNote de bas de page 38.

Outre la question de la création de valeur relative, le nombre d’auteurs d’une chanson a augmenté au fil du temps, ce qui complique davantage le partage des droits de propriété intellectuelle (PI). Par exemple, plus de 30 auteurs sont crédités pour la chanson de 2018 intitulée « Sicko Mode »Note de bas de page 39.

Dans l’ancien modèle, où il n’y avait que quelques auteurs désignés pour une chanson, les auteurs bénéficiaient de certains droits d’auteur qui permettaient à la fois de protéger et de monétiser leur travail. Ces protections et droits de PI subsistent encore aujourd’hui. Les auteurs-compositeurs possèdent deux types de droits : les droits mécaniques (aussi appelés « droits de reproduction » ou « DR ») et les droits d’exécution (DE) en public.

Au titre de ses droits mécaniques, l’auteur-compositeur reçoit une compensation lorsqu’une de ses chansons est reproduite sur n’importe quel supportNote de bas de page 40.

« Les droits mécaniques sont des redevances qui sont versées à un auteur-compositeur […] chaque fois qu’une copie physique ou numérique est faite d’une de ses chansons ou compositions. Ce sont des redevances de droit d’auteur qui vous sont versées en échange de votre droit de reproduire mécaniquement les enregistrements de vos chansons, et ce, sur presque n’importe quel support. Des redevances de reproduction mécanique doivent vous être versées, par exemple, lorsqu’une maison de disques produit un CD ou un disque vinyle de votre chanson ou d’une ou plusieurs chansons figurant sur un album. Même chose si votre musique est reproduite pour un téléchargement numérique ou une écoute en continuNote de bas de page 41. »

« Des droits mécaniques doivent être versés par quiconque se procure une licence l’autorisant à reproduire et distribuer votre chanson ou composition. Les droits mécaniques sont ainsi appelés parce qu’ils renvoient globalement à la reproduction mécanique de votre musique et que, comme tels, ils font partie de ce qu’on appelle communément les “droits de reproduction”Note de bas de page 42. »

En vertu des DE qui lui sont dévolus, l’auteur-compositeur reçoit une compensation chaque fois qu’une de ses chansons est exécutée en public. « Le droit d’exécution est le droit d’exécuter une chanson ou une composition en public – qu’il s’agisse d’un concert en direct, de musique de fond, d’une émission de radio ou de télévision, d’une liste d’écoute diffusée dans un bar ou de tout autre type d’exécution publique. Le droit d’exécution accorde aux titulaires des droits d’auteur inhérents aux chansons le droit exclusif d’exécuter leurs chansons en public ou d’en autoriser d’autres à le faireNote de bas de page 43. »

Au Canada, les taux de redevances de reproduction mécanique et d’exécution (et le type de support auquel ces taux s’appliquent) sont ordinairement établis par la Commission du droit d’auteur du CanadaNote de bas de page 44. Les redevances sont versées par toute entité qui diffuse sous licence une chanson sur sa plateforme de médias (p. ex., la radio, la radio par satellite et les services de diffusion en continu). Les organisations OGC qui perçoivent et répartissent les paiements de redevances au nom des auteurs-compositeurs sont abordées à la section suivanteNote de bas de page 45. Toutefois, précisons que la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) est l’OGC canadien qui est chargé de percevoir et de distribuer les redevances d’exécution publique des auteurs-compositeurs. L’Agence canadienne des droits de reproduction musicaux (ACDRM) recueille et distribue les droits mécaniques des éditeurs et des auteurs-compositeurs qui se chargent eux-mêmes de l’édition, tandis qu’une division de la SOCAN (anciennement appelée la SODRAC, mais rebaptisée « SOCAN DR ») perçoit et répartit les droits mécaniques des auteurs-compositeurs (principalement au Québec et pour les auteurs étrangers).

2.2 Les éditeurs

Suivant la création d’une chanson par un parolier et/ou un compositeur de musique, celle-ci peut être utilisée pour une représentation en direct ou un enregistrement sonore. L’éditeur a pour rôle d’agir en tant que représentant de la chanson pour en promouvoir l’utilisation. Plus traditionnellement, l’éditeur imprimait les paroles et la musique sur une partition qu’il publiait et vendait au grand public. Cette fonction n’est plus très répandue de nos jours. Par contre, le rôle consistant à trouver un artiste pour interpréter une chanson (particulièrement pour les enregistrements sonores) est toujours extrêmement important. Il est utile de considérer l’éditeur comme la partie qui cherche le plus à monétiser une chanson, comme un partenaire commercial de l’auteur-compositeur en quelque sorte.

L’éditeur de musique a pour tâches d’acquérir des chansons, d’octroyer leur licence, de les administrer, de les commercialiser et de les promouvoir. « Un éditeur de musique est un associé d’affaire pour une œuvre musicale. Un bon éditeur de musique doit posséder les connaissances et les contacts requis pour promouvoir une œuvre. En règle générale, l’auteur-compositeur et l’éditeur sont liés par un contrat par lequel l’auteur-compositeur accorde à l’éditeur la propriété et le contrôle des œuvres musicales faisant l’objet de droits d’auteur en échange d’un pourcentage des revenus découlant de l’exploitation de ces œuvres musicales. Un éditeur de musique ne peut pas percevoir plus de 50 % des DENote de bas de page 46. »

Chaque auteur-compositeur peut céder une part de ses DE à un éditeur (comme il est susmentionné, la part accordée à l’éditeur ne peut dépasser 50 %). Les droits que l’auteur-compositeur cède à un éditeur sont distincts de la part des DE qui revient à l’auteurNote de bas de page 47.

De nombreux types de contrats d’édition peuvent être conclus entre un auteur-compositeur et un éditeur. Un contrat « d’une chanson » désigne tout accord visant une seule chanson, dont les redevances sont partagées selon un certain pourcentage entre l’auteur et l’éditeur tout au long de la durée du droit d’auteur sur une œuvre individuelle. Un « contrat exclusif » signifie que les redevances tirées de toutes les œuvres sont partagées entre l’auteur et l’éditeur pendant une période déterminée.

Un « contrat de coédition » est conclu lorsque deux ou plusieurs entreprises d’édition détiennent conjointement le droit d’auteur. Dans le marché actuel, il s’agit souvent d’un contrat entre la société d’édition et l’« entité d’édition » de l’artiste (de facto ou de jure), de sorte que le partage des redevances entre l’auteur-compositeur et la société d’édition se fait davantage selon un ratio de 75:25 en faveur de l’auteur-compositeur par rapport au ratio traditionnel de 50:50.

Le contrat d’administration est une autre entente courante dans le marché actuel, aux termes de laquelle le titulaire d’un droit d’auteur fait appel à un éditeur pour administrer les droits d’auteur en échange d’un pourcentage des revenus pendant une période précise. L’administrateur ne détient aucun droit d’auteur, mais touche une commission (normalement de 10 à 15 %) pour l’administration du droit d’auteur.

Un contrat de sous-édition est une entente conclue entre un éditeur national et un éditeur d’un territoire étranger en vue d’assurer la représentation du catalogue d’un auteur-compositeur dans ce territoireNote de bas de page 48. Le sous-éditeur recueille les redevances et les verse à l’éditeur d’origine moyennant un pourcentage des revenus. Un aspect important de ce contrat est qu’il permet souvent de payer les titulaires de droits d’auteur plus rapidement que lorsqu’un OGC national se charge de percevoir et de distribuer les redevances versées par l’OGC d’un territoire étranger. C’est pourquoi les éditeurs canadiens concluent habituellement un contrat directement avec des éditeurs étrangers et/ou des organismes étrangers de gestion collective de droits.

En plus de détenir une part des DE, les éditeurs sont aussi généralement autorisés à percevoir des droits mécaniques (ou de reproduction) pour une chanson, tout en conservant leur part des droits d’auteur mécaniques des auteurs-compositeurs. Les éditeurs recueillent souvent la totalité des paiements des droits d’auteur-compositeur auprès des détenteurs de licence et versent ensuite à l’auteur-compositeur la part qui lui revient.

Dans le cas des divers services de radiodiffusion et de diffusion en continu, les éditeurs canadiens reçoivent les paiements de droits mécaniques (ou de reproduction) de la part des OGC, de l’ACDRM et de la SOCAN DR, qui les perçoivent en leur nom. Pour ce qui est des produits physiques (comme les CD et les vinyles), les droits mécaniques sont perçus directement auprès des maisons de disques (qui sont les producteurs et les distributeurs du produit). Et comme nous l’avons indiqué, il arrive souvent que l’éditeur négocie et obtienne les paiements directement auprès des éditeurs et des OGC étrangers.

Il convient de noter que les nombreuses fonctions qu’un éditeur peut exercer sont, dans la pratique, fréquemment réparties entre plusieurs éditeurs et/ou autres parties. Par exemple, un éditeur indépendant peut posséder ou contrôler un catalogue de chansons, tout en recourant à une grande société d’édition pour administrer (c.-à-d. percevoir) les redevancesNote de bas de page 49.

Pour terminer en ce qui touche l’édition, la terminologie connexe (et celle qui est liée aux droits sur les chansons de façon plus générale) est truffée d’incohérences, d’ambiguïtés et d’erreurs flagrantes. L’un ou l’autre des termes « droits d’édition » et « droits d’auteur-compositeur » peut parfois être employé pour désigner l’ensemble des droits des auteurs et des éditeurs. De temps à autre, ces deux termes sont utilisés pour désigner les droits de contrôle ou de propriété distincts de chacune des parties. Ce manque d’uniformité terminologique peut constituer un obstacle considérable à la compréhension de l’industrie.

2.3 Les interprètes (artistes)

Les interprètes, qui sont aussi appelés « artistes », sont les personnes qui exécutent une œuvre musicale, soit en direct ou dans un enregistrement sonore. Même s’ils ne participent pas (nécessairement) à la composition d’une chanson, l’interprétation qu’ils en font peut élever l’œuvre musicale à un niveau émotionnel, intellectuel ou spirituel supérieur.

La plupart du temps, nous associons une chanson à son interprète vedetteNote de bas de page 50. Dans la musique populaire, il s’agit normalement du chanteur principal, de l’instrumentiste principal ou de la ou des personnes habituellement considérées comme le « visage » d’un groupe. L’interprète principal est ordinairement la personne qui a signé un contrat d’enregistrement avec une maison de disques. Le contrat d’enregistrement négocié entre l’interprète vedette et la maison de disques établit les modalités du partage des droits entre les parties.

Les DE publique d’un interprète à l’égard d’un enregistrement sonore sont connus sous le nom de « droits voisins » (par opposition aux « droits d’auteur » de l’auteur-compositeur et de l’éditeur, qui sont propriétaires de l’œuvre musicale sous-jacente). Bien que la nature de ces droits diffère, ils constituent tous deux une forme de droit de PI et donnent généralement lieu à une rémunération lorsqu’ils font l’objet d’une licence d’utilisation.

Nous considérons que l’exécution enregistrée d’une œuvre musicale constitue une PI distincte lorsque les DE visent l’enregistrement sonore de l’exécution et non l’œuvre musicale sous-jacente. Il convient également de noter que l’exécution en direct d’une chanson (à l’extérieur d’un studio d’enregistrement) ne confère aucun « droit voisin », sauf si cette exécution est enregistrée puis offerte sur d’autres supports (p. ex., la radio, un service de diffusion en continu non interactif, un CD, etc.). L’enregistrement sonore d’une exécution constitue le fondement des droits voisins et des DR d’un interprète.

Selon la Loi sur le droit d’auteur du Canada, les droits voisins doivent être répartis en parts égales entre les interprètes et les propriétaires de l’enregistrement maître. Cependant, les interprètes et les maisons de disques négocient souvent des ententes « globales » dans le cadre desquelles les revenus de toutes les sources sont partagés en fonction d’une base négociée. En général, l’interprète a droit à une compensation chaque fois que l’enregistrement sonore est diffusé au public lors d’une émission de radio ou d’une émission de radio par satellite ou au moyen d’un service de diffusion non interactif en continuNote de bas de page 51.

Les interprètes d’accompagnement, comme les musiciens de séance et les choristes, ne négocient habituellement pas de contrats d’enregistrement avec la maison de disques, mais sont embauchés par le producteur et payés à l’acte (c.-à-d. qu’ils reçoivent une rémunération fixe par séance d’enregistrement pour leur contribution à l’exécution d’une œuvre musicale). Néanmoins, les interprètes d’accompagnement ont tout de même droit à une compensation lorsqu’un enregistrement sonore qu’ils ont contribué à exécuter est transmis au grand public.

Comme dans le cas des auteurs et des éditeurs, la perception des redevances et leur distribution aux interprètes sont normalement confiées à un OGC. Au Canada, la perception et le versement des redevances destinées aux interprètes incombent à la Musicians Rights Organization of Canada (MROC), à l’Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (ACTRA), Recording Artists’ Collecting Society (RACS) et à ArtistiNote de bas de page 52. Chacun de ces OGC fournit le même service essentiel, mais l’ACTRA RACS et Artisti sont associés à des syndicats (l’ACTRA et l’Union des artistes, respectivement), tandis que la MROC est un organisme indépendantNote de bas de page 53.

Ces trois OGC sont membres d’un organisme tiers (Ré:Sonne) qui se charge de percevoir les redevances d’exécution publique auprès des utilisateurs autorisés. Ré:Sonne est à bien des égards l’homologue de la SOCAN, sauf qu’elle représente les interprètes (et les producteurs) plutôt que les auteurs-compositeurs et les éditeursNote de bas de page 54. Ré:Sonne, qui était au départ la Société canadienne de gestion des droits voisins, est également chargée de déposer des demandes de tarif auprès de la Commission du droit d’auteur et de comparaître devant celle-ci à cette fin. Ré:Sonne perçoit des redevances au nom des OGC susmentionnés, mais elle fait aussi office d’OGC auquel les interprètes peuvent s’inscrire directement s’ils le souhaitentNote de bas de page 55. Étant donné que la présente étude porte principalement sur la diffusion en continu, nous faisons remarquer que Ré:Sonne ne recueille aucune redevance pour la diffusion interactive en continu. Le service de diffusion en continu verse ces redevances à la maison de disques, qui les verse ensuite à l’interprète.

Tel que nous l’avons indiqué précédemment, l’interprète vedette négocie généralement avec une maison de disques un contrat qui énonce habituellement tous les droits qui lui sont reconnus (toutes les modalités sont toutefois négociables). La part de revenus que l’interprète tire de l’ensemble des activités commerciales (y compris de celles qui donnent lieu à des paiements au titre de ses droits) est tributaire du pouvoir de négociation de chaque partie. En raison de leur plus grand pouvoir de négociation, les interprètes bien établis peuvent obtenir une part supérieure (et parfois nettement supérieure) à 50 %, tandis que les nouveaux interprètes, qui disposent d’un pouvoir de négociation limité, ne récoltent qu’une part inférieure (parfois nettement inférieure) à 50 % de la maison de disquesNote de bas de page 56. Les redevances de droits voisins, qui sont perçues par des OGC comme Ré:Sonne et ses organisations membres, doivent être versées en parts égales aux interprètes et aux producteurs (les redevances pour la diffusion en continu interactive ne sont cependant pas visées par la loi).

Les interprètes vedettes d’une certaine notoriété retiennent également les services d’agents artistiques, d’agents de tournée, d’avocats et d’autres personnes pour les aider dans leur carrière (y compris les aspects de leur carrière qui ont trait aux enregistrements sonores). Ces employés secondaires ou tertiaires peuvent jouer un rôle déterminant dans la carrière de l’interprète et détenir ou non une part des droits de ce dernierNote de bas de page 57. La rémunération du personnel secondaire est établie dans un contrat distinct conclu entre l’interprète et le fournisseur de services secondaires.

2.4 Les producteurs (maisons de disques)

La relation entre les interprètes vedettes et les maisons de disques peut être considérée comme similaire à celle qu’entretiennent les auteurs-compositeurs et les éditeurs, c.-à-d. que l’un fournit généralement le contenu créatif, alors que l’autre se concentre davantage sur les activités commerciales.

Le terme « producteur » est également porteur d’un sens technique précis dans le milieu de la musique, dans la mesure où il désigne la personne qui supervise tous les aspects de la réalisation d’un enregistrement sonore. La plupart du temps, cette personne agit en tant qu’entrepreneur indépendant embauché par la maison de disques pour travailler avec une équipe (p. ex., l’ingénieur du son, l’arrangeur et les musiciens de séance) en vue de s’assurer que l’enregistrement est un produit dont l’artiste est satisfait et qu’il répond aux besoins de la maison de disques. Lorsque le terme « producteur » est employé dans le contexte des droits, il renvoie habituellement à la maison de disques qui embauche le producteur de disques pour une séance, qui finance le processus d’enregistrement et, plus important encore, qui conserve les droits sur l’enregistrement maître.

Du fait qu’elle finance l’enregistrement et qu’elle est propriétaire de l’enregistrement maître (et des droits connexes), la maison de disques est le « producteur » de l’enregistrement. Nous utiliserons les termes « maison de disques » et « producteur » comme synonymes (et renverrons au besoin au producteur de la séance technique en tant que « producteur de séance d’enregistrement »).

Dans le passé, une maison de disques pouvait compter un ou plusieurs producteurs de séance d’enregistrement parmi son personnel à l’interne et également exploiter son ou ses propres studios d’enregistrement. Aujourd’hui, la plupart des producteurs de séance d’enregistrement sont des entrepreneurs indépendants engagés par les maisons de disques, et la majorité des studios d’enregistrement agissent indépendamment des maisons de disques (mais leurs services sont souvent retenus par la maison de disques ou le producteur de séance d’enregistrement).

En quoi consiste le travail d’une maison de disques? Les maisons de disques encadrent le financement, la réalisation, la production, le marketing, la promotion et la distribution d’œuvres musicales. Ces fonctions ont évolué au fil du temps, mais correspondent toujours aux principales fonctions d’une maison de disques, même si elles ne sont plus exécutées de la même façonNote de bas de page 58.

Les maisons de disques peuvent être divisées en trois grandes catégories, soit les grandes maisons de disques, les maisons de disques indépendantes et les artistes amateurs (les artistes qui s’acquittent essentiellement eux-mêmes du rôle d’une maison de disques). Nous signalons aussi ci-dessous que Merlin, un organisme-cadre de maisons de disques indépendantes, procure aux étiquettes indépendantes (dont celles du Canada) un moyen d’accroître leur pouvoir de négociation. En outre, les grandes maisons de disques peuvent offrir une variété de services (p. ex., la distribution, le marketing et la promotion) aux maisons de disques indépendantes et même aux artistes amateurs.

Dans l’industrie mondiale de la musique (y compris au Canada), un petit nombre de « grandes » maisons de disques dominent le paysage, à savoir Universal, Warner et SonyNote de bas de page 59. Deux autres maisons de disques, soit Bertelsmann Music Group (BMG) et Kobalt, sont parfois classées parmi les « grandes » (bien qu’elles soient beaucoup plus petites que les trois plus importantes). Toutes les autres maisons de disques sont considérées comme « indépendantes ». Pour des raisons que nous aborderons ultérieurement, nous emploierons le terme « grandes maisons de disques » pour désigner les trois maisons de disques les plus importantes.

« Merlin » est un organisme mondial d’octroi de licences de droits sur la musique numérique, dont les membres sont des maisons de disques indépendantes (ainsi que des distributeurs indépendants et d’autres titulaires de droits)Note de bas de page 60. Merlin négocie les licences de droits pour ses membres avec les services de diffusion en continu comme Spotify, TikTok, Facebook, Deezer, etc. Elle permet essentiellement de renforcer le pouvoir de négociation des étiquettes indépendantes. Parmi ses membres, elle compte environ 20 000 maisons de disques et distributeurs indépendants ainsi que d’autres parties dans 63 pays, y compris la plupart des plus importantes maisons de disques indépendantes. Quelques-uns de ses membres sont canadiens (p. ex., Secret City Records), mais la majorité des étiquettes indépendantes canadiennes n’en sont pas membres.

Les maisons de disques indépendantes sont analogues aux équipes-écoles ou aux équipes de ligue mineure à de nombreux égards. Elles peuvent s’en tenir à une niche musicale plus ciblée ou évoluer à une échelle réduite pendant de nombreuses années, mais leur succès est habituellement considéré comme relativement modeste. Il est généralement reconnu dans l’industrie que, pour permettre à un artiste d’atteindre les plus hauts niveaux de succès populaire, il faut disposer des ressources et du pouvoir de négociation d’une grande maison de disques. En fait, presque tous les artistes les plus populaires au Canada ont signé un contrat avec une grande maison de disques ou avec une maison de disques de moindre envergure qui a elle-même conclu une entente de distribution ou un autre type d’accord avec une grande maison de disques.

Finalement, les artistes amateurs, qui ne sont toutefois pas des maisons de disques au sens strict, remplissent eux-mêmes les fonctions d’une maison de disques ou concluent des contrats avec des tiers aux fins de l’exécution de certaines d’entre elles. De l’avis général, les artistes amateurs représentent le segment de l’industrie de la musique qui croît le plus rapidementNote de bas de page 61. Au Canada, les artistes amateurs semblent constituer le groupe le plus nombreux de créateurs de musique.

Comme nous l’avons mentionné antérieurement, les maisons de disques peuvent assumer de nombreux rôles et fonctions. L’une de leurs principales fonctions avant l’avènement de la diffusion en continu était la « distribution ». À cette époque, la fonction de distribution consistait surtout à organiser le transport des produits physiques (p. ex., les vinyles et les CD) et à les acheminer à un entrepôt de distribution local ou directement aux points de vente au détail depuis une usine de fabrication. Cette fonction de distribution physique existe toujours, mais la baisse des ventes physiques au détail a eu pour effet de réduire son importance.

En revanche, la distribution de contenu numérique a en grande partie supplanté la distribution de produits physiques. De nos jours, la « distribution numérique » s’entend généralement de la fourniture de copies numériques de chansons aux services de diffusion en continu, mais elle englobe également la négociation et la perception de paiements monétaires auprès de ces services. Les maisons de disques (particulièrement les grandes) dominent le secteur de la distribution physique et maintenant celui de la distribution numérique dans une très large mesure. Cependant, à l’instar de nombreuses autres activités commerciales des grandes maisons de disques, la distribution numérique est à présent exposée à la concurrence. Plus précisément, des entreprises spécialisées dans la distribution numérique comme CD Baby, DistroKid et d’autres ont été mises sur pied afin d’offrir aux artistes amateurs et même aux maisons de disques indépendantes de plus petite taille d’autres options pour faire diffuser leur musique sur les services de diffusion en continu.

Les maisons de disques font appel aux OGC, mais peut-être moins que les trois autres catégories de titulaires de droits au sein de l’industrie. Elles détiennent normalement les droits sur l’enregistrement maître. L’octroi sous licence des droits sur l’enregistrement maître est convenu directement entre la maison de disques et le service de diffusion en continu, tout comme pour les droits de synchronisation lorsqu’une œuvre musicale est utilisée dans une production audiovisuelle (p. ex., une émission de télévision ou un film). L’OGC Ré:Sonne verse aux maisons de disques (y compris les grandes maisons de disques canadiennes) les paiements de redevances qu’elle perçoit au titre de leurs droits voisins pour certaines utilisations de leurs enregistrements sonores (p. ex., la radio terrestre, la radio par satellite et la musique d’atmosphère, à l’exclusion des services de diffusion en continu interactifs comme Spotify, Apple Music et Amazon).

Revenus de l’industrie canadienne de la musique (de l’enregistrement sonore) selon la catégorie de titulaires de droits

3.1 Introduction

La présente section traite des caractéristiques économiques (plus précisément des revenus) des quatre catégories de créateurs ou titulaires de droits décrites à la section précédente. Nous nous concentrons sur les revenus avant déduction des dépenses (autres que les paiements de redevances à d’autres titulaires de droits), puisque les renseignements disponibles sur les revenus abondent, contrairement aux données sur les dépenses et la profitabilité.

Même si nous nous sommes fondés sur les meilleures données disponibles afin d’évaluer les revenus des titulaires de droits, nous constatons plusieurs limitations concernant les « données ». Nos calculs s’appuient sur des sommes annuelles, mais la période de déclaration diffère parfois (p. ex., l’année civile par rapport à l’exercice financier). Le calendrier de versement des fonds peut varier d’un OGC à l’autre, de sorte qu’un OGC peut déclarer des versements d’une période antérieure à ceux d’autres de ses homologues. Certaines données nous ont été fournies à titre confidentiel, et il nous est donc impossible de donner des références détaillées pour quelques calculs. Étant donné que certaines données ne sont pas disponibles publiquement et qu’elles n’ont pas pu être obtenues auprès des parties concernées, nous utilisons des pourcentages fondés sur les moyennes et les indications de l’industrie pour quelques calculs. Dans de tels cas, nous le signalons.

L’un des principaux problèmes des recherches existantes sur l’industrie est le manque de données référencées et uniformes sur les revenus par catégorie de titulaires de droits. Afin de dresser un portrait plus complet de l’industrie et de ses catégories de titulaires de droits, nous avons eu recours à tous les outils disponibles pour déterminer les revenus estimatifs de l’industrieNote de bas de page 62.

3.2 Aperçu de l’industrie

Les revenus de chaque catégorie de parties prenantes sont directement liés aux droits de celle-ci et à la façon dont ces droits sont monétisés. Les droits de l’ensemble des parties à la chaîne d’approvisionnement de l’industrie de la musique sont relativement bien définis dans la loi, ce qui leur donne la possibilité de monétiser ces droits en octroyant des licences ou en vendant autrement leurs droits sur la musique pour en autoriser l’utilisation.

Dans la plupart des cas, les revenus des créateurs de musique sont administrés par un OGCNote de bas de page 63. Il convient de noter que les OGC peuvent assumer (et assument) des fonctions qui se chevauchent, si bien qu’un titulaire de droits peut avoir à choisir entre plusieurs OGC pour l’administration d’un droit donnéNote de bas de page 64. La figure 4 regroupe les principaux OGC au Canada. L’encadré au bas de la figure 4 (intitulé « compositeurs ») présente les OGC des droits des « auteurs-compositeurs » (ou « auteurs », ce qui inclut les paroliers et les compositeurs de musique) et des éditeurs. Il existe deux types de droits d’auteur, à savoir les DE publique et les droits mécaniques (ou DR).

En ce qui concerne les DE des auteurs et des éditeurs, le principal OGC responsable au Canada est la SOCAN. Les DR, quant à eux, sont majoritairement gérés par l’ACDRM (qui représente des éditeurs et des auteurs-compositeurs qui remplissent aussi le rôle d’éditeur), mais sont également administrés par la SOCAN DR, qui représente principalement des auteurs et des éditeurs québécois et étrangers.

L’encadré au haut du diagramme se rapporte à un autre type de droit de PI (le « droit voisin », qui est aussi couramment appelé le droit à une « rémunération équitable »). Ces DE publique sont conférés aux interprètes et aux propriétaires des droits sur les enregistrements maîtres (qui sont généralement des maisons de disques). Les droits des propriétaires d’enregistrements maîtres sont administrés par CONNECT ou par la SOPROQ, tandis que les interprètes font appel à la MROC, à l’ACTRA RACS ou à Artisti. Ces cinq OGC recourent à un OGC-cadre (Ré:Sonne) pour percevoir les redevances en leur nom auprès de nombreux services (mais pas tous, étant donné que les taux applicables aux services de diffusion en continu interactifs sont négociés directement avec ces derniers).

Comme dans le cas des deux droits distincts des auteurs et des éditeurs (c.-à-d. le droit d’exécution publique et le droit mécanique), les propriétaires d’enregistrements maîtres et les interprètes ont chacun droit à un paiement lors de l’exécution en public de leur musique (droit voisin) et aussi chaque fois que l’œuvre musicale est enregistrée ou reproduite dans le but de la distribuer à des utilisateurs.

Figure 4 : Guide pour la perception de redevances au Canada à l’intention des producteurs de musique

Source : Connect Music.

Figure 4 : Guide pour la perception de redevances au Canada à l’intention des producteurs de musique – version texte

Redevances sur l’exécution publique d’enregistrements sonores perçues et distribuees par Ré:Sonne. Adhérez à l’un des organismes membres ci-dessous :

  1. Propriétaires des droits d’enregistrements maîtres: Si vous êtes propriétaire de vos propres enregistrements sonores (maison de disque, artiste indépendant), devenez membre :
    • Connect OU
    • SOPROQ
  2. Interprètes : Si vous avez exécuté une prestation sur un enregistrement sonore, devenez membre :
    • MROC
    • Recording Artists’ Collecting Society OU
    • Artisti
  3. Compositeurs: Si vous êtes un auteur-compositeur ou un producteur de musique, devenez membre :
    • SOCAN (Exécutions publiques de compositions)
    • ACDRM (Reproduction mécanique de compositions)
    • SODRAC (Reproduction mécanique de compositions)

Il est important de noter que les OGC recueillent les redevances et les distribuent à leurs membres au titre d’un ensemble précis de droits et que chacun de ces droits est aussi associé à un type particulier d’utilisations. Par exemple, le taux des redevances payables à un auteur-compositeur pour l’utilisation de sa musique au cours d’une émission de radio commerciale terrestre n’est pas le même que lorsqu’elle est utilisée dans une émission de radio par satelliteNote de bas de page 65.

3.3 Vue d’ensemble de la répartition des revenus de l’industrie canadienne de la musique enregistrée

La présente section passe sans détour à l’une des constatations les plus révélatrices de l’étude, à savoir la répartition des revenus de l’industrie canadienne de l’enregistrement sonore entre les catégories de titulaires de droits. Nous reconnaissons qu’en communiquant nos résultats à ce stade-ci, nous mettons en quelque sorte la charrue devant les bœufs (ou pour rester plus près du sujet actuel, nous diffusons l’enregistrement avant son exécution, métaphoriquement parlant). Toutefois, en procédant de cette manière, nous limitons la confusion dans notre exposé et mettons immédiatement l’accent sur une question clé de la présente étude : Comment les revenus sont-ils répartis? Les résultats des calculs et la façon dont les estimations ont été obtenues sont présentés aux sections 3.4, 3.5, 3.6 et 3.7.

Nous avons utilisé les données de l’année 2019. Certaines des données de 2020 sont maintenant disponibles, mais il ne s’agit pas d’un ensemble complet. À la lumière des données qui sont actuellement accessibles pour 2020, nous ne nous attendons pas à ce que les résultats varient considérablement par rapport à ceux qui sont présentés ci-dessous à la figure 5 pour 2019 (pour ce qui est des pourcentages).

Figure 5 : Revenus de l’industrie canadienne de l’enregistrement sonore selon la catégorie de titulaires de droits, 2019

Wall Communications Inc., 2021.

Figure 5 : Revenus de l’industrie canadienne de l’enregistrement sonore selon la catégorie de titulaires de droits, 2019 – version texte
Revenus Pourcentage
Auteurs-compositeurs 187,4 M$ 20 %
Éditeurs 143,0 M$ 15 %
Interprètes 125,0 M$ 13 %
Maisons de disques 482,5 M$ 52 %

Les sections qui suivent cet aperçu graphique de nos constatations fournissent des renseignements détaillés sur la figure 5.

3.4 Revenus des auteurs-compositeurs provenant d’enregistrements sonores

Comme nous l’avons signalé, les principaux OGC des droits des auteurs-compositeurs au Canada sont la SOCAN (DE), la SOCAN DR (DR) et l’ACDRM (par le biais de contrats de coédition ou directement par l’ACDRM pour les auteurs-compositeurs qui se chargent eux-mêmes de l’édition)Note de bas de page 66. La SOCAN rapporte que les paiements (ou « répartitions ») de redevances d’exécution remis aux auteurs-compositeurs en 2019 s’élevaient à 96,2 M$, à savoir 33,8 M$ de sources canadiennes et 62,4 M$ de sources étrangères. De plus, en vertu des contrats de coédition conclus entre les auteurs-compositeurs et les éditeurs, une portion des paiements pour DE des éditeurs a été versée aux auteurs-compositeursNote de bas de page 67. Selon nos estimations, 34,9 M$ des revenus des éditeurs tirés de DE au pays ont été redistribués aux auteurs-compositeurs.

Les DR perçus par la SOCAN DR au nom des auteurs-compositeurs et des éditeurs se chiffraient à 12,0 M$. De ce montant, nous évaluons que les auteurs-compositeurs ont touché environ la moitié ou 6,6 M$Note de bas de page 68.

Même si la SOCAN et la SOCAN DR paient directement les auteurs-compositeurs, ces derniers reçoivent également une portion des redevances de reproduction versées aux éditeurs. L’éditeur et l’auteur-compositeur se partagent les paiements de DR selon une base négociéeNote de bas de page 69. Nous évaluons que la portion des DR versés aux éditeurs qui a été redistribuée aux auteurs-compositeurs représentait approximativement 26,0 M$ en 2019Note de bas de page 70.

Au total, les auteurs-compositeurs ont obtenu des redevances estimatives de 163,7 M$ de la part des OGC canadiens.

Il ne s’agit pas du bilan complet des revenus que les auteurs-compositeurs ont tirés de leurs créations musicales enregistrées. Parmi leurs autres sources de revenus figure notamment la synchronisation d’une œuvre musicale avec une production audiovisuelle (p. ex., une émission de télévision ou un film). Les auteurs-compositeurs ont droit à un paiement pour l’utilisation de leur musique dans une production audiovisuelleNote de bas de page 71. Cependant, les paiements pour ce type d’utilisation sont négociés directement entre l’utilisateur de l’œuvre (p. ex., l’entreprise qui produit l’émission ou le film) et le représentant de l’auteur-compositeur (habituellement l’éditeur)Note de bas de page 72.

En 2019, les maisons de disques ont touché des redevances de synchronisation de 6,8 M$ US (ou de 9,0 M$ CAN)Note de bas de page 73. Les auteurs et les éditeurs reçoivent généralement le même paiement que les maisons de disquesNote de bas de page 74. En supposant que ces 9,0 M$ ont été répartis en parts égales entre les auteurs et les éditeurs, les auteurs-compositeurs auraient donc empoché environ 4,5 M$ en 2019 par le biais de licences de synchronisation.

En outre, les auteurs-compositeurs reçoivent aussi un paiement pour l’utilisation de leur œuvre musicale lorsque celle-ci est intégrée à un produit physique comme un vinyle ou un CD. Pour ce type d’utilisation, le tarif est de 8,1 cents par chanson (pour les chansons d’une durée de cinq minutes ou moins). Comme règle empirique, il est utile de savoir que les auteurs-compositeurs et les éditeurs obtiennent environ 10 % de la valeur commerciale des produits physiquesNote de bas de page 75. Les maisons de disques, qui fabriquent et distribuent les produits physiques de musique la plupart du temps, paient normalement leurs redevances à la SOCAN et à la SOCAN DR (bien que l’éditeur soit parfois payé directement par la maison de disques).

En 2019, la valeur commerciale déclarée des ventes de produits physiques s’élevait à 55,8 M$ US ou à 74,2 M$ CANNote de bas de page 76. En utilisant la règle empirique selon laquelle les revenus des auteurs-compositeurs équivalent à 10 % de la valeur au détail, les paiements de redevances de droits remis aux auteurs-compositeurs et aux éditeurs se seraient chiffrés à près de 7,4 M$. Toutefois, ce montant comprend les paiements reçus par les auteurs-compositeurs et les éditeurs de l’extérieur du Canada. En supposant que la proportion de disques canadiens et de disques étrangers achetés par les Canadiens est identique à celle des répartitions versées par la SOCAN aux titulaires de droits canadiens et étrangersNote de bas de page 77 (c.-à-d. 64 % aux Canadiens), les auteurs-compositeurs et les éditeurs canadiens auraient donc touché environ 4,7 M$. La part des auteurs-compositeurs (selon une répartition en parts égales entre l’auteur-compositeur et l’éditeur) se situerait à 2,4 M$ environ pour 2019.

Finalement, nous remarquons que les éditeurs reçoivent des paiements de redevances de la part d’organismes internationaux de droits d’exécution et de sous-éditeurs étrangers. Le montant estimatif connexe est indiqué dans la section ci-après qui porte sur les éditeurs. Les auteurs-compositeurs obtiennent une part de ces paiements de redevances. Selon nos estimations, les auteurs-compositeurs auraient gagné un montant supplémentaire de 16,8 M$ en 2019 grâce aux paiements de redevances internationaux versés directement aux éditeursNote de bas de page 78.

Les auteurs-compositeurs qui ont signé un contrat avec un éditeur étranger reçoivent leurs paiements directement de cet éditeur. Puisque ces paiements ne figurent dans aucun des documents disponibles dans le cadre de la présente étude, nous ne pouvons pas les évaluer.

En résumé, en 2019, les auteurs-compositeurs canadiens ont reçu des paiements de redevances approximatifs de 163,7 M$ de la part d’OGC, des paiements pour droits de synchronisation et d’autres paiements de 6,9 M$, et un montant de 16,8 M$ pour ce qui est des paiements internationaux versés directement aux éditeurs, soit un total de 187,4 M$ pour l’utilisation de leurs œuvres.

3.5 Revenus des éditeurs provenant d’enregistrements sonores

D’après la SOCAN, les éditeurs ont reçu des paiements de redevances d’exécution publique de 99,8 M$ en 2019Note de bas de page 79. Comme nous l’avons déjà expliqué, nous supposons qu’une large part des paiements pour DE versés aux éditeurs est redistribuée aux auteurs-compositeurs en vertu des contrats de coédition, qui sont devenus la norme dans l’industrie anglophoneNote de bas de page 80. Nous évaluons que les éditeurs ont conservé des redevances d’exécution de 64,9 M$ en 2019.

De plus, nous évaluons que les redevances de reproduction représentaient entre 50 % et 75 % des revenus totaux tirés de DENote de bas de page 81. Selon les renseignements dont nous disposons sur la répartition actuelle des DR entre les auteurs-compositeurs et les éditeurs de l’industrie, les revenus des éditeurs seraient de l’ordre de 40,0 M$.

En nous fondant sur une méthodologie d’estimation semblable à celle que nous avons utilisée pour les auteurs-compositeurs (ci-dessus), nous évaluons que les éditeurs ont empoché un montant supplémentaire de 4,5 M$ par le biais de licences de synchronisation ainsi qu’un autre 2,4 M$ grâce aux ventes de produits physiques.

Les éditeurs canadiens peuvent négocier les redevances qu’ils percevront au titre de leurs droits directement avec des organismes de l’étranger ou aussi faire appel à un sous-éditeur ou administrateur étranger. Ces revenus sont versés directement à l’éditeur, sans l’intermédiaire d’un OGC canadien. D’après nos sources de l’industrie, il s’agit de paiements substantiels. Nous en fournissons une estimation ci-dessous lors de la présentation des données de CIRCUM.

En 2019, les éditeurs ont reçu des paiements d’OGC et d’autres droits de licences d’environ 111,8 M$ d’après notre méthode de calcul « ascendante ».

À des fins de comparaison, CIRCUM a déclaré dans son rapport d’enquête que les revenus bruts des éditeurs (avant déduction des paiements aux auteurs-compositeurs et d’autres dépenses) s’élevaient à 255,0 M$ en 2019Note de bas de page 82. Selon les données de CIRCUM, ces revenus totaux de 255,0 M$ comprennent des redevances d’exécution (58 % ou 147,9 M$), des redevances de reproduction (21 % ou 53,6 M$) ainsi que des redevances de synchronisation et d’autres paiements (21 % ou 53,6 M$). Nous remarquons que les paiements pour DE de 147,9 M$ rapportés par CIRCUM sont considérablement plus élevés que ceux qui ont été versés aux éditeurs par la SOCAN en 2019, c.-à-d. de quelque 48,0 M$.

Quelques facteurs peuvent contribuer à expliquer l’écart entre les paiements de redevances d’exécution rapportés par CIRCUM et la SOCAN. Il se peut que les protocoles de rapport et les définitions diffèrent selon la partie déclarante et que d’autres aspects de la collecte des données varient entre la SOCAN et CIRCUM. Cependant, il est fort probable que l’écart entre les paiements de redevances d’exécution déclarés pour les éditeurs soit principalement attribuable aux paiements assez imposants qui sont versés directement aux éditeurs canadiens par les ODE et les sous-éditeurs étrangers. Pour illustrer à quel point ces paiements internationaux directs peuvent être élevés, nous croyons savoir que les trois grandes maisons de disques (et en réalité beaucoup, sinon la plupart des éditeurs indépendants) sont membres directs de sociétés de gestion collective étrangères ou font appel à un sous-éditeur qui est membre d’un ODE étranger. Ces paiements de redevances ne sont donc pas versés par l’intermédiaire de la SOCANNote de bas de page 83.

Les paiements internationaux versés directement aux éditeurs canadiens sont répartis entre les auteurs-compositeurs et les éditeurs. Nous évaluons que les éditeurs conservent 31,2 M$ de ces paiements.

En nous appuyant sur nos calculs estimatifs des paiements répartis entre les auteurs-compositeurs et les éditeurs pour divers droits, nous évaluons que les éditeurs ont reçu au total des paiements de redevances nets (c.-à-d. après avoir payé les autres titulaires de droits) d’environ 143,0 M$ en 2019Note de bas de page 84.

3.6 Revenus des interprètes provenant d’enregistrements sonores

Tel que nous l’avons précisé antérieurement, les interprètes vedettes négocient avec la maison de disques le pourcentage de revenus que cette dernière tirera de leurs enregistrements. Les ententes de partage peuvent prendre de nombreuses formes, mais il semble que le modèle « global » soit le plus courant. Dans ce type d’entente, la maison de disques et l’interprète conviennent du ratio en pourcentage en fonction duquel tous les revenus tirés d’un enregistrement seront répartisNote de bas de page 85.

En règle générale, les interprètes d’accompagnement (comme les musiciens de séance) ne peuvent pas se prévaloir de ce type d’entente de partage des revenus. Ils sont payés selon un taux à la séance (ou à l’heure). Néanmoins, ils ont droit à des paiements de redevances lorsque des œuvres enregistrées sur lesquelles ils figurent sont transmises au grand public. Ces paiements, qui sont relativement modestes (par exemple, aucun paiement n’est versé pour les revenus tirés de la diffusion en continu interactive), sont perçus par Ré:Sonne (voir ci-dessous).

Trois OGC se spécialisent dans la perception des redevances destinées aux interprètes, soit la MROC, Artisti et l’ACTRA RACS. Ils sont tous trois membres de Ré:Sonne, un organisme-cadre chargé de percevoir des redevances (une rémunération équitable) en leur nom (bien que chacun d’eux perçoive également certaines redevances directement auprès de tiers). Ré:Sonne verse ensuite ces paiements aux OGC membres, qui les distribuent à leur tour à leurs membres. Comme nous l’avons indiqué précédemment, Ré:Sonne ne recueille aucune redevance auprès des services de diffusion en continu interactifs (comme Spotify et Apple Music). Ces redevances sont versées par le service de diffusion en continu à la maison de disques, qui paie ensuite l’interprète selon les conditions de leur contrat.

La MROC se charge de la perception des redevances d’exécution (rémunération équitable), tandis que deux OGC situés au Québec s’occupent à la fois des redevances d’exécution et de reproduction (ils recueillent majoritairement des redevances d’exécution). Au total, les trois OGC ont reçu des paiements de 28,2 M$ destinés aux interprètes en 2019.

Le taux de répartition des revenus entre l’interprète et la maison de disques pour les produits physiques se situait habituellement entre 10 % et 15 % dans les ententes standard, mais de nouveaux types d’ententes de partage ont fait leur apparitionNote de bas de page 86 (il convient de noter que l’interprète doit rembourser les fonds avancés par la maison de disques avant de toucher un revenu net)Note de bas de page 87. Dans le cadre d’autres ententes de partage entre les interprètes et les maisons de disques, l’interprète obtient parfois une part plus élevée. Comme ces parts sont directement négociées entre l’interprète et la maison de disques, le pouvoir de négociation de chaque partie, qui repose sur plusieurs facteurs, influence fortement la détermination de la répartitionNote de bas de page 88. Même dans les cas où un contrat sur les « bénéfices nets » est négocié (en vertu duquel l’interprète et la maison de disques se partagent les bénéfices nets, par exemple en parts égales), les coûts récupérables (tels que les dépenses liées à l’enregistrement et les coûts de promotion et de marketing) sont d’abord remboursés à la maison de disques avant que les revenus puissent être partagés. Étant donné que les coûts récupérables ne sont pas recouvrés pour la plupart des enregistrements, nous pouvons considérer que la part moyenne des interprètes se situe entre 10 % et 20 % pour les besoins de nos estimations.

Comme nous l’avons signalé, les données sur les revenus des interprètes de l’industrie (autres que celles que les OGC ont fournies) ne sont pas directement accessibles. Par contre, les données sur les revenus des maisons de disques sont disponibles (et peuvent être utilisées pour calculer les revenus estimatifs des interprètes en 2019). La FIIP a rapporté que les revenus de l’industrie (c.-à-d. des maisons de disques) s’élevaient à 465,8 M$ US (ou à 607,5 M$ CAN) en 2019Note de bas de page 89. Le montant réel des revenus partageables est largement inférieur, puisque certains coûts doivent être déduits (p. ex., les coûts de distribution, qui représentent généralement environ 10 % des revenus bruts, ont pour effet de réduire les revenus pouvant être partagés). Sur la base des indications de l’industrie, nous considérerons que les revenus de base partageables entre la maison de disques et l’interprète correspondent à 80 % des revenus bruts.

En 2019, les revenus pouvant être partagés se chiffraient donc à 486,0 M$. Selon un ratio de répartition de 15:85, les interprètes ont gagné environ 73,0 M$. Pour ce qui est de la fourchette supérieure, si nous utilisons un ratio de répartition de 25:75, les interprètes ont touché approximativement 121,5 M$Note de bas de page 90. Pour obtenir les revenus totaux de l’industrie, il faut également ajouter les revenus des interprètes provenant des OGC (soit 28,2 M$ supplémentaires).

Par conséquent, nous évaluons qu’en 2019, les revenus totaux que les interprètes ont tirés d’enregistrements sonores se situent entre 100,0 M$ et 150,0 M$.

3.7 Revenus des maisons de disques provenant d’enregistrements sonores

En 2019, les revenus bruts des maisons de disques ont atteint 607,5 M$Note de bas de page 91. Pour éviter une double comptabilisation, nous déduisons les paiements versés aux interprètes (qui se situent environ entre 100,0 M$ et 150,0 M$, ou à près de 125 M$ en moyenne). Les revenus des maisons de disques (après déduction des paiements aux interprètes) en 2019 se chiffrent donc entre 457,5 M$ et 507,5 M$Note de bas de page 92.

3.8 Revenus de l’industrie selon la catégorie de titulaires de droits

Résumé : Revenus de l’industrie selon la catégorie de titulaires de droits

Tableau 2 : Revenus de l’ensemble de l’industrie selon la catégorie de titulaires de droits, 2019
Auteurs-compositeurs Éditeurs Interprètes Maisons de disques
Revenus 187,4 M$ 143,0 M$ 125 M$ 482,5 M$
Pourcentage 20 % 15 % 13 % 52 %

Wall Communications Inc., 2021.

Revenus de l’industrie canadienne de la musique provenant de la diffusion en continu selon la catégorie de titulaires de droits

4.1 Aperçu de la diffusion en continu au sein de l’industrie canadienne de l’enregistrement sonore

D’après tous les renseignements rendus publics, la diffusion en continu est devenue la plus importante source de consommation de musique au Canada et dans d’autres pays du monde entier. Statistique Canada n’a rapporté aucun revenu de diffusion en continu pour l’industrie en 2013 et en 2015, mais ce secteur représentait le plus grand contributeur aux ventes en 2017, dans une proportion de 43 % (toutes catégories confondues de ventes physiques ou numériques), et a généré 69 % des revenus de ventes en 2019Note de bas de page 93. La FIIP a indiqué que les revenus de la diffusion en continu (pour les maisons de disques) se chiffraient à 129,0 M$ US en 2016 (ou à 35 % des revenus totaux) et qu’ils avaient grimpé à 359,0 M$ US (ou à 74 % des revenus totaux) en 2020. Selon les données de MRC et de Nielsen, le nombre de diffusions audio en continu sur demande est passé de 22,9 milliards en 2016 à 75,6 milliards en 2019, tandis que le nombre de téléchargements numériques et de ventes physiques a chuté, confirmant ainsi l’essor (et maintenant la prédominance) de la diffusion en continu en tant que mode de consommation de musique privilégiéNote de bas de page 94.

La figure 6 et le tableau 3 ci-après illustrent la croissance de la diffusion en continu sur le marché canadien.

Figure 6 : Revenus de l’industrie de la musique enregistrée selon le format (rapport de la FIIP sur le marché mondial de la musique : Canada) de 2016 à 2020 ($ US)

Rapport de 2021 de la FIIP sur le marché mondial de la musique (Canada) et Wall Communications Inc., 2021.

Figure 6 : Revenus de l’industrie de la musique enregistrée selon le format (rapport de la FIIP sur le marché mondial de la musique : Canada) de 2016 à 2020 ($ US) – version texte
Année Diffusion en continu Autres Total
2016 129 200 000 241 900 000 371 M$
2017 194 000 000 230 500 000 425 M$
2018 255 900 000 170 600 000 427 M$
2019 304 800 000 142 000 000 447 M$
2020 359 000 000 124 000 000 483 M$
Tableau 3 : Revenus de l’industrie de la musique enregistrée selon le format (rapport de la FIIP sur le marché mondial de la musique : Canada) de 2016 à 2020 ($ US)
2016 2017 2018 2019 2020
Diffusion en continu 129,2 M$ 194,0 M$ 255,9 M$ 304,8 M$ 359,0 M$
Total des revenus de l’industrie de la ME 371,1 M$ 424,5 M$ 426,5 M$ 446,8 M$ 483,0 M$
Part de la diffusion en continu 34,8 % 45,7 % 60,0 % 68,2 % 74,4 %

Rapport de 2021 de la FIIP sur le marché mondial de la musique (Canada) et Wall Communications Inc., 2021.

Bien que l’essor de la diffusion en continu ait eu pour effet de stimuler l’industrie, les différents secteurs de l’industrie n’ont toutefois pas profité des revenus qui en découlent dans les mêmes proportions.

Comme nous l’avons fait à la section 4, nous présentons en premier lieu nos constatations (les valeurs sont en $ CAN à la figure 7). Les sections 4.2, 4.3, 4.4 et 4.5 fournissent des renseignements détaillés sur la façon dont nous avons déterminé les parts estimatives des revenus tirés de la diffusion en continu selon la catégorie de titulaires de droits.

Figure 7 : Revenus issus de la diffusion en continu au Canada selon la catégorie de titulaires de droits, 2019

Wall Communications Inc., 2021.

Figure 7 : Revenus issus de la diffusion en continu au Canada selon la catégorie de titulaires de droits, 2019 – version texte
Revenus Pourcentage
Auteurs-compositeurs 30,0 M$ 6 %
Éditeurs 41,0 M$ 8 %
Interprètes 85,7 M$ 17 %
Maisons de disques 342,7 M$ 69 %

4.2 Revenus des auteurs-compositeurs provenant de la diffusion en continu

Comme nous l’avons mentionné, la majeure partie des revenus de redevances des auteurs-compositeurs canadiens proviennent des paiements des OGC. Dans le cas de la diffusion en continu, les revenus de redevances des auteurs-compositeurs sont d’abord tous versés à un OGC (c.-à-d. à la SOCAN, à l’ACDRM ou à des OGC internationaux). Des paiements estimatifs totaux de 33,8 M$ qui ont été perçus par la SOCAN auprès de sources nationales, puis versés aux auteurs-compositeurs, seulement 3,0 M$ proviennent de la diffusion audio et audiovisuelle en continu (c.-à-d. 9 %). En supposant que le ratio de répartition est le même pour les paiements de sources étrangères et de sources canadiennesNote de bas de page 95, les auteurs-compositeurs canadiens auraient obtenu environ 5,6 M$ de la diffusion en continu (c.-à-d. 9 % des revenus tirés de sources étrangères, qui totalisent 62,4 M$).

Les auteurs-compositeurs peuvent également toucher une part des revenus des éditeurs (par le biais d’un contrat de coédition, qui constitue une pratique courante). Ces paiements de redevances sont évalués à 7,8 M$ pour 2019Note de bas de page 96.

Les paiements de redevances de diffusion en continu distribués aux auteurs-compositeurs en 2019 par la SOCAN se chiffrent donc à 8,6 M$ environ. En outre, les auteurs-compositeurs tirent des revenus des DR (versés par la SOCAN DR, une division de la SOCAN). En 2019, les revenus totaux provenant de la SOCAN DR s’élevaient à 12,0 M$. Ces paiements sont principalement des redevances de reproduction pour la diffusion en continu. Selon nos estimations, la diffusion en continu représentait entre 50 % et 60 % (ou 55 % en moyenne) des redevances de reproduction en 2019. Par conséquent, nous évaluons que les auteurs-compositeurs ont reçu des paiements de 6,6 M$ de la part de la SOCAN DR en 2019 en lien avec la diffusion en continu.

Les éditeurs touchent des redevances de reproduction par l’entremise de l’ACDRM, mais doivent en verser une part aux auteurs-compositeurs, selon les conditions de leur contrat. Pour 2019, nous évaluons que les paiements de DR remis aux auteurs-compositeurs (soit la part des revenus des éditeurs qui leur est redistribuée) au chapitre de la diffusion en continu s’élevaient à 14,8 M$.

Le total des redevances versées aux auteurs-compositeurs en 2019 pour la diffusion en continu est donc évalué à 30,0 M$.

4.3 Revenus des éditeurs provenant des services de diffusion en continu

Comme dans le cas des auteurs-compositeurs, tous les paiements de redevances versés aux éditeurs pour la diffusion en continu au Canada sont d’abord perçus par un OGC avant d’être distribués aux titulaires de droits d’édition. La SOCAN déclare avoir remis aux éditeurs des paiements de 22,3 M$ provenant de sources canadiennes en 2019 au titre de la diffusion en continu (sur des revenus nationaux totaux de 93,1 M$). De ce total, les éditeurs conservent environ 65 % (ou 14,5 M$), et la portion restante est versée aux auteurs-compositeurs.

Les éditeurs ont également reçu des paiements supplémentaires d’environ 4,0 M$ de la SOCAN DR. Finalement, tous les autres paiements de DR distribués aux éditeurs sont évalués à 22,2 M$ pour 2019 (après déduction des parts redistribuées aux auteurs-compositeurs).

Au total, en 2019, les éditeurs ont obtenu des paiements nets approximatifs de 41,0 M$ de la part d’OGC en lien avec les services de diffusion en continuNote de bas de page 97.

4.4 Revenus des interprètes provenant des services de diffusion en continu

Comme nous l’avons indiqué, les revenus que les interprètes tirent des enregistrements sonores sont habituellement négociés entre l’interprète et la maison de disques. Les modalités peuvent varier considérablement, c.-à-d. que les ratios de répartition peuvent être aussi bas que 15:85 ou plus élevés (interprète/maison de disques). Cependant, en règle générale, le ratio de répartition moyen au sein de l’industrie se situe plutôt autour de 20:80 (interprète/maison de disques)Note de bas de page 98. Au cours de l’enquête menée actuellement au Royaume-Uni sur la diffusion de musique en continu, un représentant d’une grande maison de disques a signalé que le ratio de répartition prévu dans la plupart des contrats entre les artistes et les maisons de disques est de 20:80Note de bas de page 99. Nous constatons que, même si les redevances issues des services de diffusion en continu non interactifs sont partagées en parts égales entre les interprètes et les maisons de disques, la majorité des revenus tirés de la diffusion en continu proviennent des services de diffusion en continu interactifs comme Spotify et Apple Music (et ils ne sont donc pas répartis en parts égales).

D’après les données de la FIIP concernant le Canada, les maisons de disques ont tiré des revenus bruts de 322,1 M$ US (ou de 428,4 M$ CAN) de la diffusion en continu en 2019. Selon un ratio de répartition de 20:80, les interprètes ont touché environ 85,7 M$ CAN.

4.5 Revenus des maisons de disques provenant des services de diffusion en continu

En supposant qu’elles empochent 80 % des revenus déclarés provenant de la diffusion en continu, les maisons de disques auraient gagné environ 342,7 M$ en 2019. À titre de comparaison, Statistique Canada rapporte des revenus de diffusion en continu de 312,9 M$ pour les producteurs et les distributeurs d’enregistrementsNote de bas de page 100.

4.6 Revenus de l’industrie provenant de la diffusion en continu selon la catégorie de titulaires de droits

Les revenus estimatifs de chaque catégorie de titulaires de droits sont présentés ci-dessous.

Tableau 4 : Revenus tirés des services de diffusion en continu selon la catégorie de titulaires de droits, 2019
Auteurs-compositeurs Éditeurs Interprètes Maisons de disques
Revenus 30,0 M$ 41,0 M$ 85,7 M$ 342,7 M$
Pourcentage 6 % 8 % 17 % 69 %

Wall Communications Inc., 2021.

Analyse approfondie du secteur de la diffusion en continu : les grandes maisons de disques par rapport aux maisons de disques indépendantes; le Canada par rapport à l’étranger; le marché francophone québécois; et la COVID-19

5.1 Comparaison entre les grandes maisons de disques et les maisons de disques indépendantes

Comme nous l’avons signalé plus tôt, les maisons de disques peuvent être divisées en trois catégories, soit les grandes maisons de disques, les maisons de disques indépendantes et les artistes amateurs (les artistes qui s’acquittent essentiellement eux-mêmes du rôle d’une maison de disques).

Sony, Universal Music Group (UMG) et Warner sont généralement considérées comme les trois grandes maisons de disques. BMG était considérée comme la quatrième grande maison de disques jusqu’à son rachat par Sony en 2008 (BMG a conservé les droits sur les enregistrements maîtres des œuvres d’environ 200 artistes). BMG a depuis fait l’objet d’une restructuration et se concentre maintenant principalement sur l’édition, mais elle a aussi élargi ses activités en tant que maison de disques, ce qui lui a permis de générer des revenus (à la fois à titre de maison de disques et d’éditeur) de 674,0 M$ US en 2019Note de bas de page 101.

Bien que la taille de BMG soit importante par rapport à celle de la grande majorité des maisons de disques et des éditeurs, elle est nettement inférieure à celle de Sony Music (4,2 G$ US)Note de bas de page 102, de Warner (4,5 G$ US)Note de bas de page 103 ou d’UMG (8,0 G$ US)Note de bas de page 104.

L’entreprise AWAL a également été désignée comme une « grande maison de disques ». En 2019, Kobalt (qui comprend AWAL) a déclaré des revenus de 543 M$ US (dont près de 75 % provenaient des activités d’édition de Kobalt)Note de bas de page 105. Récemment, Sony a fait l’acquisition de la maison de disques AWAL et de la division des droits voisins de Kobalt, faisant ainsi de Kobalt une entreprise d’édition principalement.

Pour les besoins de la présente étude, nous désignerons Sony, UMG et Warner comme les « grandes » maisons de disques, tout en précisant le rôle que jouent BMG et les autres maisons de disques importantes qui ne sont pas considérées comme de grandes maisons de disques, lorsqu’approprié.

Selon Music and CopyrightNote de bas de page 106, les trois grandes maisons de disques détenaient 68 % du marché mondial de la musique enregistrée, à raison de 32 % pour Universal Music Group, de 20 % pour Sony Music Entertainment et de 16 % pour Warner Music Group. De plus, les divisions d’édition des grandes maisons de disques occupaient 58 % du marché mondial de l’édition, soit une part de 25 % pour Sony, de 21 % pour Universal Music Publishing et de 12 % pour Warner Chappell Music. MIDiA Research a évalué que la part du marché mondial détenue en 2019 par les grandes maisons de disques s’élevait à 66,5 %Note de bas de page 107.

Il y a lieu de mentionner le rôle que joue Merlin auprès des étiquettes indépendantes. Merlin n’est pas une maison de disques au sens conventionnel. Il s’agit en fait d’un organisme-cadre d’octroi de licences numériques qui regroupe des milliers de maisons de disques et distributeurs indépendants. Son fonctionnement s’apparente à celui d’une maison de disques, dans la mesure où elle se charge des négociations (au nom de ses membres) avec les services de musique numérique, en utilisant l’influence combinée de ses membres pour accroître son pouvoir de négociation. Merlin compte apparemment parmi ses membres 20 000 maisons de disques et distributeurs du monde entierNote de bas de page 108 et a versé à ses membres des paiements de redevances d’environ 715 M$ US au cours de l’exercice financier de 2019.

Tableau 5 : Nombre de maisons de disques selon la catégorie : grandes maisons de disques, maisons de disques indépendantes et artistes amateurs
Dans le monde Canada
Grandes maisons de disques + BMG 3 + 1 3 + 1
Maisons de disques indépendantes Un très grand nombre 144 (au sein de l’ACMI) et probablement beaucoup plus à l’extérieur de l’ACMI
Artistes amateurs Au-delà d’un très grand nombre Un très grand nombre

Sources : Merlin, ACMI et Wall Communications Inc., 2021.

La part de marché détenue par chaque catégorie de maisons de disques est moins bien documentée, notamment en ce qui touche le marché canadien et plus particulièrement la diffusion en continuNote de bas de page 109.

Tableau 6 : Part du marché de chaque catégorie de maisons de disques : marché mondial, marché canadien et marché canadien de la diffusion en continu
Part du marché mondial (ensemble de l’industrie de l’enregistrement sonore) Canada (ensemble de l’industrie de l’enregistrement sonore) Diffusion en continu au Canada
Grandes maisons de disques 66 % (incluant BMG) 75 % 72 %
Maisons de disques indépendantes 29 % S.O. S.O.
Artistes amateurs 5 % S.O. S.O.

Sources : MIDiA Research, 2020; Merlin; WINTEL; et Wall Communications Inc., 2021.

À titre de complément d’information, nous remarquons que deux des dix principales maisons de disques indépendantes au Canada sont membres de MerlinNote de bas de page 110.

Tableau 7 : Les dix principales maisons de disques indépendantes au Canada (FIIP, 2019)

Pour ce qui est des rôles relatifs des maisons de disques indépendantes et des grandes maisons de disques dans le marché canadien de la diffusion en continu, il est possible de les évaluer en partie en examinant les données concernant le rendement qui est obtenu sur les services de diffusion en continu par divers artistes et chansons représentés par chaque catégorie de maisons de disquesNote de bas de page 111.

Parmi les 50 chansons les plus diffusées en continu au Canada (d’artistes canadiens et étrangers) en 2020, il n’y avait aucun interprète vedette représenté par une étiquette indépendante (canadienne ou internationale). Tous les interprètes de ces chansons étaient représentés par une grande maison de disques. Selon nous, il s’agit d’une indication du rôle prépondérant que jouent les grandes maisons de disques sur le marché canadien.

Si nous examinons uniquement les artistes canadiens afin de comparer le rendement des grandes maisons de disques et des maisons de disques indépendantes pour la diffusion en continu, les résultats sont pratiquement les mêmes. Sur les 50 chansons d’artistes canadiens (ou qui comprenaient un interprète vedette canadien en duo ou dans un ensemble) les plus diffusées en continu au Canada en 2020, 44 étaient interprétées par un artiste vedette représenté par une grande maison de disques (c.-à-d. UMG, Sony ou Warner) ou étaient distribuées par une grande maison de disquesNote de bas de page 112. Quatre chansons étaient interprétées par un artiste d’une étiquette indépendante étrangère (Armada), et une chanson, par un artiste de BMG. Une autre des chansons était interprétée par un artiste vedette d’une maison de disques indépendante canadienne (« Best Part » de Daniel Caesar).

La chanson « Best Part », qui se classait au 47e rang dans la liste des 50 chansons les plus diffusées en continu, a recueilli 0,01 % de l’ensemble des diffusions attribuables aux chansons sur cette liste. En comparaison, les chansons d’artistes de grandes maisons de disques figurant sur la liste ont cumulé 91,7 % de l’ensemble des diffusions en continu au Canada. En ce qui concerne la diffusion en continu sur le marché mondial, aucun interprète canadien représenté par une maison de disques indépendante ne figurait dans la liste des 50 chansons les plus diffusées à l’échelle internationale.

L’examen du rendement des 50 chansons les plus diffusées en continu au Canada (de tous les artistes confondus ou seulement d’artistes canadiens) ne constitue en aucun cas une évaluation complète du marché, mais il fournit une indication claire des différents rôles des maisons de disques indépendantes par rapport à ceux des grandes maisons de disques au sein de l’industrie.

Figure 8 : Parts des diffusions parmi les 50 chansons d’artistes canadiens les plus diffusées en continu au Canada, 2020

Wall Communications Inc., 2021.

Figure 8 : Parts des diffusions parmi les 50 chansons d’artistes canadiens les plus diffusées en continu au Canada, 2020 – version texte
Grandes maisons de disques 91,70 %
Armada 6,20 %
BMG 1,70 %
Maisons de disques indépendantes canadiennes 0,01 %

En ce qui a trait aux 50 chansons les plus diffusées, les grandes maisons de disques dominent le marché de la diffusion en continu tous genres confondus, mais elles sont également en tête dans pratiquement tous les genres pris individuellement (c.-à-d. le rap, le R&B, le country, le populaire, la musique de danse ou le rock). Aucun interprète canadien représenté par une maison de disques indépendante canadienne ne figure dans cette liste, quel que soit le genre.

Collectivement, les dix principales maisons de disques indépendantes canadiennes représentent environ 400 interprètesNote de bas de page 113. Elles peuvent compter quelques artistes (six artistes chez Last Gang et huit artistes chez Bonsound) ou des dizaines d’artistes (65 artistes chez Arts & Crafts, 104 artistes chez Dine Alone et 104 artistes actifs chez Nettwerk). Le nombre d’artistes vedettes figurant au registre des autres étiquettes indépendantes se situe entre 14 et 38.

Les dix principales maisons de disques indépendantes (recensées par la FIIP) recueillent un nombre relativement limité de diffusions en continu sur la plateforme SpotifyNote de bas de page 114. En nous fondant sur les chansons lancées par ces maisons de disques au cours des trois dernières années (de 2018 à 2020), nous présentons dans le tableau ci-dessous le nombre de diffusions en continu des chansons de tous les artistes figurant dans leur registreNote de bas de page 115.

Tableau 8 : Nombre total de diffusions en continu par tous les artistes des dix principales maisons de disques indépendantes canadiennes (chansons lancées entre 2018 et 2020)
Nombre total de diffusions en continu par tous les artistes de la maison de disques
Arts & Crafts 64 millions
Music Bonsound 5 millions
Dare to Care (maintenant Bravo Music) < 1 million
Dine Alone 31 millions
Audiogramme < 1 million
Analekta < 2 millions
Last Gang 128 millions
Nettwerk > 100 millions
Secret City 148 millions
Six Shooter 52 millions
TOTAL 431 millions (excluant Nettwerk); 581 millions (incluant Nettwerk, dont le nombre de diffusions en continu s’élève à 150 millions environ)

Sites Web des maisons de disques, Spotify et Wall Communications Inc., 2021.

Il est instructif de comparer le rendement, au chapitre de la diffusion en continu sur Spotify, des artistes canadiens représentés par une grande maison de disques et de ceux qui sont représentés par une maison de disques indépendante. Par exemple, pour ce qui est des 50 chansons les plus diffusées en continu au Canada (de quelque 35 artistes canadiens)Note de bas de page 116, les grandes maisons de disques ont recueilli 1,05 milliard de diffusions en une seule année, tandis que les dix principales maisons de disques indépendantes canadiennes ont obtenu entre 431 millions et 581 millions de diffusions environ pour les chansons de l’ensemble des artistes de leur registre (près de 400 artistes) lancées au cours des trois dernières années.

En moyenne, les 35 artistes canadiens représentés par une grande maison de disques ont cumulé chacun 30 millions de diffusions pour leurs chansons qui figurent dans la liste des 50 chansons les plus diffusées en continu seulement (remarque : le nombre total de diffusions pour toutes leurs chansons qui sont accessibles sur Spotify serait beaucoup plus élevé). Les artistes représentés par l’une des dix principales maisons de disques indépendantes canadiennes ont, quant à eux, recueilli en moyenne entre 1,1 million et 1,5 million de diffusions chacun au cours d’une période de trois ans (pour les chansons lancées pendant cette période).

La répartition du nombre de diffusions entre les artistes des étiquettes indépendantes est également très inégale. Du total estimatif de 431 millions de diffusions recueillies par les artistes des neuf principales maisons de disques indépendantes canadiennes (excluant Nettwerk) que nous avons examinées, 314 millions ou 73 % sont attribuables à huit artistes. La concentration des diffusions parmi un nombre relativement faible d’artistes est largement connue dans le milieu de la musique, et les données susmentionnées confirment que ce constat s’applique également au secteur indépendant canadien.

5.2 Comparaison entre la participation du Canada et la participation étrangère au marché de la diffusion en continu

L’énorme présence des grandes maisons de disques sur le marché canadien de la diffusion en continu (dont il est question à la section précédente) témoigne également du contraste entre la situation des producteurs canadiens et celle des producteurs étrangers. Même si les grandes maisons de disques maintiennent chacune une forte présence au Canada du fait qu’elles y ont des bureaux et du personnel, elles sont des entités qui appartiennent à des étrangers. À ce titre, si le marché canadien de la diffusion en continu est dominé par les grandes maisons de disques, il est aussi dominé par des entreprises étrangères. Comme nous l’avons mentionné, la part détenue par les grandes maisons de disques dans le marché canadien de la diffusion en continu est évaluée à 72 %.

Par ailleurs, la SOCAN rapporte que, sur les 34,9 M$ distribués aux auteurs-compositeurs et aux éditeurs pour la diffusion en continu (excluant le contenu audiovisuel en ligne) en 2019, 20,9 M$ (53,3 %) ont été versés à des auteurs-compositeurs et à des éditeurs de l’extérieur du Canada.

En ce qui concerne le rôle des interprètes vedettes canadiens, leur rendement est nettement en hausse sur le marché de la diffusion en continu. Plus particulièrement, nous constatons que plusieurs interprètes canadiens connaissent un succès considérable sur le marché de la diffusion en continu au Canada et dans d’autres pays, notamment Drake, The Weeknd, Justin Bieber et Shawn Mendes. Selon Spotify, Drake et The Weeknd figuraient parmi les cinq artistes les « plus diffusés en continu » dans le monde en 2020Note de bas de page 117. En 2020, Drake aurait recueilli plus 5 milliards de diffusions sur Spotify et Apple à l’échelle mondialeNote de bas de page 118. De plus, il est l’artiste qui a obtenu le plus grand nombre de diffusions sur Spotify au cours de la décennieNote de bas de page 119.

Parmi les 50 artistes les plus diffusés en continu en 2020 à l’échelle mondiale, trois artistes sont canadiens, soit Drake (5,6 milliards de diffusions), The Weeknd (3,5 milliards de diffusions) et Justin Bieber (1,9 milliard de diffusions)Note de bas de page 120.

Comme il fallait s’y attendre, les artistes canadiens ont également fait bonne figure sur le marché canadien de la diffusion en continu. Huit des 50 chansons les plus diffusées en continu au Canada en 2020 mettaient en vedette des artistes canadiens en solo ou en duo. Du total de 2,42 milliards de diffusions des 50 chansons les plus diffusées en continu au Canada, les chansons interprétées par des Canadiens ont recueilli 372,9 millions de diffusions ou 15,4 % de celles-ci.

Tableau 9 : Chansons d’interprètes canadiens comptant parmi les 50 chansons les plus diffusées en continu (Canada, 2020)
Chanson Interprète Nombre de diffusions en continu
Blinding Lights The Weeknd 87 741 052
Intentions Justin Bieber 55 669 999
Toosie Slide Drake 47 649 361
If The World Was Ending JP Saxe 43 754 708
Laugh Now Cry Later Drake 35 516 919
Senorita Shawn Mendes et Camila Cabello 35 407 686
10,000 Hours Dan + Shay et Justin Bieber 34 638 772
I Don't Care Ed Sheeran et Justin Bieber 32 550 367
- - 372 928 864

Sources : MRC Data et Wall Communications Inc.

Compte tenu du fait que seul un petit nombre d’artistes canadiens connaissent un énorme succès sur le marché de la diffusion en continu, les revenus des autres artistes canadiens (p. ex., les artistes indépendants, mais aussi les artistes moins populaires des grandes maisons de disques) sont inférieurs, et de beaucoup, aux leurs. Du total de 1,15 milliard de diffusions des 50 chansons d’artistes canadiens les plus diffusées en continu au Canada (2020), 700,2 millions de diffusions (plus de 60 %) ont été cumulées par quatre artistes seulement, soit Drake, The Weeknd, Justin Bieber et Shawn Mendes.

Tableau 10 : Chansons les plus diffusées en continu au Canada mettant en vedette Drake, The Weeknd, Bieber ou Mendes, 2020
Chanson Interprète Nombre de diffusions en continu
One Dance Drake 11 928 522
The Hills The Weeknd 11 991 199
Yes Indeed Lil Baby et Drake 12 381 209
Girls Need Love Summer Walker et Drake 12 409 594
Starboy The Weeknd 12 572 550
Nonstop Drake 13 444 968
Forever Justin Bieber 16 039 924
If I Can't Have You Shawn Mendes 15 481 270
God's Plan Drake 15 132 744
Wonder Shawn Mendes 14 880 776
Smile Juice WRLD et The Weeknd 16 896 641
Lonely Justin Bieber 17 441 152
After Hours The Weeknd 19 591 729
In Your Eyes The Weeknd 28 022 561
Stuck With U Ariana Grande et Justin Bieber 25 702 530
Money In The Grave Drake 24 911 292
HOLY Justin Bieber 24 363 247
Heartless The Weeknd 23 253 782
Chicago Freestyle Drake 23 063 901
Laugh Now Cry Later Drake 35 516 919
Senorita Shawn Mendes et Camila Cabello 35 407 686
10,000 Hours Dan + Shay et Justin Bieber 34 638 772
I Don't Care Ed Sheeran et Justin Bieber 32 550 367
Yummy Justin Bieber 31 537 954
Blinding Lights The Weeknd 87 741 052
Intentions Justin Bieber 55 669 999
Toosie Slide Drake 47 649 361
- - 700 221 701

Sources : MRC Data 2020 et Wall Communications Inc., 2021.

Le fait que le marché de la diffusion en continu est en grande partie monopolisé par des interprètes étrangers et par quelques interprètes canadiens extrêmement populaires a une incidence sur les revenus de la plupart des interprètes canadiens (autres que ceux qui occupent l’échelon supérieur).

Pour les interprètes, ce résultat « biaisé vers la gauche » (c.-à-d. une courbe de répartition qui prend la forme d’une longue traîne vers la gauche et dont le sommet se trouve à l’extrémité droite) quant au nombre de diffusions en continu sous-entend des inégalités similaires au niveau des revenus. Cette corrélation est attribuable au fait que les paiements de redevances pour la diffusion en continu sont déterminés en fonction du nombre de diffusions. Il est donc fort probable que ce déséquilibre entre les revenus se manifeste chez les auteurs-compositeurs et les éditeurs, en plus des interprètes. Puisque les revenus que les interprètes tirent de la diffusion en continu au Canada sont concentrés entre les mains d’un nombre relativement faible d’artistes canadiens populaires, ces derniers monopolisent également les revenus provenant de la composition et de l’édition. Drake est crédité comme auteur ou coauteur pour la plupart de ses chansonsNote de bas de page 121, et il en va de même pour The Weeknd, Justin Bieber et Shawn MendesNote de bas de page 122.

Les artistes, les producteurs, les auteurs-compositeurs et les éditeurs de l’étranger dominent toujours le marché canadien de la diffusion en continu, mais il est important de signaler que relativement peu de titulaires de droits canadiens connaissent du succès ou du moins le plus haut niveau de succès.

Il convient de noter une autre caractéristique qui distingue les auteurs-compositeurs canadiens et les auteurs-compositeurs étrangers sur le marché de la diffusion en continu. En 2019, les répartitions versées aux auteurs-compositeurs canadiens par l’intermédiaire de la SOCAN pour ce qui est des médias traditionnels (comme la radio) représentaient 34,1 % des répartitions totales (dont 65,9 % ont été versées à des auteurs de sociétés étrangères)Note de bas de page 123. En ce qui touche les services numériques (les services de diffusion en continu étant les plus importants d’entre eux), les répartitions versées aux auteurs-compositeurs canadiens ne comptaient que pour 10,6 % du total des répartitions. Tandis que les revenus provenant des médias traditionnels ont chuté au cours des dernières années et qu’ils continuent de chuter, le pourcentage des répartitions versées aux auteurs-compositeurs canadiens pour la diffusion en continu est beaucoup plus faible.

5.3 Le marché francophone québécois

Le marché canadien de la musique francophone (qui est principalement situé au Québec) se distingue du reste du marché canadien à plusieurs égardsNote de bas de page 124. Étant donné que la langue des produits culturels a créé un obstacle partiel avec le reste du Canada (et avec la majeure partie des États-Unis et des autres pays), les créateurs de musique francophone du Québec ont évolué dans un écosystème musical distinct au sein duquel ils ont pu se développer et obtenir un succès relatif, car dans tous les secteurs de l’industrie, il était à la fois possible et viable de faire carrière. Cette situation peut être attribuée à certains facteurs, dont les suivants :

En outre, le gouvernement soutient largement la musique de langue française par le biais de la réglementation :

« À l’heure actuelle, un projet musical doit inclure 70 % de contenu francophone afin d’obtenir une subvention de la part de la majorité des institutions subventionnaires. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, un organisme indépendant qui réglemente la radiodiffusion au pays, a établi des règles spéciales relativement aux médias francophones, selon lesquelles 65 % du contenu radiophonique doit être francophone, et 35 %, canadienNote de bas de page 125. »

La chute spectaculaire des ventes physiques au Québec et l’abandon de la radio par les auditeurs au profit de la diffusion en continu ont bouleversé le marché francophone québécois.

« Je ne crois pas vraiment qu’il soit sain de nous accrocher au passé ou de penser au rôle que nous jouons dans la disparition de la réalité d’autrefois, dit West. Nous avons assisté, et continuons d’assister, à un changement de paradigme dans les modes de diffusion et de consommation de la musique. La destruction créatrice entraîne toujours une tonne de défis, mais elle crée également de nouvelles possibilités. Si je demandais combien de diffusions en continu il faut obtenir en moyenne pour compenser les revenus associés au téléchargement d’un album, ma question serait tout à fait légitime.

Toutefois, il ne s’agit pas du seul facteur en cause. Ces revenus sont-ils générés au même coût? Quel mode de consommation permet d’accroître la découvrabilité, de susciter davantage d’intérêt chez les admirateurs ou de tirer plus de revenus accessoires d’activités comme les tournées, la vente de produits dérivés et même les achats physiques de CD et de vinyles? L’écosystème et tous les principes fondamentaux connexes ont changé, et notre façon de penser doit changer égalementNote de bas de page 126. »

Même si certains acteurs du marché francophone québécois soutiennent que la diffusion en continu a créé de nouveaux débouchés, la plupart des parties prenantes estiment qu’elle a engendré plus de défis que de nouvelles possibilités. Plus précisément, la consommation accrue de musique sur les services de diffusion en continu au détriment de la radio terrestre a eu pour effet de diminuer les redevances provenant des médias de radiodiffusion, de réduire la visibilité sur le marché et de faire fléchir les ventes physiquesNote de bas de page 127. Il est également plus difficile de découvrir des artistes provinciaux dans le contexte de la diffusion en continu, malgré l’existence de listes de lecture francophones sur les principales plateformes.

D’autres facteurs ont également eu une incidence notable sur le marché francophone québécois. Auparavant, les grandes maisons de disques accordaient peu d’attention aux artistes francophones du Québec, mais certaines d’entre elles ont récemment fait leur entrée sur le marché québécois, notamment Sony par le truchement de son entreprise de distribution de musique numérique « The Orchard », qui offre divers services d’administration et de négociation aux maisons de disques et artistes indépendantsNote de bas de page 128. Dans le passé, le marché francophone québécois reposait sur un groupe de distributeurs bien établis dont les activités étaient concentrées au Québec, mais il doit maintenant faire concurrence à des acteurs majeurs (p. ex., The Orchard) et aussi à de nouveaux arrivants comme Merlin, CD Baby, DistroKid et Tune Core, ce qui soulève des inquiétudes chez les distributeurs indépendants régionaux.

Le milieu très soudé de la musique francophone québécoise a connu récemment des changements importants. La maison de disques indépendante emblématique du Québec depuis 40 ans, Audiogram, a été vendue à Québecor en février 2021. La maison de disques et sa division d’édition (Éditorial Avenue) représentent l’« élite » des artistes francophones québécois et leurs chansons. La décision de vendre a en partie été motivée par l’impact de la COVID-19, mais également par les difficultés liées à l’exploitation d’une maison de disques indépendante en 2021Note de bas de page 129. Québecor, pour sa part, continue d’élargir ses activités dans le domaine de la musique en faisant l’acquisition d’autres maisons de disques et salles de spectacle.

Le distributeur français Believe Digital a fait une entrée remarquée sur le marché québécois en 2012. Il a formé une alliance (Believe Digital Canada) avec l’entreprise québécoise DEP Distribution, ce qui lui a permis d’assurer une présence plus imposante à l’échelle régionale et internationaleNote de bas de page 130. En 2017, lorsque DEP a déclaré faillite, le répertoire francophone d’UMG s’est retrouvé sans représentation au Canada (UMG a subséquemment pris en charge la distribution de ce catalogue). Believe Digital Canada poursuit ses activités et est maintenant un distributeur de premier plan au Québec.

Distribution Select, le plus grand distributeur au Québec (principalement de CD et de vinyles), qui appartient à Québecor, a annoncé qu’il cessera ses activités en juillet 2021Note de bas de page 131. Parallèlement, l’entreprise de distribution à but non lucratif Amplitude, qui a été cofondée par des personnes ayant une solide expérience dans le secteur de la distribution au Québec (notamment au sein de Believe et de Distribution Select), a amorcé ses activités en février de cette année.

Amplitude est considérée par certains comme un acteur essentiel au redressement d’une industrie de la musique francophone québécoise en perte de vitesse : « Historiquement, l’écosystème musical québécois a été assez indépendant, jusqu’autour de 2005, à l’arrivée des grandes plateformes, Spotify et consorts. Amplitude va pouvoir redonner l’indépendance du secteur, en partie perdue ces dernières annéesNote de bas de page 132. »

« On fait face à un marché qui n’offre pas vraiment de service local, et [à] des joueurs qui n’ont pas cette volonté de donner une présence à la musique québécoise, qui va se perdre dans le flot des 200 chansons uploadées par jour sur Tune Core, par exemple. C’est difficile dans ces conditions de travailler la découvrabilité des artistes, et d’attirer l’attention des services de musique en ligneNote de bas de page 133. »

Amplitude se concentrera également sur la gestion et la monétisation des métadonnées : « L’industrie du disque ne fait plus d’argent sur les produits musicaux […] (l)es majors de ce monde font de l’argent grâce aux métadonnées et aux données associées aux utilisateurs : les données d’écoute, la géolocalisation de ces écoutes, la durée; de toutes petites données associées aux contenus musicaux, portées par les utilisateursNote de bas de page 134. » (Le rôle des métadonnées est examiné plus en détail à la section 6.2.2.)

L’industrie de la musique francophone québécoise traverse une période particulièrement difficile, et la liste des concurrents auxquels Amplitude et tous les autres distributeurs numériques québécois doivent faire face est longue et s’allonge toujours. L’écosystème qui a si bien servi les créateurs de musique francophone du Québec à l’époque des médias traditionnels n’est plus en mesure de jouer le même rôle à l’ère de la diffusion en continu.

Tel que nous l’avons déjà mentionné, Québecor a joué un rôle actif dans l’industrie de la musique francophone québécoise au cours des dernières années. L’entreprise a lancé QUB Musique, une plateforme de diffusion de musique en continu conçue et réalisée au Québec qui permet de découvrir le talent québécois au coût de 11,99 $ par mois. « La plateforme a été lancée plus tôt que prévu dans le cadre du programme d’“achat local” de Québecor en vue de soutenir la culture québécoise et les entreprises qui ont été durement touchées par la COVID-19Note de bas de page 135. »

Le succès de QUB sera probablement fortement tributaire de l’appui que la plateforme recevra des Québécois. Cependant, compte tenu de la longueur d’avance prise par Spotify, Apple et d’autres plateformes, qui ont déjà établi leur clientèle et offrent des fonctionnalités avancées à leurs utilisateurs, QUB a du rattrapage à faire. À cette fin, elle devra offrir un niveau de service et des fonctionnalités supérieurs à ce qui est déjà disponible, et ce, à un coût concurrentiel. Précisons que le coût de 11,99 $ qui a été établi pour QUB ne nous paraît pas très concurrentiel.

La diffusion en continu, combinée à d’autres facteurs susmentionnés, a entraîné des défis considérables pour les distributeurs, les interprètes, les maisons de disques, les auteurs et les éditeurs du Québec. Comme nous l’avons indiqué à la section 5.3, les revenus que les auteurs-compositeurs tiraient des médias traditionnels (comme la radio terrestre) étaient nettement supérieurs à ceux qui proviennent des médias numériques (comme les services de diffusion en continu). Cette baisse de revenus a été plus prononcée chez les auteurs de langue française, qui ne touchent que 1 % environ des répartitions versées par la SOCAN relativement aux médias numériques, contre quelque 7 % dans le cas des répartitions issues des médias traditionnelsNote de bas de page 136.

En raison des récentes perturbations sur le marché francophone québécois et des défis afférents, les créateurs de musique francophone du Québec ont sans doute été relativement plus touchés que leurs homologues d’autres régions du Canada.

5.4 La COVID-19

L’impact de la COVID-19 sur l’industrie canadienne de la musique et sur l’industrie à l’échelle internationale a été bien documenté dans plusieurs études récentesNote de bas de page 137. Plutôt que de répéter les recherches effectuées dans le cadre de ces études, nous présentons certaines de leurs principales conclusions ainsi que nos propres observations au sujet de la corrélation entre la croissance de la diffusion en continu et la pandémie de COVID-19.

L’un des principaux impacts de la COVID-19 est la perte des revenus provenant des spectacles locaux, des tournées et des festivals pour la plupart des musiciensNote de bas de page 138. Les interprètes tirent environ 75 % de leurs revenus de représentations en direct et de tournées (comparativement à moins d’un tiers dans les années 1990)Note de bas de page 139. Les tournées sont essentielles à la découverte de la musique, mais elles n’ont plus pour avantage de contribuer aux ventes de produits physiques et aux revenus issus des services numériques. Les redevances versées en contrepartie de la diffusion d’enregistrements sonores dans les restaurants, les gymnases, les bars et d’autres lieux de rassemblement ont également diminuéNote de bas de page 140. Les revenus des musiciens qui créent des bandes sonores pour la télévision, le cinéma et la publicité chutent au fur et à mesure que les entreprises réduisent leurs activités. Les plateformes d’écoute de musique (p. ex., la radio) autres que celles de diffusion en continu ont aussi été touchées, ce qui aura probablement pour effet de réduire les paiements de redevancesNote de bas de page 141.

L’impact semble être plus marqué chez les artistes qui n’ont pas encore développé un large auditoire pour leur musique. Vu que ces artistes ne bénéficient pas des mêmes redevances de diffusion en continu que les artistes établis ayant un vaste auditoire, les tournées sont pour eux un outil important afin de se constituer un bassin d’admirateurs (en plus de représenter leur principale source de revenus directs). Selon une étude, les revenus découlant des tournées pourraient diminuer de 79 % en 2020 par rapport à 2019Note de bas de page 142.

En ce qui concerne l’impact sur les catégories de titulaires de droits, les revenus des secteurs de l’enregistrement sonore et de la distribution (c.-à-d. les maisons de disques et les artistes du disque) devraient chuter de 32 % en 2020 par rapport à 2019, et ceux des entreprises d’édition, de 44 %. La CISAC (l’association internationale des sociétés de gestion collective des droits d’auteur des auteurs-compositeurs) prévoit une baisse de 20 % à 35 % des redevances perçuesNote de bas de page 143.

Pour le moment, le taux de consommation global de musique sur les services de diffusion en continu n’a pas diminué en raison de la COVID-19. Au contraire, leurs revenus continuent d’augmenterNote de bas de page 144. Toutefois, les habitudes de consommation ont changé. Un observateur décrit le changement qui s’est opéré comme suit :

« Le plus intéressant, cependant, est que le principal changement induit par la COVID dans la diffusion en continu réside dans le contenu qui est diffusé. Spotify a indiqué que les habitudes d’écoute quotidiennes correspondent davantage aux habitudes de consommation typiques du week-end et que, par le fait même, les genres de musique relaxants ont connu une hausse de popularité. De plus, la pandémie a eu pour effet d’accroître le nombre de diffusions en continu de vidéos de musique. Ces nouvelles tendances sont probablement attribuables au fait que les gens passent beaucoup de temps à la maison ces mois-ci. Si la musique d’atmosphère reposante est de plus en plus diffusée depuis le début de la pandémie, elle ne détrône pas pour autant le genre de musique dominant dans le domaine de la diffusion en continu : le hip-hop. Selon le rapport semestriel de Nielsen, neuf des dix artistes les plus diffusés appartiennent aux genres hip-hop et R&B, notamment des célébrités comme Drake, The Weeknd et Lil Uzi VertNote de bas de page 145. »

En résumé, la COVID-19 a eu des conséquences dévastatrices sur la musique en direct au Canada, qui se sont traduites par une diminution des revenus tirés des spectacles et des revenus de nombreuses autres sources dont les créateurs dépendent (y compris les redevances pour les utilisations autres que la diffusion en continu). Le volume de diffusions n’a pas souffert de l’impact de la COVID-19, mais étant donné la répartition déséquilibrée des revenus de la diffusion en continu, son augmentation n’a pas généré de profits pour la majorité des créateurs de musique du Canada.

En bref, la COVID-19 a compromis les revenus de la plupart des créateurs de musique canadiens.

Changements et concurrence au sein de l’industrie

6.1 Les changements dans l’industrie

Nous avons relevé plusieurs changements qui ont bouleversé l’industrie canadienne de la musique et contribué à sa restructuration. Plus particulièrement, l’essor de la diffusion en continu, qui est devenue la plateforme dominante pour la consommation de musique enregistrée, a transformé toute la chaîne de production et de consommation. Nous examinons ces changements qui sont survenus dans l’industrie de façon plus détaillée ci-dessous, en plus de leurs conséquences.

6.1.1 Diversité, modèles commerciaux et paiements des services de diffusion en continu

Spotify et Apple Music sont possiblement les services de diffusion de musique en continu par abonnement les plus connus à l’heure actuelle. Toutefois, le marché regorge (et compte de plus en plus) d’autres services de musique par abonnement (et par abonnement partiel et/ou financés par la publicité) bien établis, notamment Deezer, Amazon Music, Amazon Music HD, Pandora, Tidal, Napster et YouTube Music. Il existe de nombreux services de diffusion de musique en continu moins bien connus qui se spécialisent dans un genre ou une niche en particulier, entre autres Qobuz (haute résolution), Primephonic (classique), Epicdemicsound (utilisation libre de redevances), Anghami (Moyen-Orient), Jazzed (jazz) et Beatport (musique de danse électronique). D’autres services (p. ex., Bandcamp et SoundCloud) sont avant tout axés sur les artistes et offrent une option autre que les grands services de diffusion en continu.

Pour donner une indication du nombre de services de diffusion audio en continu existants à l’heure actuelle, Sonos (la chaîne audio maison sans fil) en recense 130 qui sont compatibles avec ses enceintes connectées en ligneNote de bas de page 146. En outre, beaucoup de services de diffusion audiovisuelle en continu sont utilisés pour leur contenu musical. La liste des médias sociaux, des services audiovisuels ou des applications qui offrent de la musique ou octroient sous licence des droits pour son utilisation comprend Facebook, Instagram, Twitch et YouTube, ainsi que de multiples services de moins grande envergure.

Étant donné que les services de diffusion numérique de musique en continu sont extrêmement nombreux et ne cessent de se multiplier, les possibilités pour les consommateurs d’accéder à de la musique diffusée en continu sont tout aussi vastes et grandissantes. Il en va de même pour les possibilités de licence découlant des nouveaux types de services de médias sociaux, comme en témoigne l’observation suivante :

« De nouvelles possibilités de licence commencent tout juste à se présenter pour les propriétaires de droits de PI sur la musique. Les plateformes de diffusion de vidéos de courte durée (p. ex., TikTok et Triller), de séances de conditionnement physique en ligne (p. ex., Peloton) et d’autres plateformes (p. ex., Facebook) octroient depuis peu des licences pour l’utilisation de la musique des titulaires de droits et créent donc de nouvelles sources de monétisation pour l’avenirNote de bas de page 147. »

Les modèles commerciaux des services de diffusion en continu peuvent normalement être classés soit comme des offres non interactives, semi-interactives ou interactives, et être fondés sur des abonnements ou financés par la publicité, ou les deuxNote de bas de page 148. En règle générale, les services interactifs par abonnement ont établi une fourchette de prix de détail relativement étroite et facturent ordinairement autour de 10 $ par moisNote de bas de page 149.

Il est instructif de comparer le prix de détail des services et les paiements de redevances versés par ceux-ci. Même si Spotify n’est pas le premier service de diffusion de musique en continu par abonnement, son prix de détail de 10 $ par mois s’est solidement imposé comme la norme au sein de l’industrie. Le modèle de prix à 10 $ par mois (et la version financée par la publicité) a contribué à attirer une multitude d’utilisateurs. Il a donc permis, dans une très grande mesure, de constituer une base d’utilisateurs et d’introduire la musique dans la vie de millions de personnes.

En revanche, ce prix de 10 $ a également créé des problèmes persistants chez les deux parties à l’équation. En effet, Spotify n’a pas encore réalisé de profits et, selon de nombreuses sources, la plupart des titulaires de droits (généralement les auteurs-compositeurs, les éditeurs et les interprètes) ne sont pas satisfaits des paiements qu’ils reçoiventNote de bas de page 150. Dans le cadre de l’enquête que le Royaume-Uni mène actuellement sur les aspects économiques du secteur de la diffusion de musique en continu, les paiements versés aux titulaires de droits ont été largement dénoncés (sauf par les grandes maisons de disques)Note de bas de page 151.

Plusieurs analystes ont tenté de quantifier la répartition des paiements versés aux divers titulaires de droits par les services de diffusion en continu. D’après la plupart des analystes, le service de diffusion en continu conserve environ 30 % à 35 % de ses revenus, tandis que les titulaires de droits d’auteur (c.-à-d. les auteurs-compositeurs et les éditeurs) reçoivent de 12 % à 15 %, et les maisons de disques et les interprètes, de 50 % à 55 %.

Selon la Digital Media Association, les paiements peuvent être répartis comme suit en fonction du bénéficiaire, pour chaque tranche de revenus de 100 $ provenant de la diffusion en continuNote de bas de page 152 :

Selon une autre estimation, le service de diffusion en continu (p. ex., Spotify ou Apple) toucherait environ 29 %, la maison de disques et l’artiste, environ 58 %, et les auteurs-compositeurs et l’éditeur, environ 13 %Note de bas de page 153. Nous remarquons que les maisons de disques ont apparemment réduit leur part de 58 % à près de 52 % récemmentNote de bas de page 154. Si nous retranchons les revenus du service de diffusion en continu et considérons que la part des maisons de disques correspond à 52 % des revenus totaux en dollars, les pourcentages atteindraient approximativement 73 % pour les maisons de disques et les artistes, et 13 % pour les auteurs-compositeurs et les éditeurs.

Pour déterminer le montant payé aux titulaires de droits par les services de diffusion en continu, il est également possible d’évaluer les revenus que les titulaires de droits pourraient gagner sur différents services en fonction du volume de diffusions en continuNote de bas de page 155. Le tableau 11 ci-dessous utiliase comme source de référence un artiste amateur payé pour l’ensemble de ses droits, mais les paiements totaux de redevances sont les mêmes lorsque différentes parties sont titulaires des droits.

Tableau 11 : Revenus estimatifs (d’un artiste amateur) provenant de divers services de diffusion en continu (un million de diffusions)
Service de diffusion en continu Diffusions en continu Revenus ($ US)
Spotify 1 million 4 000 $
Apple 1 million 5 000 $
Tidal 1 million 12 000 $
Deezer 1 million 4 700 $
Amazon 1 million 5 000 $
Pandora 1 million 1 400 $
YouTube 1 million 1 750 $
SoundCloud 1 million 1 300 $

Sources : Music Gateway et Wall Communications Inc., 2021.

Spotify a déclaré en 2020 qu’environ 551 000 chansons avaient cumulé un million de diffusions en continu (au cours de la durée de vie du service), et elles auraient vraisemblablement rapporté des revenus de près de 4 000 $ US chacuneNote de bas de page 156. En 2020, 13 400 artistes ont touché des redevances de 50 000 $ US ou plusNote de bas de page 157. Cette même année, seulement 7 800 artistes ont généré 100 000 $ US ou plus; 1 820 artistes ont généré 500 000 $ US ou plus, et 870 artistes, 1 M$ US ou plus.

Bien que les artistes les plus populaires jouissent d’un succès considérable, les revenus des artistes des échelons inférieurs chutent abruptement. Sur les sept millions d’artistes environ qui figurent sur SpotifyNote de bas de page 158, seulement 0,11 % ont gagné des revenus de 100 000 $ US ou plus en 2020, et ce, sans tenir compte de la répartition de ces revenus entre les titulaires de droits (p. ex., les membres d’un groupe et les coauteurs).

6.1.2 Bouleversements technologiques et changements dans l’industrie

La technologie a joué un rôle majeur dans l’avènement de la diffusion en continu. Au nombre des progrès technologiques qui ont rendu possible la diffusion en continu figurent la numérisation du contenu, la transmission numérique, l’ubiquité d’Internet et la prise de décisions algorithmique. La technologie a aussi donné lieu à plusieurs changements fondamentaux dans la structure de l’industrie.

Nous avons mentionné précédemment que la prolifération des services de diffusion en continu (services spécialisés en musique ou services qui incorporent de la musique) a multiplié les débouchés pour les créateurs dans une large mesure, mais aussi que la technologie a permis à de nouveaux acteurs de faire leur entrée dans chacun des segments de la chaîne d’approvisionnement de l’industrie de la musique. Les auteurs-compositeurs et les interprètes peuvent désormais créer (c.-à-d. composer, enregistrer et produire) de la musique sans quitter leur domicile. Il n’est plus nécessaire d’utiliser un studio de haute technicité ou de faire appel à un arrangeur ou à un producteur, voire à des musiciens de séance professionnelsNote de bas de page 159.

Les auteurs-compositeurs disposent maintenant d’un éventail de nouveaux outils et aides afin de composer de la musique algorithmique, de créer des sons échantillonnés et synthétisés, de composer des suites d’accords à l’aide d’un logiciel, et d’enregistrer de la musique grâce à un logiciel qui permet de tester différents concepts musicaux, en plus de nombreux autres outils utilesNote de bas de page 160. Il existe même des programmes logiciels d’« auteur-compositeur » qui donnent un accès immédiat à des renseignements, tels que des rimes, des familles de mots, des synonymes et des phrases, et qui peuvent également faciliter l’élaboration de la structure d’une chansonNote de bas de page 161.

Le processus d’enregistrement autonome a été perfectionné au moyen de dizaines de programmes et d’applications logiciels de numérisation audio du poste de travail qui offrent une énorme souplesse pour créer, modifier et produire des enregistrements sonores de qualité audio optimaleNote de bas de page 162. En outre, les auteurs et les interprètes qui souhaitent apprendre à utiliser les dernières technologies d’enregistrement peuvent facilement accéder à des milliers de tutoriels vidéo en ligne. Les logiciels de numérisation audio d’aujourd’hui (et les plugiciels utilisant la technologie de studio virtuel qui permettent aux utilisateurs de façonner des sons et d’accéder à pratiquement n’importe quel instrument ou son) ont atteint, et dans certains cas surpassé, le niveau de sophistication et de qualité des meilleurs studios professionnels d’enregistrement analogique (et numérique, dans les premiers temps) des générations passéesNote de bas de page 163.

D’autres aspects du processus d’enregistrement, tels que le mixage et la mastérisation, peuvent aujourd’hui être gérés à l’aide d’un logiciel personnel de numérisation audio du poste de travail ou par une tierce partie en ligne. Les créateurs peuvent maintenant exécuter eux-mêmes toutes les étapes de la production d’un enregistrement maître ou faire appel à des tiers pour accomplir certaines fonctions, sans que la participation d’une maison de disques soit requise.

Les technologies de stockage, de manipulation et d’analyse dans les bases de données ont contribué à l’augmentation du nombre d’intermédiaires chargés de distribuer la musique sur une grande variété de plateformes, ce qui nécessitait auparavant l’intervention d’une maison de disques. Bien que certains artistes remplissent désormais toutes les fonctions de la chaîne d’approvisionnement de l’industrie de la musique (à l’exception de la diffusion en continu aux consommateurs), ils peuvent également confier plusieurs tâches à des entreprises tierces qui se spécialisent dans la distribution, le suivi et la perception des divers paiements de redevances et dans l’administration des droits des artistes qui se chargent eux-mêmes de l’édition.

Par exemple, les maisons de disques ne sont plus le seul fournisseur de services de distribution. L’entreprise indépendante de distribution, d’édition et de concession de licences de musique numérique Tunecore, qui a été la première à proposer de tels services en 2005, a été rejointe par une foule de nouveaux services de distribution similaires comme CD Baby, DistroKid, Amuse, AWAL, Ditto Music, FreshTunes, Horus Music, LANDR, ONErpm, RouteNote, Songtradr, Soundrop, Stem, Symphonic Distribution et UnitedMastersNote de bas de page 164.

D’autres services tiers se concentrent sur l’édition et l’administration des droits connexes, notamment Songtrust, Sentric, CD Baby Publishing et TuneCore Publishing.

Le pouvoir de négociation des maisons de disques, en particulier celui des grandes, a toujours joué un rôle primordial dans l’obtention des meilleures conditions de licence. L’association d’artistes, de maisons de disques et de distributeurs tiers Merlin, qui compte quelque 20 000 membres, a acquis en partie ce pouvoir. Elle peut exercer cette fonction « cadre » de négociation principalement grâce aux avancées technologiques en matière de collecte, de compilation et d’analyse de données.

À chaque étape de la chaîne d’approvisionnement de l’industrie de la musique, la technologie a permis à un nombre croissant d’acteurs tiers d’assumer pratiquement toutes les fonctions qui relevaient autrefois de la compétence des maisons de disques. En outre, la distinction entre les rôles joués par chaque partie est également en train de s’estomper en raison de l’expansion verticale des entreprises, qui se lancent dans des secteurs connexes de l’industrie. Un directeur général de l’industrie qui participe à cette transformation décrit cette expansion comme suit :

« Nous sommes témoins aujourd’hui d’une industrie qui évolue et prend de la maturité. La convergence de la technologie, de la mondialisation et du besoin accru de cultiver une mentalité axée sur le service brouille les frontières de plus en plus minces entre la maison de disques et l’artiste, entre le producteur et le créateur, et entre les grandes maisons de disques et les maisons de disques indépendantesNote de bas de page 165. »

Dans la présente section, nous avons essentiellement décrit les changements dans l’industrie qui sont attribuables à la technologie, mais nous traitons des changements accrus dans les entreprises (p. ex., l’intégration verticale et les liens de propriété réciproque entre les entreprises) à la section 6.2.

6.1.3 Incidence des bouleversements technologiques sur les créateurs de musique

Dans l’industrie, la structure de « tiers » issue des nouvelles technologies a favorisé une hausse fulgurante du nombre d’artistes amateurs. Parallèlement, le nombre de chansons (et des enregistrements afférents) créées chaque année a aussi augmenté de façon astronomique. Selon les estimations, le nombre de chansons téléversées chaque jour sur les plateformes de diffusion en continu varie de 40 000 à 60 000Note de bas de page 166.

L’élimination des obstacles technologiques et infrastructurels, qui constituaient autrefois de très grands défis pour les créateurs de musique, a permis à ces derniers de produire de la musique de meilleure qualité à moindre coût et de la distribuer plus facilement aux consommateurs. À priori, ces changements auraient dû avoir pour effet d’améliorer le sort de tous les créateurs de musique. Cependant, jusqu’à présent, comme nous l’avons démontré dans les sections précédentes, ce sont surtout les grandes maisons de disques qui en tirent le plus de profits, comparativement aux autres titulaires de droitsNote de bas de page 167.

Les maisons de disques (particulièrement les grandes et les autres maisons de disques importantes) ont été en mesure de faire des gains relatifs, contrairement aux autres titulaires de droits. Le simple fait que les maisons de disques soient propriétaires des enregistrements maîtres fournit à celles-ci un avantage décisif dans les négociations. Dans sa forme la plus rudimentaire, une chanson est un ensemble de paroles et/ou de notes de musique. La chanson en soi a une valeur, mais il est difficile de la monétiser tant qu’elle n’est pas figée ou matérialisée dans un enregistrement sonore. Cette capacité de monétisation qu’offre l’enregistrement sonore confère à son propriétaire un grand pouvoir de négociation sur les conditions d’utilisation de la chanson (y compris les paiements connexes).

Les auteurs-compositeurs et les éditeurs (ainsi que les interprètes dans une certaine mesure) dépendent du propriétaire de l’enregistrement sonore pour faire progresser leurs intérêts, puisque l’enregistrement sonore est le principal moyen par lequel les titulaires de droits monétisent leurs droits. Si certaines redevances sont versées pour des utilisations autres que celles de musique enregistrée (p. ex., une représentation en direct), la grande majorité des redevances proviennent de l’octroi sous licence de droits relatifs aux enregistrements sonores.

Nous constatons que le risque financier inhérent à la production d’un enregistrement sonore a diminué en raison de la baisse des coûts d’enregistrement et de distribution, mais il faut également admettre que relativement peu de chansons connaissent un succès financier majeur. Le risque financier que doit accepter le producteur de l’enregistrement sonore est non négligeableNote de bas de page 168. « La plupart des maisons de disques ne réalisent aucun profit à proprement parler, puisque 95 % des artistes ne génèrent aucune redevance, selon Maggie Lane, professeure de musique au collège BerkleeNote de bas de page 169. » Les maisons de disques, surtout les grandes, ont la capacité de diversifier leurs risques, de consacrer des ressources substantielles au marketing et à la promotion (et à d’autres activités de développement des artistes), et d’exploiter leurs droits de propriété sur les enregistrements sonores en tirant parti le plus possible de leur importance sur le marché. Cette question est abordée plus en détail à la section 6.2.

Il convient de souligner que, dans le cadre d’une activité commerciale, la partie qui est disposée à assumer les plus lourdes pertes financières en cas d’échec, en risquant son propre capital, reçoit généralement la plus grande récompense. La distribution des profits en plus grande proportion aux personnes qui prennent ces risques n’a rien de nécessairement répréhensibleNote de bas de page 170.

À cet égard, nous remarquons tout simplement que la disparité des profits que tirent les titulaires de droits au titre de la diffusion en continu a contribué à leur éviction de la « classe moyenne ». Le comité parlementaire chargé de l’examen de la Loi sur le droit d’auteur a récemment fait état de cette situation :

« Des témoins ont brossé un tableau fort évocateur de la “réalité difficile” de cette classe moyenne artistique en déclin; ils ont parlé notamment de la baisse des revenus depuis les années 1990 et de l’augmentation du nombre d’artistes vivant sous le seuil de la pauvretéNote de bas de page 171. »

Un témoin a fait la déclaration suivante : « J’aimerais pouvoir employer le terme “classe moyenne”, mais les créateurs en ont été évincés à ce stade. Je ne connais qu’un seul musicien à Toronto qui a acheté une maison au cours des 10 dernières années; la plupart d’entre eux n’arrivent pas à payer leur loyer, encore moins à aller chez le dentisteNote de bas de page 172. »

Nous constatons que cette « éviction » de la classe moyenne de créateurs de musique a été exacerbée par la pandémie de COVID-19Note de bas de page 173. Comme un journaliste l’a décrit :

« Il s’agit d’une réalité bien connue des créateurs du monde entier. Au cours de la dernière décennie, la diffusion en continu a graduellement supplanté la vente de disques et d’autres sources traditionnelles de revenus, et a contraint les musiciens à miser de plus en plus sur des calendriers de tournée interminables.

Toutefois, la COVID-19 a ensuite amplifié le problème. Depuis la disparition des spectacles de musique, de nombreux artistes ont peu ou pas de moyens de subsistance et l’existence même du “musicien de la classe moyenne” est menacéeNote de bas de page 174. »

Comme l’ont démontré le nombre minime de diffusions recueillies par les artistes indépendants dont la chanson figure parmi les 50 chansons d’artistes canadiens les plus diffusées en continu (section 5.1); les revenus relativement maigres obtenus pour un million de diffusions (section 6.1.1); et les travaux du Comité permanent du patrimoine canadien (la présente section), les artistes indépendants et amateurs qui sont titulaires de droits sont désavantagés par la domination croissante de la diffusion en continu dans le paysage de la consommation de musique. Toutefois certains signes indiquent que ce paysage, et potentiellement le sort des créateurs de la classe moyenne, est en train de changer.

Entre 2017 et 2020, le pourcentage de diffusions en continu sur Spotify de chansons représentées par les grandes maisons de disques a diminué, passant de 87 % à 78 %Note de bas de page 175. Merlin, l’association d’artistes, de maisons de disques et de distributeurs indépendants, a rapporté que ses membres comptent maintenant pour plus de 15 % du marché mondial de la musique numériqueNote de bas de page 176. Des 40 000 à 60 000 titres téléversés sur Spotify chaque jour, le volume de musique téléversée par des artistes amateurs était huit fois supérieur au volume distribué par les trois grandes maisons de disques : « Au cours du confinement généralisé en 2020, les grandes maisons de disques ont lancé 1,2 million de chansons, tandis que les artistes amateurs en ont lancé 9,5 millions, ce qui est impressionnant. Il s’agit donc d’un ratio 8:1 entre les artistes qui le font eux-mêmes et les maisons de disques qui le font pour d’autresNote de bas de page 177. » Selon les estimations, les revenus des artistes amateurs à l’échelle mondiale s’élevaient à 960 M$ en 2019 et ont atteint 1,22 G$ en 2020, soit une croissance de 27 %Note de bas de page 178.

D’après le rapport rédigé par The Raine Group (une banque d’investissement américaine) sur la stature croissante des artistes indépendants (c.-à-d. ceux qui n’ont pas signé de contrat avec une maison de disques), les revenus des artistes indépendants ont augmenté d’environ 32 % entre 2019 et 2020Note de bas de page 179. La banque attribue la majeure partie de cette augmentation à trois facteurs, soit le nombre accru d’artistes indépendants qui créent, téléversent et diffusent en continu leur musique; la croissance des marchés internationaux; et la multiplication des exemples de réussite. Raine prévoit que les revenus cumulés des artistes indépendants augmenteront plus rapidement que ceux de tout autre secteur de l’industrie du disque dans les années à venir.

Même si l’avenir reste imprévisible et que, jusqu’à maintenant, seuls les créateurs de musique les plus renommés ont considérablement prospéré grâce à la diffusion en continu, certains signes positifs montrent que les artistes indépendants ainsi que les auteurs et les interprètes des classes inférieure et moyenne pourraient connaître des jours meilleurs.

De plus, il est impératif de souligner que, même si nous avons examiné les parts de revenus que les titulaires de droits tirent de la diffusion en continu, les revenus relatifs ne représentent qu’un aspect du mécanisme complexe de répartition des profits. Pour les titulaires de droits, la taille du gâteau est tout aussi importante que les parts relatives. Plus précisément, le prix de détail des services de diffusion en continu par abonnement doit aussi être pris en compte lors de l’évaluation des intérêts des diverses parties prenantes.

Au début de la présente étude, nous avons soulevé un dilemme, à savoir que l’industrie de la musique enregistrée a connu une énorme croissance (stimulée par la diffusion en continu), tandis que, parallèlement, les revenus de la majorité des créateurs ont diminué. Pour comprendre ce phénomène, il faut examiner le rôle du prix de détail des services de diffusion en continu par abonnementNote de bas de page 180.

Le prix de détail d’un service de base par abonnement s’est normalisé à 10 $ par moisNote de bas de page 181. Ce prix visait à maximiser le nombre d’abonnés, et non les profits à court terme. Ce modèle de prix a réussi de façon remarquable à inciter les consommateurs à s’abonner en masse aux services de diffusion de musique en continu. La part de revenus qu’il générerait pour les créateurs de musique n’a cependant jamais été prise en compte. En fait, il n’est pas clair si les intérêts des titulaires de droits ont été pris en considération lors de l’établissement du prix de détail.

Étant donné qu’il est déterminé sans égard aux intérêts des titulaires de droits, le prix de détail (c.-à-d. 10 $ par abonné par mois pour tous les abonnés) limite le montant brut pouvant être réparti entre les titulaires de droits et les fournisseurs de services numériques (FSN)Note de bas de page 182. Le prix de détail des services de diffusion en continu par abonnement impose un plafond fixe sur les revenus partageables entre les titulaires de droitsNote de bas de page 183.

En résumé, nous avons établi que le rôle du prix de détail des services de diffusion de musique en continu est un facteur connexe extrêmement pertinent qui doit être pris en considération, tout comme les nombreux changements technologiques qui ont transformé l’industrie et eu une incidence sur les parts de revenus relatives des créateurs de musique. Penchons-nous maintenant sur la façon dont ces dynamiques et d’autres dynamiques au sein de l’industrie ont modifié le paysage de la concurrence.

6.2 Les enjeux liés à la concurrence

La présente étude a, entre autres, permis de démontrer la disparité des revenus entre les divers titulaires de droits. Nous examinons maintenant (de manière générale) certaines caractéristiques de la concurrence sur le marché, notamment la structure des entreprises, la propriété réciproque ainsi que l’intégration verticale et horizontale.

Tout d’abord, nous remarquons que, selon certains, l’industrie est dominée par les grandes maisons de disques :

« Trois principaux acteurs monopolisent et dominent l’industrie de la musique. D’après Music & Copyright (en anglais seulement), les trois plus grandes maisons de disques, soit UMG (part de marché de 32 %), Sony Music Entertainment (20 %) et Warner Music Group (16 %), s’accaparent 68 % du marché de l’enregistrement de musique. Parallèlement, les trois plus importants éditeurs de musique, à savoir Sony (25 %), Universal Music Publishing (21 %) et Warner Chappell Music (12 %), détiennent 58 % du marché de l’édition de musiqueNote de bas de page 184. »

Bien que les grandes maisons de disques occupent toujours une position dominante en 2021, nous avons constaté que l’industrie est en train de changer sous l’effet de plusieurs facteurs (p. ex., la technologie et les entreprises tierces de services). Dans les sous-sections qui suivent, nous analysons d’autres facteurs qui influent également sur le paysage de la concurrence.

6.2.1 Propriété réciproque, acquisitions et autres liens interentreprises

Afin de mettre en contexte notre exposé sur la propriété, mentionnons en premier lieu les parts de marché estimatives détenues par les principaux services de diffusion en continu. Spotify détient la plus grande part d’abonnés à l’échelle mondiale (32 %), suivie par Apple (18 %), Amazon (14 %) et Tencent (11 %)Note de bas de page 185.

Figure 9 : Part du marché mondial des abonnés selon le service de musique, T1 2020
Figure 9 : Part du marché mondial des abonnés selon le service de musique, T1 2020 – version texte
Spotify 32 %
Apple Music 18 %
Amazon Music 14 %
Tencent Music 11 %
Google (y compris Youtube Music) 6 %
Deezer 2 %
Pandora 1 %
Autres 16 %

Spotify compte des propriétaires assez diversifiés, dont deux sont de grandes maisons de disques. Nous constatons que « six parties détiennent 65 % de Spotify, soit les cofondateurs de l’entreprise Daniel Ek et Martin Lorentzon (ils possèdent à eux deux 30,6 % des actions ordinaires); Tencent Holdings Ltd. (9,1 %); ainsi que Baillie Gifford (11,8 %), Morgan Stanley (7,3 %) et T. Rowe Price Associates (6,2 %), un groupe de trois spécialistes de la gestion d’actifsNote de bas de page 186 ». Par ailleurs, Sony Music possède près de 2,35 % des actions de Spotify, et Universal, environ 3,5 %.

Les liens de propriété interentreprises entre ces parties sont toutefois plus complexes et aussi conflictuels en raison des multiples allégeances et intérêts. « Les intérêts se chevauchent à plusieurs égards. Tencent Holdings détient 10 % d’Universal, qui possède pour sa part environ 3,5 % des actions de Spotify, qui détient à son tour près de 9 % de Tencent Music Entertainment, qui appartient en partie à deux des principaux concurrents d’Universal (Warner et Sony), mais demeure en majorité la propriété de Tencent Holdings, qui possède, quant à elle, 9,1 % de SpotifyNote de bas de page 187. » Tencent a récemment acheté 10 % d’actions supplémentaires dans Universal, ce qui porte sa participation totale à 20 %Note de bas de page 188.

Les actions d’Apple Inc. (dont Apple Music est une division) sont cotées en bourse et largement prisées. L’entreprise compte quelques investisseurs institutionnels de premier plan (p. ex., Vanguard, Berkshire-Hathaway et BlackRock) et T. Rowe (qui a également investi dans Spotify). Amazon Inc. (Amazon Music est une sous-division d’Amazon Media), qui est aussi une entreprise cotée en bourse, regroupe des investisseurs institutionnels tels que Vanguard et BlackRock. Tencent Holdings est une société de gestion et de placement (dont les activités se situent essentiellement en Chine) qui compte Vanguard, BlackRock et T. Rowe parmi ses actionnairesNote de bas de page 189.

UMG est détenue à 80 % par Vivendi et à 20 % par Tencent. Access Industries est le principal actionnaire de Warner Music Group, mais Tencent en possède également 5,2 % des actionsNote de bas de page 190. Access a aussi investi dans Amazon et Square. Sony Corp (Sony Music Group est une division de Sony Entertainment, qui est une filiale de Sony Corp) est une société ouverte ayant un grand nombre d’actionnaires.

Il convient de noter que chacune des grandes maisons de disques possède ou contrôle de nombreuses autres maisons de disques (ou sous-maisons de disques) ou en est partenaire. En outre, comme nous l’avons précisé, les grandes maisons de disques assurent une présence dominante dans le milieu de l’édition par le biais de leurs divisions d’édition.

L’entrée des grandes maisons de disques sur le marché indépendant représente l’un des importants développements survenus sur le marché. Chacune des trois grandes maisons de disques possède une division qui offre des services de distribution et d’autres services aux maisons de disques et artistes indépendants, soit The Orchard (Sony)Note de bas de page 191, INgrooves (Universal)Note de bas de page 192 et ADA (Warner)Note de bas de page 193. La division « The Orchard » de Sony a pénétré le marché indépendant de façon particulièrement audacieuse en proposant un large éventail de services aux maisons de disques. Elle fait partie des trois distributeurs « préférés » (aux côtés de CD Baby et de DistroKid) sur Spotify, ce qui la rend beaucoup plus attrayante pour les artistes amateurs et indépendants aux fins du placement de leurs chansons. Comme nous l’avons souligné à la section 5.3, l’arrivée récente de The Orchard sur le marché francophone québécois est considérée comme un événement déterminant qui a transformé le marché. En 2017, les maisons de disques indépendantes recevaient déjà 22,4 % de leurs revenus à l’échelle mondiale de la part des canaux de distribution des grandes maisons de disques avec qui elles sont associéesNote de bas de page 194.

De plus, Sony s’est immiscé davantage dans le marché indépendant en faisant récemment l’acquisition d’AWAL (un fournisseur tiers indépendant de premier plan, et possiblement le plus important, dans l’offre de services de marketing, de promotion, de distribution, de création de listes de lecture et d’autres services destinés aux artistes indépendants) et de sa division affiliée Kobalt Neighbouring Rights (service de perception de droits d’exécution pour les artistes indépendants)Note de bas de page 195. Les deux entreprises seront exploitées conjointement avec The Orchard.

Selon un analyste :

« Sony Music est désormais l’une des plus importantes entreprises de musique indépendante à l’échelle mondiale, sinon la plus importante. Maintenant qu’une grande maison de disques est l’un des chefs de file du milieu indépendant, il convient de se demander si le fait d’être indépendant a encore une signification aujourd’huiNote de bas de page 196. » (Propos mis en relief)

Dans le marché indépendant, Kobalt s’est imposée comme un important tiers fournisseur de services « où la plupart des membres de la communauté artistique indépendante se sentent naturellement chez euxNote de bas de page 197 ». Kobalt est toujours propriétaire de sa division d’édition de musique et de son organisme mondial de perception de redevances, mais sa présence dans le secteur indépendant est nettement réduite.

La citation suivante résume de façon pertinente la portée générale de cette acquisition du point de vue des « titulaires de droits » :

« Néanmoins, un principe fondamental définissait, et définit toujours, l’indépendance d’un artiste : la propriété des droits lui revient. Encore aujourd’hui, c’est ce qui différencie l’artiste moyen d’AWAL de l’artiste moyen de Sony Music. Mais, bien entendu, toutes les grandes maisons de disques ont aussi misé gros sur les services aux maisons de disques. Nous en revenons donc à notre question initiale : Que signifie réellement le fait d’être indépendant? Faut-il évoluer à l’extérieur d’une grande structure d’entreprise? L’artiste doit-il conserver la propriété de ses droits? L’indépendance réside-t-elle dans la liberté commerciale et créative de l’artiste? Est-ce une idéologie selon laquelle la musique prime sur les affaires?Note de bas de page 198 » (Propos mis en relief)

La figure 10 ci-dessous présente les principaux distributeurs de musique des services de diffusion en continu (les distributeurs indépendants sont indiqués dans la colonne du milieu, et les grands distributeurs, dans celle de gauche) ainsi que les liens de propriété entre eux. Il convient de noter que tous les liens de propriété représentent une participation de 100 %, sauf pour Spotify (qui détient un faible pourcentage des actions de DistroKid).

Figure 10 : Les principaux distributeurs numériques et les liens de propriété entre eux

Wall Communications Inc., 2021.

Figure 10 : Les principaux distributeurs numériques et les liens de propriété entre eux – version texte
Distributeurs numériques Groupes qu’ils possèdent
Sony The Orchard AWAL -
Downtown CD Baby FUCA Songtrust
UMG INgrooves - -
Warner ADA - -
Spotify DistroKid - -
Believe Digital Tunecore - -

En plus de faire leur entrée sur le marché indépendant, les grandes maisons de disques se sont lancées dans un segment très important du secteur de la diffusion en continu et plus particulièrement pour la découvrabilité de la musique, c.-à-d. la création de listes de lecture. Chacune des grandes maisons de disques a créé une marque de commerce pour ses listes de lecture : Filtr pour Sony, Topsify pour Warner, et Digster pour Universal. Si Spotify crée la majorité des listes de lecture accessibles sur son service de diffusion en continu, celles des grandes maisons de disques y sont placées au second rang, tandis que celles des étiquettes indépendantes figurent rarement sur le serviceNote de bas de page 199.

Bien que l’incursion de Sony et des autres grandes maisons de disques dans le marché indépendant ait entraîné un changement structurel majeur, le secteur de l’édition a aussi connu des bouleversements en raison de multiples acquisitions à grande visibilité et très coûteuses. La dernière décennie a été ponctuée d’achats de catalogues d’éditeurs (ou d’autres entreprises d’édition), mais la dernière année a été marquée par des transactions d’une tout autre ampleur.

La vague d’acquisitions de 2020 a été amorcée avec l’achat de Big Deal Music (une entreprise américaine) par Hipgnosis en septembre. Hipgnosis Song Fund, une entreprise britannique cotée en bourse, a commencé ses activités en 2018 en tant qu’acheteur et gestionnaire de droits de PI sur la musique. Big Deal Music était la première acquisition d’Hipgnosis en sol américain, mais pas sa dernière. Depuis, l’entreprise a acheté les droits d’édition de plusieurs catalogues d’auteurs-compositeurs et d’éditeurs, dont ceux de Neil Young, de Lindsey Buckingham, de Shakira et de Kobalt Music Group. Entre mars et septembre 2020, les dépenses engagées par Hipgnosis pour l’achat de droits se seraient élevées à 670 M$ USNote de bas de page 200.

Hipgnosis a donné le ton au sein du marché et a été suivie par d’autres sociétés privées d’investissement en capital, fonds de pension et sociétés ouvertes, qui ont fait leur entrée sur le marché ou y ont renforcé leur présence. L’année dernière, Primary Wave a acquis les droits sur les chansons de K. J. Tunstall, de Leo Sayer et de Stevie Nicks (évalués à 100 M$ US), tandis que Round Hill, Concord et d’autres entreprises d’édition ont aussi effectué d’importants achats de droitsNote de bas de page 201.

Cependant, les nouveaux entrants ne sont pas les seuls à faire des achats de droits d’édition remarqués. En effet, Universal a acquis le catalogue de Bob Dylan (à la fois les droits d’auteur-compositeur et d’édition) pour une somme présumée de 300 M$ à 400 M$Note de bas de page 202.

KKR (un fonds d’investissement) et BMG ont récemment annoncé qu’elles avaient conclu une entente afin de mettre en commun leurs droits musicaux actuels et d’en acquérir de nouveauxNote de bas de page 203.

Selon un observateur de l’industrie, l’« essor de la diffusion en continu a eu pour effet d’accroître la valeur de la musique, tant dans le domaine de la musique enregistrée que de l’éditionNote de bas de page 204 ».

Au paysage s’ajoutent désormais plusieurs PAPE visant des droits musicaux, notamment ceux de Warner Music Group (2020) et d’Universal Music (annoncé), ainsi que celui d’Hipgnosis, comme nous l’avons mentionné plus haut. Certaines sociétés privées d’investissement en capital en font de même (p. ex., Providence Equity avec Tempo Music Investments et Shamrock Capital avec Content IP Fund)Note de bas de page 205.

Des fusions et acquisitions verticales ont également été effectuées. Downtown Music Publishing s’est transformée en une entité intégrée verticalement en faisant l’acquisition de CD Baby (distribution), de Songtrust (perception de redevances et technologie) et de FUGA (logiciels de comptabilité des redevances en musique) afin de compléter ses activités de studio d’enregistrement. Il est de plus en plus courant que des entreprises qui se sont établies dans un secteur de l’industrie de la musique élargissent leurs activités en se lançant dans un secteur adjacentNote de bas de page 206.

Les OGC canadiens ont également fait l’objet de quelques consolidations récemment. La SOCAN a fait l’acquisition de la SODRAC (maintenant connue sous le nom de « SOCAN DR ») en 2018, alors que SoundExchange a acheté l’ACDRM en 2017Note de bas de page 207.

La dernière acquisition qu’il convient de noter oriente l’industrie dans une voie légèrement différente. L’entreprise de technologie financière Square, à laquelle font appel de nombreux artistes et entreprises indépendants, a acheté Tidal, le service de diffusion de musique en continu contrôlé par des artistesNote de bas de page 208. Pour les créateurs de musique, cette acquisition pourrait donner lieu à de meilleurs systèmes de paiement des artistes et faciliter leur financement par leur bassin d’admirateurs, et ainsi accroître davantage les possibilités et les capacités de monétisation des artistes amateurs et indépendants. Ces avantages seront en partie tributaires de la facilité avec laquelle les systèmes transactionnels de Square pourront être adaptés aux besoins précis des créateurs de musique.

6.2.2 Les données, la découvrabilité et la valeur de l’actif

L’un des principaux obstacles à la concurrence dans l’industrie de la musique réside dans le manque de disponibilité, de transparence et d’exhaustivité des données. La technologie est en train de changer la donne.

La transparence est depuis longtemps une source de préoccupation en soi pour les artistes de l’industrie de la musique. Une étude de Berklee recense trois types de préoccupations, à savoir celles qui ont trait à la transparence structurelle; à la transparence des taux et des revenus; et à la transparence du répertoireNote de bas de page 209. La transparence structurelle fait défaut dans les cas où les titulaires de droits sont dans l’impossibilité de connaître les sources d’où proviennent leurs revenus (ou leurs revenus éventuels), les montants de ces revenus ou le coût qu’ils doivent débourser lorsqu’ils retiennent les services d’autres parties.

L’avènement des OGC, des distributeurs tiers et des services de diffusion en continu, qui publient des données concernant les artistes ou les rendent autrement disponibles, a permis d’atténuer substantiellement les problèmes de transparence structurelle. Le langage contractuel vague qui offrait aux artistes peu de possibilités d’éclaircir des questions relatives à leurs intérêts commerciaux personnels a été remplacé par des conditions d’utilisation clairement définies et comprises. Les OGC, notamment ceux du Canada, ont été parmi les premières organisations de l’industrie de la musique à faire preuve d’une plus grande transparence et ils ont à maintes reprises affirmé leur engagement à l’égard de la transparence, un de leurs principaux arguments afin de vendre leurs services.

En outre, les services tiers se distinguent fondamentalement des pratiques traditionnelles des maisons de disques par l’importance qu’ils accordent à la transparence. Il a toujours été difficile, voire impossible, pour un artiste d’accéder aux données comptables d’une maison de disques. Les nouveaux distributeurs produisent généralement des rapports complets et réguliers sur les comptes d’un artiste. En réponse aux pressions de la concurrence et aux besoins des artistes, la plupart des maisons de disques (grandes et indépendantes) ont adopté des pratiques plus transparentes.

La transparence des taux et des revenus ne consiste pas seulement à connaître précisément les revenus que gagne un titulaire de droits, mais aussi à pouvoir obtenir sur demande le tarif payé pour un service ou un produit particulier, la formule de répartition des revenus et la décomposition des services en volets distincts. Les organismes de réglementation (p. ex., la Commission du droit d’auteur du Canada) déterminent et publient un bon nombre des taux de redevances applicables aux titulaires de droits de l’industrie de la musique.

La transparence du répertoire se rapporte à l’exactitude et à la disponibilité des renseignements sur la propriété des droits sur les œuvres au sein de l’industrie de la musique. Des progrès ont rapidement été accomplis à cet égard grâce aux bases de données de nombreux OGC et organismes de perception, qui sont accessibles au public. La transparence du répertoire ne relève toutefois pas uniquement des OGC (ou des distributeurs ou des maisons de disques), mais elle incombe également aux titulaires de droits, dans la mesure où ils doivent fournir les données nécessaires à cette fin.

Les activités d’un bon nombre des nouveaux entrants susmentionnés qui fournissent des services tiers aux artistes amateurs et indépendants reposent sur la collecte, le formatage et l’analyse de données. De multiples entrepreneurs de la musique moderne ont pu faire leur entrée dans l’industrie parce qu’ils comprenaient bien les technologies de collecte, de stockage et d’analyse de données.

Dans une industrie où le succès est traditionnellement fondé sur des facteurs tels que les tournées, le marketing, la promotion et la chance, les données en sont de plus en plus un facteur déterminantNote de bas de page 210. La possibilité de savoir notamment qui écoute une chanson diffusée en continu, et depuis quel endroit, à quelle fréquence et à quelle période elle est écoutée, fournit un ensemble d’outils qui étaient inexistants avant la diffusion en continu.

Les métadonnées facilitent l’inclusion des listes de lecture, la découvrabilité ainsi que le paiement des redevances et leur perception : « Si vous êtes un artiste indépendant, vous devez avoir les meilleures données qui soient pour maximiser votre capacité à soutenir la concurrence sur le marchéNote de bas de page 211. »

Les services de diffusion en continu s’appuient eux-mêmes largement sur les données et leur application afin de personnaliser les listes de lecture de chaque utilisateur (p. ex., Spotify), et les maisons de disques, quant à elles, enrichissent en données des algorithmes d’apprentissage automatique pour mieux prédire les probabilités de succès des artistes. Des outils similaires sont désormais accessibles pour tous les aspects de la création et de la commercialisation de la musique :

« L’entreprise canadienne de médias numériques et d’intelligence artificielle (IA) Hitlab veut faire de sa technologie le principal outil d’analyse de données sur les artistes et les répertoires fondé sur l’IA. Music Digital Nuance Analysis est un outil breveté qui permet de décomposer chaque chanson en fonction de 83 caractéristiques. Il peut analyser les chansons les plus populaires de n’importe quelle région, puis en comparer les caractéristiques avec celles d’une chanson nouvellement lancée afin d’en détecter le potentiel de “succès”. Cet outil pourrait devenir l’arme secrète des producteurs, auteurs-compositeurs, maisons de disques et éditeurs contemporains, qui pourront désormais adapter leur son en fonction du public précis qu’ils ciblent. »

Le rôle des données et de leur analyse au sein de l’industrie va encore plus loin. Certains artistes craignent que les données commencent à être utilisées pour déterminer la façon dont le contenu est créé plutôt que pour aider les artistes à bâtir leur carrière, ce qui va à l’encontre de la sensibilité de bon nombre d’entre eux. Toutefois, puisque l’ampleur de la récompense financière dépend du degré de popularité d’une chanson, il ne fait aucun doute que cette pratique existe déjà.

En fait, à quoi sert l’IA dans le processus de création de musique? Elle consiste à utiliser des algorithmes appliqués aux données. L’IA peut mener à des formes et des constructions musicales tout à fait novatrices, mais aussi abaisser la création à un niveau de médiocrité du fait qu’elle est fondée sur les éléments les plus populaires de chansons à succèsNote de bas de page 212. À partir du moment où ces outils sont accessibles (et ils le sont déjà), il est impossible d’en contrôler l’utilisation. Les incidences juridiques (sur l’attribution et la propriété des droits) sont également inquiétantesNote de bas de page 213.

Dans le contexte de la diffusion en continu, la découverte de musique est essentiellement tributaire des listes de lecture qui sont proposées de façon périodique aux utilisateurs et qui figurent dans le profil d’un artiste sur le service. Comme nous l’avons expliqué précédemment, la majorité des listes de lecture qui figurent sur Spotify, outre celles que Spotify a conçues, sont créées par des marques de commerce appartenant aux grandes maisons de disques, ce qui facilite d’autant plus la découverte de la musique de leurs artistes.

Les algorithmes, qui exploitent les « mégadonnées », fournissent des outils qui aident à concevoir de la musique plus populaire, mais qui facilitent également la découverte des œuvres musicales et des artistes par les auditeurs. Les métadonnées (dont la création et l’utilisation sont si faciles dans le domaine de la musique numérique) sont l’élément moteur qui permet au secteur de la diffusion en continu de développer de nouvelles applications et d’offrir un meilleur service aux auditeurs et aux titulaires de droits.

Il existe trois types de métadonnées : les métadonnées descriptives; les métadonnées sur les droits et la propriété; et les métadonnées de recommandation. Les métadonnées descriptives précisent les diverses caractéristiques d’un enregistrement sonore, soit le titre, l’artiste, la date de lancement, etc. Les métadonnées sur la propriété des droits sont indispensables pour s’assurer que les parties appropriées sont identifiées et payées ultérieurement pour l’utilisation de leurs droits. Quant aux métadonnées de recommandation, elles sont subjectives, contrairement aux deux premiers types de métadonnées. Les balises des métadonnées de ce type révèlent des caractéristiques moins factuelles, notamment le type d’ambiance, le genre, l’état d’esprit, etc.

« La découvrabilité diffère énormément d’un service de diffusion en continu à l’autre. C’est pourquoi les balises des métadonnées de recommandation sont habituellement des données exclusives qui ne circulent pas au sein de l’industrie, contrairement aux métadonnées descriptives et aux métadonnées sur la propriété. Chaque plateforme génère plutôt ses métadonnées de recommandation à l’aide de sa propre approche et ses algorithmes de recommandation à partir de sa propre base de données. Par conséquent, à l’opposé des métadonnées descriptives et sur la propriété, dont la création relève de l’artiste, les métadonnées de recommandation sont produites par les FSN (ou leurs entreprises affiliées)Note de bas de page 214. »

Ce type de métadonnées est indispensable pour des applications comme les « haut-parleurs intelligents » (p. ex., les haut-parleurs de Sonos contrôlables avec Alexa). Lorsque l’auditeur demande au haut-parleur de faire jouer « une chanson matinale », « un hybride entre Jason Isbell et Groove Armada » ou « la musique que j’écoutais mardi dernier », les métadonnées de recommandation sont exploitées.

Comme pour tous les mécanismes d’entrée-sortie, les intrants influencent (ou déterminent) les extrants. Si les données d’entrée sont de mauvaise qualité, les données de sortie le seront également. Le facteur humain (qui joue généralement un rôle plus ou moins important à l’étape de l’entrée des données) est donc toujours pertinent. Souvent, les métadonnées qui sont rattachées à une œuvre ou base de données particulière doivent être associées à d’autres bases de données pour assurer une identification appropriée. L’établissement de liens entre les bases de données comporte son propre lot de défis.

Les OGC dépendent de l’exactitude et de l’exhaustivité de leurs bases de données, et bon nombre d’entre eux disposent de bases de données extrêmement vastes dotées de capacités analytiques avancées. Nous savons que des OGC canadiens ont recruté de nouveaux spécialistes des données à l’interne ou qu’ils confient l’analyse des données à des tiers afin de mieux servir leurs membres et de demeurer concurrentiels au sein de l’industrie. Cette pratique est considérée comme essentielle à la croissance et aux possibilités futures.

Finalement, nous constatons que la nécessité d’obtenir des données exactes sur les personnes à l’origine d’un enregistrement sonore de musique (auteurs-compositeurs, interprètes vedettes et d’accompagnement, producteurs techniques, ingénieurs aux enregistrements, ingénieurs du mixage, ingénieurs de la mastérisation, etc.) a créé un nouveau débouché. ProMusicDB a été l’une des premières entreprises à se lancer dans ce secteur d’activités, mais elle a été rejointe, entre autres, par JAXSTA et Auddly. Il est impératif de constituer des bases de données précises sur ceux qui contribuent aux enregistrements sonores non seulement pour veiller à ce que les parties appropriées soient rémunérées, mais également pour améliorer la découvrabilité.

L’intégrité des données a une incidence sur la détermination des droits économiques, mais aussi sur les droits moraux.

« Les deux principaux droits moraux sont le droit à l’intégrité et le droit d’attribution (qui comprend aussi une protection contre les erreurs d’attribution). »

« En ce qui concerne l’attribution, c’est-à-dire les personnes qui sont à l’origine de l’œuvre, il existe une forme de contrat social imparfait qui lie les maisons de disques, les studios cinématographiques et les réalisateurs de télévision à la communauté de créateurs. »

« Les problèmes que nous avons se situent, bien entendu, au niveau des entreprises qui dominent maintenant le marché, comme YouTube, Google et Facebook. Même si elles le font d’une façon quelque peu dissimulée, elles exploitent votre nom d’artiste, mais le VENDENT aussi en tant que mot-clé publicitaire, de sorte qu’il est associé à des produits, œuvres ou services, et ce, à votre insuNote de bas de page 215. »

Les données ont une valeur intrinsèque, tant sur le plan économique que sur le plan des droits moraux. Et leur valeur ne cesse de croître. La question de savoir qui en sont les propriétaires, comment elles peuvent être exploitées et qui doit tirer profit de leur valeur est encore loin d’être réglée.

Si la musique est un vecteur d’émotions qui sait captiver les auditeurs et incarne l’expression créative, les données sont maintenant le catalyseur de la croissance de l’industrie de la musique et sont devenues un produit « monétisable » à part entière.

Observations finales

Au début de la présente étude, nous avons posé les trois questions suivantes : À combien s’élèvent les revenus générés par l’industrie canadienne de la musique enregistrée? Combien rapporte la diffusion en continu? À qui ces revenus sont-ils distribués?

Nous avons répondu à ces questions au cours de l’étude, en plus d’examiner de façon plus approfondie les facteurs qui ont une incidence sur l’industrie et, par le fait même, sur les revenus futurs. Nous avons en grande partie utilisé des données sur les revenus bruts, sans tenir compte des coûts engagés par les différentes catégories de titulaires de droitsNote de bas de page 216.

Bien que nous ayons présenté des estimations des indicateurs clés de l’industrie, notamment des revenus bruts que les divers titulaires de droits tirent de la diffusion en continu, nous avons laissé ouverte la question de savoir si ces paiements relatifs sont adéquats, soit du point de vue de l’équité « subjective » ou d’un point de vue un peu plus « objectif » fondé sur des principes économiques.

Il convient tout particulièrement de se demander si les revenus relatifs des catégories de titulaires de droits sont suffisants à la vue de l’écart considérable et impossible à ignorer entre les revenus des maisons de disques (principalement ceux des grandes) et ceux des autres catégories de titulaires de droits. Un écart entre les revenus peut également être observé dans la catégorie des interprètes vedettes, au sein de laquelle un petit nombre de grandes vedettes se partagent une part très significative des revenus totaux (du fait qu’elles recueillent un nombre beaucoup plus élevé de diffusions en continu).

Ces questions dépassent largement le mandat de la présente étude. Nous formulons toutefois quelques observations et considérations en ce qui touche les enjeux économiques.

Selon un des principes économiques standard, les agents doivent être rémunérés en fonction du revenu marginal qu’ils génèrent. Même si ce concept est assez simple en théorie, il est beaucoup plus difficile à appliquer dans la pratique. Cette situation est d’autant plus problématique lorsque le produit est une œuvre musicale enregistrée. La musique enregistrée est un produit d’une grande complexité dont le résultat final est le fruit du travail de plusieurs parties. La perception de la contribution d’un élément donné (p. ex., les paroles, la mélodie, les harmonies, la production, l’ingénierie, le mixage, le placement algorithmique, le capital de risque, la facilité d’accès, etc.) peut différer selon l’utilisateur final (p. ex., l’auditeur). Autrement dit, le produit de revenu marginal varie en fonction de chaque auditeurNote de bas de page 217.

L’approche courante consiste à examiner les caractéristiques de la concurrence sur le marché et les sous-marchés connexes. Le marché est-il relativement concurrentiel? Le cas échéant, il se peut qu’il n’y ait pas de problème. Nous constatons qu’en réalité, le marché de la diffusion en continu n’est pas « exempt de problèmes », puisque le prix de détail des services par abonnement n’a jamais tenu compte du produit de revenu marginal de tous les contributeurs, de sorte que ce dernier pourrait bien être supérieur au prix de détail multiplié par le nombre total d’abonnésNote de bas de page 218. En d’autres termes, il est peu probable que les revenus générés par les services de diffusion en continu soient suffisants pour rémunérer tous les créateurs de musique à la juste valeur de ce qu’ils ont crééNote de bas de page 219.

Nous avons conclu que la concurrence s’intensifie dans pratiquement tous les segments de la chaîne d’approvisionnement de l’industrie de la musique enregistrée. Pour un créateur (p. ex., un artiste amateur), cette évolution est prometteuse, dans la mesure où il pourra négocier des modalités plus avantageuses dans la plupart des domaines de la création et de la distribution de musique, MAIS elle pose également des défis, car les créateurs de musique font maintenant face à une concurrence accrue de la part de leurs homologues. Néanmoins, il est évident que, pour mieux comprendre le secteur de la diffusion en continu et son incidence sur les titulaires de droits, la prochaine étape serait de nous pencher sur l’état actuel de la concurrence (et les perspectives à cet égard).

Annexes

A1. Description de la méthodologie

La présente étude a pour objectif le plus fondamental de recueillir et d’analyser des données économiques. Nous pouvons diviser le processus de collecte de données selon les étapes suivantes :

En outre, nous avons sondé des entreprises, des associations corporatives, des OGC et d’autres représentants de l’industrie pour nous aider à comprendre et à interpréter les données et les événements concernant l’industrie.

La liste de toutes les parties qui ont contribué à la présente étude figure à l’annexe A2.

Les données recueillies visent à dresser un portrait complet et détaillé d’une caractéristique économique importante de l’industrie, c.-à-d. la provenance des revenus générés et les parties auxquelles ils sont distribués. Les données fournissent également la base nécessaire pour examiner les tendances, les nouveaux développements et les orientations probables de l’industrie.

Rapports publics, semi-publics et non publics contenant des données

Il existe plusieurs rapports de données qui portent sur l’industrie canadienne de la musique ou qui examinent l’industrie de la musique de façon plus générale, mais dont les données sur le Canada constituent un sous-ensemble. Les principales publications utilisées dans le cadre de la présente étude sont indiquées ci-dessous.

Deux fois par année, Statistique Canada publie un ensemble de données intitulé « Enregistrement sonore et édition de musique », qui est essentiellement fondé sur une enquête menée par le MinistèreNote de bas de page 220. Au moment de la réalisation de la présente étude, les données publiées en 2019 pour 2017 étaient disponibles. Les données de 2019 ont été publiées à la fin de mars 2021 et elles sont seulement utilisées à des fins de vérification de la vraisemblance des estimations présentées dans l’étude.

La population cible est constituée de tous les établissements statistiques qui font partie de l’industrie de l’enregistrement sonore (SCIAN 5122), selon le Système de classification des industries de l’Amérique du Nord (SCIAN) 2017, au cours de l’année faisant l’objet de l’enquête.

La population observée est constituée de tous les établissements statistiques qui font partie de l’industrie de l’enregistrement sonore (SCIAN 5122), selon le Système de classification des industries de l’Amérique du Nord (SCIAN) 2017, et trouvés sur le Registre des entreprises de Statistique Canada en date du dernier jour de l’année de référence (incluant les établissements actifs durant une partie de l’année de référence).

La FIIP produit un rapport semestriel sur le marché mondial de la musique (le rapport a été publié récemment et comprend des données allant jusqu’à 2020). Le rapport de base ne contient que des statistiques à l’échelle mondiale, mais le rapport complémentaire présente des données par pays. Music Canada a généreusement mis à notre disposition des données sur le Canada.

L’International Music Publishers Federation (IMPF) publie un rapport intitulé Global Market View, qui contient surtout des données mondiales agrégées.

En 2018, le Worldwide Independent Network a publié un rapport (WINTEL Worldwide Independent Market) sur les maisons de disques indépendantes, et certains des participants à la présente étude nous ont fourni des données sur le Canada. Le rapport sur les données de 2020 devrait être publié plus tard cette année.

En 2020, MRC Data Billboard a publié un rapport de fin d’année sur le nombre diffusions en continu au Canada selon divers artistes, genres et d’autres caractéristiques. MRC Data (MRC Entertainment) a généreusement mis à notre disposition des données supplémentaires pour les besoins de la présente étude.

Deux organismes canadiens de gestion collective publient chaque année un rapport public, soit la SOCAN et Ré:Sonne. Les deux rapports contiennent des statistiques pertinentes qui sont utilisées dans la présente étude.

La CISAC a publié le Rapport sur les collectes mondiales 2020, qui rend principalement compte des résultats à l’échelle mondiale, mais contient également quelques données régionales.

CIRCUM a préparé un rapport pour le compte d’Éditeurs de musique au Canada (EMC) et de l’Association des professionnels de l’édition musicale (APEM), qui présente les résultats d’une enquête menée en 2020 par les éditeurs canadiens auprès de leurs membres. Ce rapport utile nous a été fourni par EMC et l’APEM.

Données provenant des participants à l’étude

Nous avons distribué des questionnaires à un vaste échantillon de participants de l’industrie afin d’obtenir des données sur les revenus tirés de la diffusion en continu et d’autres activités, ainsi que des commentaires sur les répercussions de la diffusion en continu. Les OGC qui ont participé comprennent l’ACTRA RACS, Artisti, l’ACDRM, CONNECT, la MROC, Ré:Sonne, la SOCAN et la SOPROQ. Parmi les associations corporatives qui ont fourni des données et d’autres renseignements figurent l’ADISQ, l’APACQ, l’APEM, l’ACMI, le MMF, EMC, Music Canada, l’AACC et la SPACQ. Plusieurs représentants d’entreprises nous ont également communiqué des données et des renseignements, et ont généreusement pris part à des conversations individuelles qui nous ont permis de recueillir des détails supplémentaires et de combler les lacunes en matière d’information. Larry Leblanc (ainsi que d’autres personnes qui ont demandé à garder l’anonymat) a aussi fourni une profusion d’observations et de renseignements utiles.

Pour les sections 3 et 4, nous avons établi les revenus estimatifs des catégories de titulaires de droits (soit les auteurs-compositeurs, les éditeurs, les interprètes et les maisons de disques) en nous fondant sur les données tirées des sources susmentionnées. Nous avons contre-vérifié ces estimations avec différents points de référence, notamment des représentants de l’industrie.

Une variété de sources extraites de revues spécialisées, de journaux, de rapports de consultation et d’autres publications ont été utilisées pour rédiger la majeure partie des sections 5 et 6. À la section 2, la description des titulaires de droits et de leurs droits est essentiellement tirée de sites Web d’entreprises et d’OGC et d’autres sites Web. De multiples représentants de l’industrie nous ont fourni d’autres observations et précisions. Il est à noter que des représentants d’EMC, de l’ACDRM et de la MROC ont généreusement participé à plusieurs conversations et échanges de courriels supplémentaires.

A2. Liste des participants

Les organisations suivantes ont contribué à la présente étude :

Nous tenons à remercier tout spécialement Margaret McGuffin, Paul Shaver, Diana Barry et Paul Tuch de leurs nombreuses contributions.

Marc Seguin a coordonné la collecte des renseignements sur l’industrie francophone québécoise.

A3. Références

Études et publications de l’industrie

Rapports annuels

Revues, journaux, périodiques, blogues et autres

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