Déclaration du Caucus des parlementaires noirs
Le 17 juin 2020, la sénatrice Mégie a demandé le consentement unanime du sénat pour déposer le Déclaration du Caucus des parlementaires noirs.
Le consentement unanime n’a pas été accordé.
Le Caucus des parlementaires noirs, créé en 2015, est composé de parlementaires du Sénat et de la Chambre des communes qui sont soit des Canadiens noirs ou des alliés des Canadiens noirs. Ses membres se réunissent régulièrement pour soulever, discuter et défendre les questions qui sont importantes pour la population noire du Canada. Il est donc naturel que ce caucus ait été fondé au cours de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, décrétée par l’ONU.
Plusieurs actes brutaux de racisme enregistrés sur vidéo ont été révélés au grand jour ces dernières semaines. Ils ne représentent qu’une infime partie du racisme que les Canadiens noirs subissent au quotidien. Devant les microagressions quotidiennes ou les actes haineux, plus rares mais tragiquement mortels, que nous avons vus dans ces vidéos, de nombreux Canadiens non noirs prennent conscience de la nature systémique et insidieuse du racisme dans notre pays. De récentes manifestations publiques dans tout le Canada ainsi que des campagnes en ligne témoignent d’une volonté en plein essor de comprendre les causes et les manifestations de ce phénomène pernicieux et répandu.
Pour les membres du Caucus des parlementaires noirs, il est réjouissant de voir tant de leurs concitoyens descendre dans la rue pour exprimer pacifiquement leur désir de voir la société canadienne éradiquer le racisme. Toutefois, pour débarrasser notre société du racisme, il faudra que tous les ordres de gouvernement prennent des mesures concrètes pour commencer à faire bouger les choses.
Nous félicitons divers gouvernements pour leurs efforts à ce jour pour améliorer la vie des Noirs. La Nouvelle-Écosse mène depuis longtemps et demeure un chef de file dans ce dossier. L'Ontario et le Québec devraient restaurer leurs programmes économiques et sociaux destinés à leurs communautés noires. Le gouvernement fédéral a fait des investissements historiques pour les Noirs dans les deux budgets précédents. Cependant, il faut faire davantage.
Nous prions les gouvernements d’agir immédiatement. L’heure n’est plus aux discussions : les communautés noires s’expriment depuis de nombreuses années et ne veulent plus de consultations ni d’études. Des rapports détaillés et des propositions sérieuses existent déjà. Le temps est venu de mettre en œuvre ces propositions et de consacrer des ressources financières suffisantes pour les appliquer efficacement. La réaction à la pandémie de COVID-19 prouve que les gouvernements peuvent agir rapidement et habilement en cas de crise. Les Canadiens noirs sont en état de crise : il est temps d’agir. Les mots et les gestes symboliques, bien qu’importants, ne suffisent plus.
Résumé
Dans le but d’atténuer les conséquences du racisme systémique, le Caucus des parlementaires noirs demande à tous les ordres de gouvernement du Canada de :
- Mesurer l’ampleur de la discrimination systémique par la collecte de données axées sur la race;
- Aider les Canadiens noirs en favorisant la prospérité de tous par des mesures de soutien des entreprises appartenant à des Noirs ou dirigées par des Noirs;
- Éliminer les obstacles qui empêchent les Canadiens noirs ou autochtones d’avoir accès à la justice ou à la sécurité publique;
- Rendre l’administration publique plus efficace et résiliente en veillant à ce qu’elle reflète la diversité de la population qu’elle dessert;
- Reconnaître l’apport artistique et économique des Canadiens noirs et soutenir leur culture et leur patrimoine.
Bien que plusieurs aspects importants pour la population noire ne soient pas mentionnés dans la présente déclaration, comme le logement, l’éducation et la santé, nous prions les gouvernements de donner immédiatement suite aux propositions suivantes :
Données désagrégées
Il est difficile de changer ce que l’on ne peut pas mesurer. Depuis trop longtemps, les réalités socioéconomiques vécues par la population noire sont invisibles en raison d’un manque total de données. Pourtant, des études universitaires limitées concernant les Noirs du Canada indiquent une tendance similaire, plus manifeste dans les études du Royaume-Uni et des États-Unis, des pays qui collectent des données désagrégées axées sur la race. En 2018, le gouvernement fédéral a entrepris des efforts plus sérieux dans ce sens, mais tous s’entendent pour dire que les mesures doivent être prises plus rapidement et aller beaucoup plus loin.
- Le gouvernement fédéral doit immédiatement piloter la collecte et la gestion des données désagrégées.
Cette mesure est une priorité pour le Caucus des parlementaires noirs, car ces données peuvent façonner plus efficacement les politiques sociales et économiques. De plus :
- Les données désagrégées doivent également comprendre d’autres facteurs identitaires croisés, tels que le genre et les aptitudes.
- Des données désagrégées doivent être collectées dans la fonction publique ainsi que dans les lieux de travail du secteur privé qui sont réglementés par le fédéral.
- Des données axées sur la race doivent être collectées sur les interventions policières.
- Statistique Canada devrait être le dépositaire des données désagrégées, étant donné que son mandat consiste à veiller à ce que ces données soient accessibles au public à des fins d’étude et d’analyse.
- Tous les gouvernements doivent appliquer les dispositions sur l’équité d’emploi et les renforcer.
- Tous les gouvernements doivent collecter des données sur la racialisation de la pauvreté et les analyser.
Outils économiques
Il existe des liens évidents entre la prospérité économique, le statut social et le progrès. Bien que les Canadiens noirs bénéficient aujourd’hui d’un accès égal aux outils économiques dont disposent tous les Canadiens, tel n’a pas toujours été le cas. Les Canadiens seraient choqués d’apprendre qu’il existait encore, dans la seconde moitié du XXe siècle, des obstacles juridiques et pratiques empêchant les Canadiens noirs ou les communautés noires d’avoir accès à ces outils nécessaires. Ces obstacles ont freiné l’avancement économique des Canadiens noirs dans leur ensemble; en outre, en entravant leur avancement économique, ils ont perpétué un préjugé inconscient à l’égard des entrepreneurs canadiens noirs et ont effectivement limité les options de carrière offertes aux travailleurs canadiens noirs. Qui plus est, selon les enquêtes menées par les associations d’entreprises noires canadiennes, la pandémie de COVID-19 a touché ces entreprises de manière disproportionnée. Il faut s’attaquer à ce problème immédiatement.
- Le Caucus des parlementaires noirs invite tous les ordres de gouvernement à cibler des mesures visant à aider les entreprises canadiennes appartenant à des Noirs ou dirigées par des Noirs.
- Le gouvernement fédéral doit solliciter des propositions auprès des associations d’entreprises noires pour stimuler le développement économique et les soutenir.
- Le gouvernement fédéral doit augmenter le nombre de marchés publics destinés aux entreprises appartenant à des Noirs ou dirigées par des Noirs en proportion du poids démographique de la population noire au Canada. Il doit aussi aider ces entreprises à respecter les normes des marchés publics.
- Le gouvernement doit avoir recours à des moyens d’approvisionnement électroniques pour collecter des données axées sur la race et suivre ainsi l’évolution des processus d’approvisionnement.
Réformes de la justice et de la sécurité publique
Les études démontrent toutes que les Canadiens noirs et les peuples autochtones ne sont pas plus susceptibles de commettre un crime que la population générale. Pourtant, la surveillance policière et l’incarcération excessive des Canadiens noirs (et des Autochtones) sont bien attestées. C’est peut-être dans les domaines de la justice et de la sécurité publique que la discrimination systémique se fait le plus sentir. Le Caucus des parlementaires noirs souhaite que le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires réforment les systèmes de justice et de sécurité publique afin d’éliminer le racisme anti-Noir et les préjugés systémiques, et de rendre l’administration de la justice et de la sécurité publique plus représentative et plus sensible à la diversité du Canada. Il existe un certain nombre de programmes et de propositions légitimes et bien conçus dans ce domaine, mais ils reçoivent rarement un financement adéquat dans le cadre des processus budgétaires actuels. Il faut que cette situation change immédiatement. Nous demandons au gouvernement fédéral de prendre les mesures suivantes :
- Mettre en oeuvre une stratégie de justice pour les Canadiens noirs en collaborant avec des Canadiens noirs ayant une expérience et une expertise en matière de justice pénale.
Mandat de la Justice :
- Éliminer les peines minimales obligatoires.
- Revoir les restrictions qui s’appliquent aux peines d’emprisonnement avec sursis.
- Créer dans tout le pays des centres de justice communautaire pouvant constituer une solution de rechange à l’emprisonnement.
- Financer des programmes communautaires de déjudiciarisation des peines (p. ex. les programmes de déjudiciarisation des gangs et les tribunaux de traitement de la toxicomanie).
- Investir dans les programmes de justice réparatrice et d’autres initiatives communautaires. Instaurer pour les Noirs, les gens à la peau brune et les autres Canadiens racialisés des rapports présentenciels semblables aux rapports Gladue pour les Autochtones. Revoir annuellement l’efficacité de ces rapports présentenciels et y apporter des correctifs au besoin.
- Mettre en oeuvre les recommandations des commissions parlementaires précédentes concernant les efforts pour lutter contre la haine en ligne, renforcer la sécurité publique et s'assurer que les plateformes de médias sociaux sont responsables de la suppression des contenus haineux et extrémistes.
- Remédier à la sous-représentation des Canadiens noirs et des Autochtones dans le système judiciaire (p. ex. les juges, les procureurs et les juges de paix).
- Fournir une aide juridique supplémentaire aux personnes des communautés surreprésentées dans nos institutions carcérales.
Mandat de la Sécurité publique :
- Réformer en profondeur la police, la sécurité publique, la sécurité des frontières, le système pénitentiaire et les forces militaires. Mettre l’accent sur l’efficacité des services de police en privilégiant les techniques de désamorçage des conflits et les programmes de santé mentale.
- De nombreuses voix noires appellent au démantèlement et à la démilitarisation de la police. Il s'agit d'un appel à la réconception complète des rôles et des responsabilités des services de police et à la réaffectation des budgets en conséquence. Les fonds réaffectés devraient être consacrés à des spécialistes des services sociaux et de la santé mentale formés dans le domaine de l’intervention non violente et du désamorçage des conflits. Ces spécialistes n’appartenant pas aux corps policiers travailleraient en étroite collaboration avec les services policiers.
- Revoir la présence d’unités de police dans les écoles publiques, les collèges et les universités.
- Donner la priorité aux réinvestissements dans les déterminants sociaux de la santé pour les communautés autochtones et noires.
- Exiger immédiatement la pleine et véritable transparence publique en ce qui concerne les règlements financiers dans les dossiers d’inconduite policière. Exiger aussi que ces règlements soient financés à même les budgets actuels des corps policiers.
- Prendre immédiatement des mesures pour interdire les contrôles d’identité et le profilage racial par les forces de l’ordre fédérales. Collaborer avec les partenaires locaux dans tout le Canada dans le but de mettre fin à cette pratique dans toutes les administrations.
- Faire enquête et produire un rapport sur la façon dont la GRC, les autres corps policiers et les organismes gouvernementaux échangeaient des renseignements provenant du fichage.
- Afin de remédier à la surreprésentation des Canadiens noirs et des Autochtones dans la population carcérale fédérale, donner suite aux recommandations des nombreuses études qui ont été faites à ce sujet.
- Libérer immédiatement des établissements carcéraux les personnes qui ne présentent aucun risque pour la société avec un soutien adéquat dans la communauté et en consultation avec les communautés affectées (le cas échéant).
- Remédier à la sous-représentation des Canadiens noirs et des Autochtones dans l’administration de la sécurité publique (p. ex. la Commission des libérations conditionnelles, la haute direction des prisons et l’administration des activités après la mise en liberté).
- Obliger tous les policiers en service à porter des caméras d’intervention lorsqu’ils sont en contact avec la population. Accorder la priorité à ces dépenses dans les budgets actuels.
- Toutes les commissions de police doivent rendre des comptes aux organismes de surveillance civile. La composition de ces commissions et ces organismes doit refléter la composition de la population qu’ils desservent.
Transformation du secteur public
La discrimination systémique et les préjugés inconscients existent partout, y compris dans notre illustre fonction publique. Il devient de plus en plus évident, bien que la population soit largement favorable aux mesures de lutte contre le racisme anti-Noir, que le manque de diversité chez les hauts fonctionnaires constitue un obstacle important à la création et à la mise en oeuvre rapide de mesures en ce sens. Notre fonction publique a déjà relevé avec succès des défis semblables en ce qui concerne la place des femmes et des francophones; elle est actuellement en plein engagement avec les peuples autochtones. Le moment est venu de s’engager vraiment à l’égard des Canadiens noirs et des autres Canadiens racialisés. Si la haute fonction publique était aussi diversifiée que le Canada, la fonction publique serait encore plus résiliente et efficace. Nous demandons au gouvernement de prendre les mesures suivantes :
- Veiller à ce que les Canadiens noirs soient représentés jusqu’aux échelons supérieurs de la fonction publique.
- Veiller à ce que de jeunes Canadiens noirs soient recrutés dans la fonction publique.
- Renforcer le droit du travail et veiller à ce que le recrutement au sein de la fonction publique fédérale et dans les secteurs réglementés par le fédéral soit diversifié et équitable.
- Veiller à ce que les emplois et la formation des groupes sous-représentés soient au coeur des plans d’infrastructure fédéraux.
- Mettre en oeuvre des programmes efficaces de formation et d’évaluation en matière de lutte contre les préjugés dans l’ensemble de la fonction publique.
- Créer le poste indépendant de champion des employés fédéraux noirs par la création d’un institut national de la fonction publique.
- Procéder à un examen complet de l’actuel régime d’équité en emploi afin d’aider tous les gouvernements à réduire les écarts salariaux et l’accès inéquitable aux possibilités selon la race.
- Voir à la diversité des effectifs des ministères fédéraux et des milieux de travail réglementés par le fédéral en renforçant les lois du travail.
Investissements dans les arts et la culture
La première arrivée enregistrée de Noirs sur les rives de ce qui allait devenir le Canada a eu lieu en 1604. Des vagues successives de Noirs libres, esclaves, nés au pays et immigrés ont contribué au tissu culturel et artistique du Canada. Reconnaître et célébrer la culture noire canadienne enrichit tous les Canadiens sur le plan spirituel et économique.
L’apport fédéral à ces importantes activités culturelles se limite souvent au financement de fonctionnement. Ce modèle oblige les organismes culturels, patrimoniaux et artistiques à dévier de leurs activités pour tenter de recueillir des fonds pour leurs programmes. Les organismes culturels les plus stables et qui fonctionnent le mieux sont ceux qui possèdent les locaux où se déroulent leurs activités. Nous demandons donc au gouvernement de prendre les mesures suivantes :
- Investir des capitaux dans les organismes culturels et patrimoniaux des Canadiens noirs dans le but d’assurer leur survie à long terme.
- Faire des investissements de fonctionnement pluriannuels dans ces organismes pour qu’ils puissent réduire le temps consacré aux formalités administratives et se concentrer davantage sur la réalisation d’activités culturelles et patrimoniales.
- Créer une trousse de ressources pour les communautés, les familles et les éducateurs afin de célébrer l’apport des diverses cultures à la mosaïque du Canada.
- Reconnaître que la culture, le patrimoine et les initiatives artistiques des Canadiens noirs sont des activités économiques importantes.
Conclusion
Bien que le Canada soit un merveilleux pays, pour de nombreux Canadiens noirs le Canada n’a pas encore atteint son plein potentiel. Pendant plus de 400 ans, les Canadiens noirs ont contribué, en dépit des obstacles juridiques, sociaux et économiques, à faire de la société canadienne ce qu’elle est aujourd’hui. Pour que le Canada réalise tout son potentiel, il faut éliminer les conséquences de la discrimination systémique dont font l’objet les Canadiens noirs.
Pour ce faire, le travail ne manque pas. Le Caucus des parlementaires noirs est disposé à collaborer avec tous les ordres de gouvernement pour défendre les intérêts de la population noire du Canada et répondre à leurs besoins, mais des mécanismes officiels sont tout de même nécessaires pour faire le suivi des progrès accomplis.
Nous recommandons que le gouvernement fédéral et le Parlement créent des organismes de surveillance chargés de suivre les progrès accomplis et de trouver constamment de nouvelles solutions plus efficaces pour éliminer le racisme anti-Noir et la discrimination systémique.
- Il faudrait créer au sein du Bureau du Conseil privé une direction de lutte contre le racisme anti-Noir chargée de faire le suivi des programmes et de coordonner les mesures interministérielles.
- Le Parlement devrait créer un nouveau comité permanent de l’élimination de la discrimination, dont le mandat consisterait à superviser l’ensemble des mesures, des initiatives et des programmes fédéraux (y compris ceux des sociétés d’État) visant à lutter contre la discrimination.
Contribuons ensemble à bâtir un Canada encore meilleur.
Membres
- Sénatrice Wanda Thomas Bernard, GSI – Nouvelle-Écosse
- Sénatrice Marie-Françoise Mégie, GSI – Québec
- Sénatrice Rosemary Moodie, GSI – Ontario
- Emmanuel Dubourg, député Bourassa
- Greg Fergus, député Hull – Aylmer
- Hon. Hedy Fry, députée Vancouver-Centre
- Matthew Green, député. Hamilton-Centre
- Hon. Ahmed Hussen, député York-Sud – Weston
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