Archivée: L'aspect scientifique de l'ouragan Juan - Classification de l'ouragan Juan

Préparé par Peter Bowyer, 10 octobre 2003

Ce ne sont là que quelques unes des questions qui étaient posées dans les innombrables courriels que j'ai reçus depuis que l'ouragan Juan a touché les Maritimes à la fin du mois de septembre. Des gens privés d'électricité et en proie au doute suite au passage de l'ouragan cherchent à mettre la faute sur quelque chose ou sur quelqu'un. Dans leur esprit, la tempête qui s'est abattue sur les Maritimes doit être plus qu'un ouragan de catégorie 1.

Alors qu'en est-il réellement de la classification de Juan au moment où il a touché les côtes? À bien des égards, la réponse est claire. L'échelle de Saffir-Simpson classe les ouragans en 5 catégories selon leur intensité du moment. L'échelle permet d'estimer les éventuels dégâts matériels et l'étendue possible des inondations au moment où l'ouragan touchera le littoral. La vitesse du vent est un facteur essentiel de l'échelle, puisque les valeurs des ondes de tempête varient largement en fonction de la pente du plateau continental dans la région où l'ouragan arrive sur les côtes. Remarque : la vitesse des vents est calculée sur une période moyenne de 1 minute.

Les dégâts importants causés par le vent (particulièrement aux arbres) semblent indiquer que les Maritimes ont été frappées par un système plus fort qu'un ouragan de catégorie 1. Toutefois, il est difficile de classer un ouragan en se fondant sur les dégâts causés aux arbres car ceux-ci sont plus ou moins vulnérables selon leur type et la profondeur de leurs racines. De plus, l'extrême cisaillement du vent (changement sur une faible distance verticale de la vitesse et de la direction du vent) qui accompagne les cyclones tropicaux dans les zones de latitude élevée pourrait se traduire par des vents, à la cime des arbres, supérieurs de 20 à 30 km/h à ceux enregistrés au pied. Un cisaillement du vent d'une telle intensité peut être un facteur important dans la chute de nombreux arbres. De même, le US National Hurricane Centre prévient que la vitesse des vents au sommet d'un immeuble élevé peut être d'une catégorie supérieure de 1 degré sur l'échelle de Saffir-Simpson à celle des vents au sol. En outre, la présence de vortex localisés et la vitesse maximale du vent au sein de la tempête peuvent se traduire par des vents plus forts et des dégâts plus élevés dans certaines zones.

Données concernant les vents

Les rapports sur la vitesse des vents de surface, qu'ils proviennent de stations à terre, de navires, de plateformes ou de bouées, sont des outils précieux pour mesurer la force d'une tempête intense telle qu'un ouragan.

En l'absence de relevés sur les vents de surface, les images-satellite de l'ouragan sont analysées et comparées à des images semblables de tempêtes précédemment étudiées. Cette méthode de diagnostic, connue sous le nom de technique Dvorak, est de moins en moins fiable à mesure que les ouragans s'éloignent des tropiques et s'approchent de nos latitudes.

Les données relevées au radar Doppler fournissent une autre perspective puisque ce dernier peut estimer à distance la vitesse des vents au coeur de la tempête. Les échos radar se reflètent sur la pluie causée par la tempête et, en comparant les échos successifs, on peut calculer le déplacement des pluies et, par conséquent, la vitesse du vent. Si le radar Doppler ne peut donner qu'une estimation de la vitesse du vent, il fournit une vue d'ensemble des vents de la tempête à un moment donné.

Outre les données recueillies en surface, par satellite et par radar, on peut également envoyer des aéronefs de reconnaissance au coeur d'une tempête afin d'évaluer son intensité. On établit alors une correspondance, à l'aide de facteurs de réduction connus, entre la vitesse des vents à l'altitude de vol et la vitesse des vents de surface. Lors de trois des quatre dernières saisons d'ouragans, le Service météorologique du Canada (SMC) d'Environnement Canada, en collaboration avec le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) a envoyé, au sein de cyclones tropicaux, des avions Convair-580, pour déployer des instruments de collecte de données, à savoir des radiosondes parachutées. Ces instruments, analogues aux radiosondes (ballons sondes), sont lâchés à partir de l'avion lorsque ce dernier traverse la tempête. À mesure qu'elle descend, la radiosonde parachutée mesure la température, la pression, le degré d'humidité et la vitesse du vent, et retransmet ces données à une station au sol.

Quelle que soit la source des données, la vitesse des vents doit être convertie sur une période moyenne de 1 minute à une altitude de 10 mètres (le niveau standard des normes internationales). Une fois convertis, ces vents deviennent, pour les météorologues, les " vents de surface ".

Les vents les plus forts de l'ouragan Juan

Le Convair a traversé l'ouragan Juan juste avant que ce dernier touche terre et a parachuté plusieurs radiosondes. Les vents les plus forts ont été enregistrés par la radiosonde lâchée à environ 28 kilomètres au sud-sud-est de Clam Harbour, en Nouvelle Écosse, à 23 h 54 HAA (cette sonde a atteint la surface au bout de 8 minutes). Cette sonde a très probablement été lâchée immédiatement à l'est de la zone des vents les plus forts de l'ouragan. Elle a enregistré des vents de 154 km/h à 240 mètres au dessus de la surface, de 174 km/h à 630 mètres et de 182 km/h juste au dessus de 1 000 mètres. Les vents les plus forts correspondent, une fois convertis, à des vents de 143 km/h.

Le radar Doppler installé à Gore (N.-É.) a estimé les vents les plus forts entre 206 et 213 km/h à environ 1 000 m au dessus du sol. En utilisant la même méthode de conversion pour les vents enregistrés par la radiosonde dans les couches les plus basses de l'atmosphère, on obtient des vents de surface de 133 km/h.

La station automatisée de l'île McNab's (anémomètre situé au sommet du phare de 19 mètres de hauteur de Maugher's Beach) a enregistré un vent soutenu pendant 2 minutes de 151 km/h avec des rafales à 176 km/h, ce qui représente un vent de surface de 152 km/h.

Ile McNabs, Nouvelle-Ecosse - Vitesse et direction du vent -Ouragan Juan

L'Eirik Raude, une plateforme semisubmersible située à environ 37 kilomètres au sud de Lawrencetown (N.-É.), a enregistré des vents de 99 nœuds (l'anémomètre était bloqué à son maximum pendant 30 à 60 secondes, ce qui signifie que les vents étaient en réalité plus forts). Cela représente, après conversion, des vents de surface de 147 km/h.

Le navire Earl Grey a enregistré (à 20 mètres au-dessus du niveau de la mer) une pointe à 125 nœuds (234 km/h) alors qu'il était ancré dans le bassin de Bedford (à l'entrée du port d'Halifax). Cela représente, après conversion, un vent de surface de 159 km/h.

Plusieurs anémomètres ont toutefois été détruits durant l'ouragan et n'ont donc pu enregistrer la vitesse des vents les plus forts. Le Centre de contrôle de la circulation maritime dans le port d'Halifax a signalé la destruction de ses deux instruments (situés respectivement à Shannon Hill et à Chebucto Head). Sur le pont MacDonald, qui relie Halifax à Dartmouth, on enregistrait un vent soutenu de 91 km/h avec des rafales à 126 km/h avant l'interruption de la transmission des données à 23 h 40 HAA (peut être due à une panne d'électricité). L'anémomètre installé à la station de petites embarcations de Sambro a été détruit par la tempête, bien qu'ayant survécu à une tempête précédente lors de laquelle il avait enregistré une pointe de vent à 198 km/h.

Autres chiffres dignes de mention :

On a enregistré des rafales de vent de la force d'un ouragan (119 km/h) jusqu'à 150 kilomètres à l'est de la tempête (comme à Beaver Island et à Caribou Point, en N.-É., où on a enregistré respectivement des rafales à 132 km/h et à 119 km/h).

Conclusions

Juan a touché terre en tant qu'ouragan de catégorie 2

Selon les données sur les vents dont on dispose, on peut dire en toute objectivité que la tempête se situait à la limite entre les catégories 1 et 2. Le fait qu'on ait enregistré des vents d'ouragan tout au long de sa traversée de la Nouvelle Écosse, et que la tempête était toujours à la limite de l'ouragan juste avant d'atteindre l'Île du Prince Édouard, indique que le système était très intense au moment de son arrivée sur les côtes. Les données concernant les marées de tempête portent aussi à croire que Juan était plus probablement de catégorie 2 que de catégorie 1.

Comme il est courant dans le domaine de la météorologie, on continuera d'analyser les données sur Juan à mesure qu'on obtiendra de nouvelles informations. Si les méthodes de conversion de la vitesse des vents en altitude lors d'un ouragan sont fiables aux basses latitudes, on ne peut en dire autant des tempêtes qui atteignent le Canada atlantique. De même, la pratique de classification des ouragans en fonction de la vitesse des vents à 10 mètres du sol (dans le but d'obtenir une idée des dégâts possibles), peut s'avérer problématique pour les ouragans qui atteignent nos latitudes. En effet, les vents destructeurs enregistrés à 20 ou 30 mètres au-dessus du sol peuvent être considérablement plus forts que ceux enregistrés au niveau de classification de 10 mètres. Cela est valable partout, mais c'est encore plus vrai sous les latitudes plus élevées, où la températures des eaux côtières en profondeur est beaucoup plus basse.

Le classement des ouragans peut être très complexe; l'ouragan Andrew (1992) a été reclassé ouragan de catégorie 5 au cours de l'année passée, soit 10 ans après avoir touché les côtes de la Floride. On espère que des aérodynamiciens et des ingénieurs en structures nous aideront, en étudiant les dégâts causés par Juan aux bâtiments et aux structures érigées par l'homme, à en arriver à une conclusion consensuelle et fiable.

Ce dont nous sommes certains

Remerciements

Je tiens à remercier les personnes suivantes pour leur contribution au présent rapport :

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