Notes d'allocution
Guy Berthiaume, Bibliothécaire et archiviste du Canada
Discours prononcé devant Les Amis des Archives de la Ville d’Ottawa
Ottawa (Ontario)
Le 30 avril 2015
Sous réserve de modifications
Bonsoir et merci Madame Mawani de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui.
Je tiens à remercier tout particulièrement Paul Henry qui a suggéré qu’on m’invite.
On m’a demandé de m’adresser à vous en anglais, mais c’est avec plaisir que je répondrai aux questions dans la langue de votre choix.
Les documents et les archives jouent un rôle prépondérant encore plus aujourd’hui qu’avant.
Nul besoin de chercher bien loin pour appuyer mes propos, il suffit de regarder les nouvelles en soirée.
La destruction fréquente et étendue d’éléments historiques, qu’il s’agisse de livres, de documents officiels ou d’anciens monuments, est une preuve bien tangible de leur importance.
Il y a des forces antidémocratiques qui souhaitent éliminer les preuves du passé ou qui veulent empêcher que leur message se transmette.
La société est confiante à l’idée que nous allons préserver ses documents historiques.
Ceux-ci sont significatifs, que nous regardions derrière nous ou que nous nous tournions vers l’avenir.
Comme Ian Wilson l’a dit : « bien que notre rôle consiste à documenter le passé, la façon dont nos dossiers, nos archives et nos documents sont utilisés détermine l’avenir » [traduction].
Le rôle clé des archives au sein des sociétés démocratiques a été reconnu dans la Déclaration universelle sur les Archives de l’UNESCO, selon laquelle les archives « jouent un rôle essentiel dans le développement des sociétés ».
Nous protégeons la démocratie et rendons les documents archivistiques accessibles, ensemble et en tant que communauté élargie.
Une communauté qui englobe le gouvernement, les bibliothèques, les archives, les musées et les organisations vouées à la mémoire comme la nôtre.
Les chercheurs, les étudiants, les généalogistes, les historiens et quiconque désirant préserver et mettre en commun un témoignage fidèle de notre passé.
C’est seulement en travaillant ensemble que nous remplissons les attentes de nos clients et que nous restons au fait de l’univers numérique et de son envie insatiable d’information instantanée.
J’aimerais commencer mon discours aujourd’hui en félicitant Paul Henry et les Archives de la Ville d’Ottawa, ainsi que Les Amis qui les appuient. Ils ont fait preuve de leadership au sein de la communauté archivistique.
L’équipe des Archives a été fort occupée avec le nouveau catalogue de collections virtuelles des musées et des archives d’Ottawa.
Voilà un magnifique exemple de partenariat communautaire qui peut se traduire par un accès sans précédent à nos collections.
Grâce au catalogue de collections virtuelles, il est dorénavant rapide et facile, tant pour les résidants que pour les chercheurs, de s’informer sur l’histoire d’une des villes les plus fascinantes du Canada.
Dans cet esprit, c’est avec plaisir que BAC a collaboré au projet de réévaluation des archives d’Ottawa en transférant 45 collections aux Archives de la Ville d’Ottawa.
Dans ces collections, on trouve des documents d’entreprises établies à Ottawa, de syndicats locaux et nationaux sis à Ottawa, de groupes environnementalistes de la région d’Ottawa, d’églises et d’autres associations communautaires de la région d’Ottawa.
Je tiens aussi à mentionner l’excellent travail de l’équipe des Archives de la Ville d’Ottawa dans le cadre du projet de numérisation de la Collection Andrews-Newton… portant sur un peu tout, en partant d’images du marché By dans les années 1950 jusqu’à la construction du pont Mackenzie-King en passant par des portraits de politiciens et de personnalités sportives bien connus.
Même une illustration d’Elvis dans les rues d’Ottawa!
Et dire que je pensais que Montréal était une ville palpitante!
Étant encore un nouveau venu à Ottawa, je m’attache de plus en plus à la ville et à tout ce qu’elle offre.
Après mon arrivée de Montréal, j’ai été ravi de découvrir qu’Ottawa avait même des bagels aussi bons que ceux que j’adorais dans mon ancienne ville!
Les projets comme ceux que j’ai mentionnés nous obligent à composer avec la nouvelle réalité des archives en ce XXIe siècle : l’accès est maintenant le critère par défaut!
Il est aussi au cœur du mandat de BAC :
C’était le principal élément justifiant la première fusion de la Bibliothèque nationale et des Archives nationales en 2004.
Une fusion qui est née d’une conversation.
Entre un bibliothécaire et un archiviste.
Et qui a donné lieu à l’une des organisations les plus remarquables au monde.
La fusion était ambitieuse. Voire révolutionnaire.
Bon nombre d’autres pays ont tenté de fusionner leur bibliothèque nationale et leurs archives nationales, en vain. Notamment, les Pays-Bas, la Belgique, la Nouvelle-Zélande.
Mais ici, au Canada, ce fut un succès.
En rassemblant les collections des Archives nationales et celles de la Bibliothèque nationale, BAC a pu, selon les dires d’un de ses fondateurs, « étayer de documents toute la complexité et toute la diversité de l’expérience canadienne ».
Ensemble, nous sommes meilleurs et les grands gagnants sont nos clients.
Puisque BAC est à la fois une institution de mémoire et un organisme fédéral, elle doit assumer un ensemble unique de responsabilités.
Nos employés sont des fonctionnaires et des spécialistes du patrimoine documentaire.
Les décisions quant aux éléments que nous acquérons, préservons et mettons à la disposition de nos clients doivent correspondre à nos obligations envers le Parlement et les électeurs.
Dans tous ces rôles, nous sommes solidement engagés envers la communauté patrimoniale, qui comprend non seulement des archives et des bibliothèques, mais, comme la Ville d’Ottawa le sait déjà, des musées, des galeries d’art, des associations historiques, des universités et, de plus en plus, le secteur privé.
Puisque l’accès est un critère par défaut, il nous faut maintenant répondre aux questions suivantes :
Que veulent savoir nos clients?
Quels documents veulent-ils avoir à leur disposition?
Comment les rejoignons-nous?
La découverte en ligne est l’une des façons les plus populaires de retrouver notre passé.
Pour ce qui est de l’histoire de la Première Guerre mondiale, il en a résulté l’un des projets de numérisation les plus ambitieux que nous ayons jamais entrepris.
Ces travaux nous ont conduits dans l’univers des données ouvertes et des citoyens archivistes.
Mais, commençons donc par le commencement.
À Bibliothèque et Archives Canada, nous avons la collection la plus imposante et importante de documents originaux attestant du rôle du Canada dans la Première Guerre mondiale.
Parmi ceux-ci, mentionnons les documents officiels, comme les dossiers du personnel et les dossiers médicaux, et les cartes de champs de bataille.
Mais on y retrouve aussi des médailles, des photographies, des journaux et des lettres qui relatent les histoires de guerre de telle façon que les témoignages officiels ne pourront jamais vraiment fournir.
Ensemble, ils racontent des récits frappants d’hommes et de femmes qui ont combattu durant la Grande Guerre.
Il n’est donc pas surprenant que BAC reçoive plus de 3 000 demandes par année pour consulter les états de service datant de la Première Guerre mondiale.
Grâce à ces dossiers, les Canadiens sont en mesure aujourd’hui de faire des recherches sur leurs ancêtres et de reconstituer les événements de leur vie.
Dans un récent sondage Web effectué par BAC, les deux principaux sujets d’intérêt étaient la généalogie suivie des dossiers de la Première Guerre mondiale.
Ils se classent devant les livres rares, les documents du Cabinet des ministres et les événements canadiens, entre autres.
Les dossiers du Corps expéditionnaire canadien sont rattachés aux deux sujets d’intérêt, vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que nous avons consacré beaucoup d’efforts pour les rendre accessibles.
Nous avons déjà amorcé la numérisation des 640 000 états de service de la Première Guerre mondiale dans leur entièreté, ainsi que d’autres documents non officiels, comme des mémoires, des cartes et des photographies.
En fait, actuellement nous avons mis en ligne plus de 129 000 dossiers militaires en entier, de sorte qu’il sera plus facile pour les historiens, les enseignants, les étudiants et les généalogistes de les consulter.
Cela représente 20 pour cent du nombre total de dossiers.
Lorsque nous mettons les dossiers en ligne, ils sont reliés à notre base de données et à nos autres ressources en direct, y compris la base de données du Imperial War Museum, à Londres.
La numérisation des 32 millions de pages qui composent ces dossiers constitue le projet de préservation historique le plus imposant et le plus ambitieux jamais entrepris à BAC.
Voilà un projet dont je suis particulièrement fier, surtout parce qu’il démontre la détermination de notre personnel qui, inlassablement, se penche sur les boîtes de dossiers, l’une après l’autre, retire soigneusement les agrafes et la colle et manipule délicatement ces témoignages précieux et irremplaçables de notre passé.
Plus de 400 livres d’agrafes ont été retirées des 7 500 premières boîtes de dossiers seulement!
Ces dossiers s’ajoutent à notre liste grandissante d’autres collections de la Première Guerre mondiale entièrement numérisées, dont des journaux personnels et des lettres d’infirmières canadiennes, des récits oraux, des peintures de tranchées et de champs de bataille, même de la musique du temps de la guerre.
Alors que nous soulignons le 100e anniversaire de la guerre, les dossiers ont aussi été la source d’inspiration pour des projets connexes :
- Cent histoires est un projet sur le Web qui relatera l’histoire personnelle de 100 soldats, officiers et infirmières en reliant leurs dossiers à des cartes, à des documents gouvernementaux, à des photographies, à des objets d’art, à des journaux de guerre et à d’autres ressources datant de la Première Guerre mondiale et confiés à BAC.
- En collaboration avec le « Muninn Project », BAC a publié un ensemble de dossiers médicaux de la Première Guerre mondiale sur le portail de données ouvertes du gouvernement fédéral.
Ces projets n’auraient pas été possibles sans la collaboration de nos nombreux partenaires.
En fait, la collaboration est l’élément moteur des quatre engagements que j’ai pris lorsque je me suis joint à l’équipe de BAC, il y a dix ans.
Ces engagements visent à faire de BAC une institution :
- qui est résolument au service de ses clients;
- qui est à l’avant-garde en matière d’archivistique, de bibliothéconomie et de nouvelles technologies;
- qui est proactive et inscrite dans des réseaux nationaux et internationaux;
- qui est dotée d’un profil public plus affirmé.
Pour nous, il est essentiel, dans le cadre d’un des engagements, que nous participions activement à des réseaux nationaux et internationaux, de sorte que nous pouvons tirer parti de l’expérience de nos partenaires et vice versa.
Comme vous le savez peut-être, la communauté archivistique a convoqué un sommet à Toronto, en janvier dernier, afin de réfléchir à l’avenir des archives et aux besoins des Canadiens à l’ère du numérique.
Après le sommet, l’Association des archivistes du Québec, l’Association canadienne des archivistes, le Conseil canadien des archives, le Conseil des archivistes provinciaux et territoriaux et BAC ont formé un groupe de travail, qui s’est réuni ces huit derniers mois.
Il en a découlé une stratégie provisoire pour les dix prochaines années, une feuille de route dictant la concertation.
Cette stratégie est axée sur l’amélioration de la gestion des archives pour tous les Canadiens.
Nous compterons sur les membres de la communauté archivistique pour fournir de la rétroaction sur la stratégie et commenter les mesures à prendre pour, ensemble, concrétiser la vision énoncée dans la stratégie.
Le quatrième engagement que j’ai pris vise à nous doter d’un profil public plus affirmé et nous y parviendrons en établissant une programmation à l’intention du public de concert avec des partenaires, comme les archives, les bibliothèques, les musées, les universités, les galeries d’art et autres.
Nous mettrons à profit notre immeuble de prestige du 395 Wellington pour faire connaître notre programmation à l’intention du public.
Certains d’entre vous se souviendront de l’époque où le 395 Wellington avait une belle prestance au cœur de la Ville d’Ottawa, j’ai l’intention de lui redonner ce lustre.
Nous connaissons déjà d’ailleurs un modeste départ.
Nous avons invité David Ferriero, 10e archiviste des États-Unis, et David Fricker, directeur général des archives nationales d’Australie, dans le cadre d’une série de conférences publiques.
À la fin de mars, nous avons conclu un partenariat avec les Amis de Bibliothèque et Archives Canada dans le but de tenir une causerie avec le professeur Pierre Anctil de l’Université d’Ottawa sur la poésie yiddish du Montréalais Jacob-Isaac Segal.
La causerie était appuyée d’une exposition de documents rares de la collection Jacob Lowy.
Nous avons également travaillé en partenariat avec le Musée des sciences et de la technologie du Canada afin de monter une exposition conjointe sur l’expédition de Franklin présentée dans le foyer.
Dans le cadre de cette exposition, nous avons exhibé, à titre exceptionnel, des esquisses tirées d’un carnet de George Back, un artiste qui a accompagné John Franklin lors de ses deux premières expéditions.
L’exposition Volte-face est maintenant présentée dans le hall d’entrée du 395 Wellington.
Elle met en vedette les portraits de Canadiens fascinants et iconiques, y compris Joni Mitchell, Jacques Plante et Louis Riel. La visite en vaut la peine.
D’ailleurs, nous avons des expositions prévues au calendrier jusqu’en octobre 2016.
J’ai bien hâte de voir chacune d’elles, car elles mettront en valeur notre collection de livres de conte illustrés, l’histoire de la robotique, notre collection sur le patrimoine des Métis et nous rendrons hommage à notre passe-temps national : le hockey, pas la politique!
De plus, l’année s’annonce mouvementée compte tenu des nombreux prêts que nous ferons à d’autres organismes, ce faisant, BAC affirmera encore davantage sa présence auprès d’un public plus vaste et fera ressortir la valeur et l’étendue de nos collections.
Il y en a tellement qu’il est difficile de décider par où commencer!
L’un des prêts les plus intéressants sera au profit du Centre d’art Agnes Etherington à Kingston (Ontario).
Huit autoportraits originaux de femmes, revêtant une valeur historique, dont des pages du journal de Molly Lamb Bobak et une peinture réputée de Frances Anne Hopkins, seront exposés cet été.
Quatre objets originaux, y compris une autre peinture célèbre de Mme Hopkins, seront exposés au Musée des beaux-arts de l’Ontario, au Crystal Bridges Museum of American Art en Arkansas et au Pinacoteca do Estado de São Paulo, au Brésil.
Nous ferons aussi les prêts suivants :
- Quatre aquarelles au Galt Museum & Archives, à Lethbridge;
- Une carte d’invitation originale à la première exposition du groupe Beaver Hall sera prêtée au Musée des beaux-arts de Montréal;
- Des feuilles d’engagement, des traités et des cartes au Musée canadien de l’Immigration du Quai 21, à Halifax;
- Huit photographies originales de Québec prises par la célèbre photojournaliste américaine Lida Moser au Musée national des beaux-arts du Québec, dans la ville de Québec.
De plus, BAC travaille en étroite collaboration avec des musées et des galeries d’art, plus particulièrement alors que nous approchons du 150e anniversaire de la Confédération, en 2017.
Nous avons conclu un partenariat triennal avec le Musée des beaux-arts du Canada afin de réaliser une série de six expositions explorant la photographie du XIXe siècle au Canada.
Nous contribuons également à de grandes initiatives au Musée canadien de l’histoire.
D’ici 2017, plus de 50 objets tirés de nos collections seront présentés lors d’expositions, notamment des objets d’art, des cartes et des documents textuels et, en outre, nous jouirons d’une présence bien sentie dans la salle du Canada qui est sur le point d’être rénovée.
Nous avons aussi collaboré avec le Musée canadien de la guerre afin d’exposer le manuscrit original du poème In Flanders Fields (Au champ d’honneur), un précieux artefact pour bien des personnes, ici au Canada, mais aussi ailleurs dans le monde.
Un nombre de documents notoires de notre collection a aussi fait l’objet de prêts au nouveau Musée canadien pour les droits de la personne, à Winnipeg.
Entre autres, mentionnons un exemplaire de la Déclaration canadienne des droits, signé par John Diefenbaker en 1960, plusieurs exemples de certificats de taxe d’entrée imposée aux Chinois et le premier d’une série de traités historiques numérotés, signé en 1871 par des représentants des Premières Nations chippaouaises et cries.
Et, peut-être, le document le plus important d’entre tous : la proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982, signée sur la Colline du Parlement par Sa Majesté la reine Elizabeth II et le premier ministre à l’époque, Pierre Elliott Trudeau.
La plupart de ces activités ont été menées grâce au soutien de groupes comme les Amis de Bibliothèque et Archives Canada.
Les Amis, sous la gouverne de Marianne Scott, ont tellement contribué à notre croissance en tant qu’organisme qu’il est difficile de tenter de mesurer l’aide apportée.
Au cours des dernières semaines seulement, ils ont prêté main-forte en vue de l’acquisition de dix objets patrimoniaux clés faisant partie de la collection Winkworth vendue aux enchères par Christie’s, à Londres.
La dernière portion de la collection Winkworth provient des penderies, des cabinets, des manteaux de cheminée et des murs du manoir Kensington que Peter Winkworth a occupé pendant 50 ans et qui, depuis, a été vendu.
Les objets d’art procurent un aperçu fascinant de la vie au Canada avant la Confédération et au XIXe siècle. Ils nous permettent aussi de mieux comprendre des notions liées aux Premières Nations et à l’exploration de l’Arctique.
Outre leur contribution financière substantielle, les Amis de BAC œuvrent inlassablement en tant qu’ambassadeurs pour notre organisme, et voilà un apport peut-être plus important.
Parce qu’en dernier ressort, nous faisons tous partie d’une communauté.
J’espère que mon discours m’aura permis de bien expliquer ce point, car c’est l’un des messages les plus importants que je tenais à vous transmettre.
L’avenir de la mémoire du Canada est entre nos mains à tous, et il est essentiel que nous travaillions ensemble pour la préserver et la mettre en commun, peu importe la forme qu’elle revêt.
Ce n’est pas une mince tâche. Mais je sais que nous pouvons y arriver.
Ensemble. Je vous remercie.