Allocution du conseiller à la sécurité nationale et au renseignement auprès du premier ministre au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale
Les défis en matière de sécurité nationale au 21e siècle
8 juin 2021
Merci beaucoup, Aaron. C’est un immense plaisir que d’être parmi vous aujourd’hui. Je vous remercie de cette présentation et je suis impatient à l’idée de discuter avec vous, de façon aussi fine que j’en suis capable.
Avant d’entamer mon allocution proprement dite, j’aimerais d’abord dire quelques mots à propos des tragiques événements survenus à London, en Ontario.
Nous avons appris hier – et tout le Canada est au courant, je crois – qu’une famille de cinq personnes a été la cible d’une attaque tout simplement horrible uniquement à cause de sa confession musulmane.
Quatre personnes ont perdu la vie, et un enfant de neuf ans est toujours à l’hôpital.
Je souhaite transmettre mes condoléances les plus profondes à la famille et aux proches des victimes. Le terrorisme, l’intolérance, la haine et l’islamophobie n’ont pas leur place dans notre pays, comme l’a par ailleurs affirmé le premier ministre devant la Chambre des communes plus tôt aujourd’hui.
Encore merci, Aaron, de me donner l’occasion de discuter avec vous; je dois admettre que je suis très heureux d’être ici aujourd’hui.
En préparant mon discours, j’ai eu l’occasion de reprendre contact avec le Centre, une organisation qui m’est chère puisque j’ai déjà siégé à son conseil d’administration.
J’avais alors constaté que vous faites vraiment de l’excellent travail, et ce n’est donc pas surprenant que votre projet actuel dans le secteur de la sécurité nationale soit une réussite. Félicitations!
Comme beaucoup d’autres, je crois aussi que nous devons intensifier le dialogue sur la sécurité nationale et le renseignement au Canada.
Ce que je veux dire, c’est qu’il ne faut pas se contenter de parler de sécurité nationale; il faut en parler de manière éclairée en ouvrant la voie à la prise de mesures.
Pas seulement quand les choses se passent mal, mais continuellement.
Pour y parvenir, il faut entre autres des occasions comme celle-ci, soit des activités publiques auxquelles la société civile participe.
Avec cela à l’esprit, je voudrais faire valoir quelques points importants aujourd’hui.
Premièrement, étant donné que chaque conseiller à la sécurité nationale et au renseignement voit son rôle différemment, je commencerai par vous parler de mes fonctions. Ce n’est peut-être pas tout le monde qui sait en quoi consiste une journée normale dans la vie d’un conseiller à la sécurité nationale et au renseignement. Il est même probable que plusieurs personnes ignorent même ce qu’est un conseiller à la sécurité nationale! C’est pourquoi je ferai une brève mise en contexte.
Deuxièmement, je vous ferai part de mes réflexions sur la période que nous traversons à l’échelle planétaire et de certains des défis que le Canada doit surmonter en matière de sécurité nationale.
Troisièmement, je décrirai les outils dont le Canada dispose pour surmonter ces défis.
Et finalement, je parlerai des avenues que le Canada pourrait emprunter et de quelques leçons tirées de nos alliés.
En gros, mon constat est le suivant : le monde se trouve à un tournant.
Il subit des changements d’une énorme amplitude sur la scène politique et économique et doit surmonter une combinaison de nouveaux défis et de défis qui perdurent sur le plan de la sécurité nationale.
Et comme la pandémie de COVID-19 l’a clairement illustré, ces défis concernent tous les Canadiens dans leur quotidien.
Ces circonstances exigent donc de redéfinir et d’élargir la définition de la « sécurité nationale ».
Et cela exige que le Canada se prépare et mette les bouchées doubles.
Les menaces contre la sécurité nationale qui pèsent contre le Canada – qu’elles proviennent d’acteurs étatiques ou non étatiques, ou de phénomènes mondiaux comme une pandémie ou les changements climatiques – sont plus grandes que jamais et touchent de façon directe notre économie, nos institutions démocratiques et notre mode de vie.
Face à une transformation d’une telle ampleur, la communauté de la sécurité nationale et du renseignement du pays doit évoluer et s’adapter.
Pour ce faire, il faut que nos outils et les pouvoirs qui nous sont conférés soient adaptés à cette tâche, et il faut faire preuve d’une transparence accrue à l’égard de la population, faire progresser les initiatives en faveur de la diversité et de l’inclusion, améliorer nos structures de gouvernance et travailler à l’échelle de l’administration fédérale de même à l’extérieur de celle-ci.
En fait, nous devons réagir non pas seulement à l’échelle de l’administration fédérale, mais à l’échelle du pays en entier.
Il faut toutefois commencer par mobiliser les Canadiens au moyen d’un dialogue ouvert et continu sur la sécurité nationale.
Donc, mettons-nous à la tâche.
Premièrement, que fait un conseiller à la sécurité nationale et au renseignement?
Comme mon titre l’indique, je présente des conseils stratégiques et opérationnels de même que du renseignement au premier ministre et au Cabinet sur les questions en lien avec la sécurité nationale.
Je rencontre le premier ministre, son cabinet et les ministres régulièrement pour aider le gouvernement à établir son programme en matière de sécurité nationale et à réagir aux questions qui se présentent, des actes terroristes commis au pays, comme ceux que nous avons connu ces derniers jours, aux crises qui touchent la sécurité dans le monde.
De plus, dans le cadre de mes fonctions au Bureau du Conseil privé, je réunis et j’aide à coordonner la collectivité de la sécurité et du renseignement.
Je ne suis pas le patron des sous-ministres qui font partie de cette collectivité; en fait, ce serait plutôt eux mes supérieurs! Mon rôle consiste à veiller à ce que nous travaillions comme une équipe unique et intégrée.
Cette équipe regroupe les acteurs habituels, comme le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), le Centre de la sécurité des télécommunications (CST), Sécurité publique Canada (SP), Affaires mondiales Canada (AMC), la Gendarmerie royale du Canada (GRC), le ministère de la Défense nationale (MDN) et les Forces armées canadiennes (FAC).
S’ajoutent à ce groupe de plus en plus de ministères et d’organismes qui ont un lien direct avec la sécurité nationale, comme Innovation, Sciences et Développement économique Canada, Agriculture et Agroalimentaire Canada, Santé Canada, Ressources naturelles Canada, etc.
Cette collectivité réunit beaucoup d’acteurs, mais pas autant qu’aux États-Unis, et étant donné la dynamique et le caractère mondial des défis que nous devons continuellement surmonter sur le plan de la sécurité nationale, cette collectivité peut aussi englober en tout temps pratiquement n’importe quel ministère à Ottawa.
L’un des aspects les plus importants de la coordination de la collectivité consiste à fournir aux décideurs l’information dont ils ont besoin pour prévenir les menaces qui visent le Canada et les intérêts canadiens et y réagir.
Cela m’amène au terme « renseignement » qui figure dans mon titre.
La nécessité du renseignement ne s’est jamais autant fait sentir. Une évaluation opportune et pertinente du renseignement lié aux intérêts du Canada nous aide à comprendre le monde et les menaces auxquelles nous sommes confrontés.
Le renseignement oriente les décisions d’ordre stratégique et opérationnel.
À ce titre, l’une de mes priorités des 18 derniers mois a été de continuer à diffuser le renseignement à une communauté élargie et vers les échelons supérieurs, à l’intention des hauts fonctionnaires et des politiciens.
Enfin, une grande partie de mon travail consiste à assurer régulièrement la liaison avec des partenaires qui sont à l’extérieur de la « bulle ottavienne ».
Je pense notamment à mes homologues étrangers, particulièrement ceux des pays membres du Groupe des cinq, de nos alliés au sein de l’OTAN et de nos partenaires aux vues similaires.
Le conseiller travaille souvent sur des questions qui touchent autant la sécurité internationale que la sécurité nationale. Il est donc absolument crucial d’entretenir ces relations.
Il faut également travailler avec des administrations de tous les niveaux : provinces, territoires, municipalités, de même qu’avec les secteurs universitaire et privé.
Vous en savez donc un peu plus sur ce que je fais.
Permettez-moi maintenant de faire quelques réflexions sur la situation dans le monde et les implications pour la sécurité nationale du Canada.
C’est devenu un peu un cliché ces dernières années, mais cela n’en est pas moins vrai : nous vivons dans un monde de plus en plus complexe et dangereux. Et cette réalité se fait plus que jamais sentir cette année.
Le Canada, comme bon nombre de ses alliés, est confronté à une myriade de tendances et de menaces émergentes et transversales.
Les menaces habituelles qui persistent n’ont pas disparu, mais elles prennent une nouvelle dimension tout en s’entrecroisant avec des menaces inhabituelles.
J’aimerais à ce sujet souligner trois tendances qui dominent le paysage de la sécurité nationale à l’heure actuelle :
- Premièrement, la concurrence géopolitique accrue qui se caractérise par un monde de plus en plus multipolaire.
- Deuxièmement, la rapide évolution de la technologie, un thème qui est cher au CIGI
- Et enfin l’accélération des répercussions que les problèmes de sécurité transnationaux entraînent, comme les changements climatiques et les crises sanitaires mondiales. C’est ici que la définition plus vaste prend tout son sens.
La première tendance est l’émergence d’un monde davantage multipolaire.
Le développement économique dans le monde modifie l’équilibre des forces à l’échelle internationale, en particulier vers le Sud et l’Est.
Par exemple, la région de l’Indo-Pacifique devient un centre de croissance mondiale de plus en plus important, et on y trouve trois des cinq principales économies mondiales, le plus grand pacte commercial et cinq des pays les plus populeux.
Cela dit, l’élément déterminant de cette évolution multipolaire est la montée en puissance de la Chine.
En effet, l’ascension politique, économique et technologique de Beijing représente le principal changement de ces trois dernières décennies, et la Chine demeurera une force internationale importante sur la scène mondiale au cours des années à venir.
De fait, elle s’affirme beaucoup plus dans sa région et à l’échelle internationale : elle a étendu son pouvoir et son influence, notamment avec son initiative « Une ceinture, une route », et elle tente de nuire aux États qu’elle perçoit comme des concurrents.
En ce sens, la République populaire de Chine représente une des principales menaces stratégiques pour le Canada.
Comme l’a fait remarquer l’an dernier le ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, dans une lettre adressée aux députés, la Chine,tout comme la Russie, est particulièrement active au Canada en matière d’ingérence étrangère.
Comme l’a déclaré le ministre, l’ingérence de la Chine menace « notre système politique, nos institutions démocratiques, notre cohésion sociale, la liberté du milieu universitaire, notre économie et notre prospérité à long terme, ainsi que de nos droits et libertés fondamentaux ».
Pour atteindre ses objectifs, la Chine dispose d’un arsenal bien intégré sur les plans économique, militaire et diplomatique en plus d’avoir recours à des espions et de mener des activités d’espionnage cybernétique. À cette liste j’ajouterais la détention et la diplomatie voilée, comme on a pu le constater avec les deux Michael.
Par ailleurs, la Russie demeure déterminée à causer des perturbations à l’échelle internationale.
Entre autres dans sa région immédiate, notamment, où elle continue son occupation de la Crimée.
La Russie mène également des activités à l’étranger pour entraver des élections démocratiques et diffuser de fausses informations en ligne.
Ainsi, la Chine, la Russie et d’autres acteurs étatiques hostiles continueront de représenter une menace importante pour le Canada en raison de leurs activités d’ingérence, de désinformation et d’espionnage, sans oublier les actes informatiques hostiles.
Il s’agit d’une menace directe, non seulement contre nos institutions démocratiques, mais également contre nos citoyens, nos entreprises, nos universités et nos établissements de recherche.
Dans cet environnement mondial en mutation, où le pouvoir politique, militaire et économique est davantage réparti et contesté, les puissances régionales tenteront de modifier le statu quo dans leurs sphères d’influence et ailleurs.
De nombreuses régions du monde sont déjà en proie à l’instabilité, et il y a un risque que des conflits y éclatent.
Dans l’Indo-Pacifique, nous observons des tensions en mer de Chine méridionale et en mer de Chine orientale, à propos de Taïwan et de Hong Kong, dans la péninsule coréenne et le long de la frontière entre l’Inde et le Pakistan.
Au Moyen-Orient, l’Iran représente continuellement une menace, la guerre civile perdure en Syrie, et Gaza, la Cisjordanie et Israël ont récemment connu une flambée d’actes de violence.
En Afrique, le conflit dans la région du Tigré en Éthiopie persiste, tandis que des extrémistes violents au Mali, au Burkina Faso et, de plus en plus, au Niger continuent d’étendre leur emprise dans la région du Sahel.
En Amérique latine, le Venezuela continue d’être pris dans une spirale qui tire sa situation économie et politique vers le bas.
Cette liste, loin d’être exhaustive, illustre bien la complexité de la situation dans le monde.
Je cite ces endroits chauds pour montrer que les graines des menaces contre la sécurité nationale sont souvent semées hors de nos frontières, autant par des acteurs étatiques que par des acteurs non étatiques.
En tant que pays qui bénéficie de la sécurité collective, le Canada a tout intérêt à préserver la stabilité du système international fondé sur des règles.
Cet intérêt revêt un nouveau degré d’urgence alors que nous essayons de travailler au sein d’un système de gouvernance multilatérale qui se débat sous le poids des problèmes et de la politique du 21e siècle.
Dans ce monde multipolaire aux nombreux points de conflit potentiel, nous assistons également à une concurrence entre des idéologies, qui oppose la démocratie libérale à l’autocratie et qui érode davantage l’ordre international fondé sur des règles.
En effet, les démocraties libérales sont de plus en plus supplantées par des gouvernements autoritaires qui cherchent à affaiblir le multilatéralisme, le principe des libertés individuelles, la primauté du droit, le libre-échange et les droits de la personne. Il s’agit d’une menace directe contre nos intérêts.
En 2021, Freedom House a signalé l’écart annuel le plus important jamais enregistré entre les gains et les pertes en matière de démocratie depuis 2006. Aujourd’hui, seule une personne sur cinq vit dans un pays libre.
Les autocrates d’aujourd’hui disposent d’un arsenal qui a évolué au moyen d’un accès aux nouvelles technologies, notamment pour réprimer leurs opposants politiques et diffuser de fausses informations et de la propagande, à l’étranger comme à l’intérieur des frontières de leur région.
Le Canada n’est pas à l’abri de ces activités malhonnêtes.
Ceci m’amène à la technologie et à la concurrence technologique, qui est la deuxième tendance que je voudrais aborder.
Les progrès technologiques ont transformé tous les aspects de notre société, et continueront de le faire.
En effet, les nouvelles technologies permettent d’améliorer la vie des Canadiens et de créer des débouchés pour nos industries.
Par contre, la concurrence géopolitique croissante entraîne une rivalité sur le plan de la science et des technologies entre les États, ce qui place les chercheurs et les innovateurs canadiens, autant ceux du secteur privé que ceux du secteur public, dans la ligne de mire d’autres entités.
La vitesse à laquelle les changements s’opèrent va également exacerber les points faibles que les acteurs hostiles peuvent exploiter si nous ne sommes pas prêts à réagir.
L’objectif des démocraties est de conserver un avantage par rapport à ces États concurrents, puisque ceux-ci utiliseront contre nous leurs leviers technologiques et économiques.
Par exemple, ici, au Canada, nous constatons que des entreprises qui cachent leurs liens avec des États investissent de façon stratégique dans des secteurs sensibles.
Nous observons aussi des vols de propriété intellectuelle qui servent à favoriser les intérêts d’États étrangers et d’entreprises soutenues par des États au détriment des propriétaires légitimes de ces technologies ainsi que de la sécurité et de la prospérité économiques à long terme du Canada.
Et il semble qu’il ne se passe pas une journée sans que l’on entende une histoire de cyberattaque ou de rançongiciel.
À l’avenir, les technologies émergentes, comme l’intelligence artificielle et l’informatique quantique, aggraveront les menaces que les États hostiles, les criminels et les autres acteurs hostiles font peser sur notre sécurité nationale.
L’informatique de pointe permet des cyberactivités irresponsables, et l’intelligence artificielle contribue à la mise en place de campagnes de désinformation sophistiquées.
Toutefois, cela ira plus loin que ces menaces : les nouvelles technologies changeront la façon dont nous assurerons la sécurité nationale. Sous quelle forme? Nous l’ignorons encore.
Par contre, ce que nous savons, comme l’a souligné Shelly Bruce, la dirigeante du Centre de la sécurité des télécommunications, dans son allocution devant le CIGI le mois dernier, c’est que des cyberactivités irréfléchies nuisent à la stabilité et à la prévisibilité du cyberespace.
Le Canada doit être prêt à réagir.
De même, nous devons participer activement aux discussions sur la scène nationale et mondiale qui définissent les règles, les normes techniques et les comportements acceptables dans le cyberespace.
C’est dans ce contexte que des défis non traditionnels sur le plan de la sécurité nationale, par exemple en lien avec la sécurité sanitaire et les changements climatiques, accélèrent bon nombre de ces tendances.
La sécurité sanitaire dans le monde demeurera une préoccupation majeure à la suite de la pandémie actuelle.
L’évolution de l’activité humaine, notamment l’urbanisation, les déplacements massifs et les migrations, auxquels s’ajoutent les effets des changements climatiques, créera des conditions propices à l’apparition et à la propagation d’autres maladies.
Nous avons déjà constaté les effets immédiats de la pandémie de COVID-19 dans le bilan quotidien des cas et des décès.
Et nous commençons à observer les effets secondaires : la pandémie continuera d’entraver la croissance économique mondiale et entraînera une augmentation de la pauvreté et, possiblement, des perturbations sociales.
Elle offre également aux acteurs hostiles davantage d’occasions de mener des activités malveillantes en ligne, comme l’exploitation des médias sociaux par des extrémistes violents, l’utilisation d’outils informatiques aux fins de reconnaissance et d’espionnage, et la diffusion de fausses informations par des États.
Les effets des changements climatiques sur la sécurité humaine viennent aggraver les répercussions de la pandémie.
Les changements climatiques exerceront des pressions accrues sur les communautés du monde entier.
L’Organisation mondiale de la santé estime qu’entre 2030 et 2050, ils causeront environ 250 000 décès supplémentaires par an attribuables à la malnutrition, aux maladies et au stress thermique.
Ici, au Canada, le réchauffement passé et futur est en moyenne deux fois plus important que le réchauffement planétaire.
Le réchauffement du climat intensifiera les événements météorologiques extrêmes, ce qui signifie des vagues de chaleur plus graves et des risques accrus de sécheresse, d’incendie de forêt et d’inondation en milieu urbain. Ces conditions mettront à rude épreuve nos infrastructures essentielles et nos services d’urgence.
Les changements climatiques entraîneront également des changements majeurs dans l’Arctique canadien. C’est d’ailleurs déjà le cas.
À mesure que les régions canadiennes des océans Arctique et Atlantique connaîtront des périodes prolongées et plus fréquentes sans glace, les menaces pour notre souveraineté et notre sécurité augmenteront, comme on l’observe déjà.
La réduction de la couverture de glace alimentera la concurrence pour les voies navigables, les sources d’énergie à découvrir et les ressources minérales.
Elle aura également une dimension sur les plans des activités militaires et de l’espionnage, surtout par rapport à la Russie et à la Chine, qui investissent dans leurs capacités arctiques.
Outre la sécurité sanitaire et les changements climatiques, le terrorisme et l’extrémisme violent demeurent une préoccupation.
La pandémie a fourni à tous les extrémistes, peu importe leur idéologie, des occasions de diffuser encore davantage de théories du complot et de propagande haineuse.
L’extrémisme violent motivé par l’idéologie, en particulier, constitue une menace croissante contre la sécurité nationale du Canada, et la menace extrémiste la plus meurtrière, comme nous l’avons malheureusement vu ces derniers jours.
Plus tôt cette année, le gouvernement du Canada a réagi en plaçant quatre autres groupes extrémistes violents motivés par l’idéologie sur la liste des entités terroristes établie au titre du Code criminel, à savoir : l’Atomwaffen Division, The Base, les Proud Boys et le Mouvement impérial russe.
Dans cet espace, nous avons également observé des cas notables de menace et d’intimidation à l’endroit de politiciens,de représentants du Canada et des groupes vulnérables
Parallèlement, les groupes terroristes d’origine étrangère comme Daech et al‑Qaïda n’ont pas disparu et demeurent les organisations terroristes étrangères les plus dangereuses.
Bien qu’affaiblis, ces groupes conservent tous deux des réseaux des réseaux mondiaux et ont encore l’intention et l’ambition de s’en prendre à des intérêts occidentaux.
Nous ne pouvons donc pas les ignorer.
D’autres préoccupations s’ajoutent aux menaces sanitaires dans le monde, aux changements climatiques et à l’extrémisme, comme la criminalité transnationale organisée.
Les groupes criminels organisés transnationaux faussent l’économie mondiale, sapent les institutions démocratiques et la primauté du droit et favorisent la corruption, notamment par le blanchiment d’argent.
La Commission Cullen, en cours en Colombie britannique, nous ramène à cette réalité au Canada et illustre les difficultés que pose la lutte contre les réseaux criminels transnationaux.
Permettez-moi de prendre une profonde respiration : le portrait dressé est plutôt sombre.
Et comme tout le monde est passablement déprimé, je vais m’arrêter là.
Je plaisante, bien sûr, mais je suis entré dans les détails ici pour faire passer ce message : nous vivons dans un monde turbulent, marqué par la concurrence et dangereux, et il faut se préparer en conséquence.
Et maintenant?
Comment le Canada peut-il se positionner au mieux pour promouvoir ses intérêts en matière de sécurité nationale dans leur sens le plus large?
Pour commencer, nous devons tirer parti de tous nos outils et les améliorer, qu’il s’agisse de la diplomatie, de l’aide internationale, de nos forces armées ou des services de renseignement, et ce, tant au pays qu’à l’étranger.
Sur le plan diplomatique, Affaires mondiales Canada peut continuer de mettre à profit l’expertise du service extérieur du Canada pour promouvoir les intérêts du Canada à l’étranger.
Le ministère des Affaires mondiales fait la promotion de la paix et de la sécurité dans le monde au moyen de diverses activités, qui concernent entre autres la place des femmes, la paix, la sécurité, la non-prolifération et le contrôle des armes, la cyberpolitique internationale, la criminalité internationale, et les questions spatiales. Et cette liste est loin d’être exhaustive.
Le lancement par le Canada, plus tôt cette année, de la Déclaration contre la détention arbitraire dans les relations d’État à État constitue un excellent exemple de l’importance des outils diplomatiques pour faire respecter les droits de la personne et favoriser l’ordre international fondé sur des règles.
Les sanctions et les énoncés d’attribution sont des outils supplémentaires dont nous disposons sur le plan diplomatique.
Par ses initiatives d’aide internationale, le Canada contribuera également à favoriser la sécurité et la stabilité à l’étranger en améliorant le développement économique, social et politique dans les pays bénéficiaires.
Sans ces investissements, l’instabilité peut s’étendre et mener à des menaces pour la sécurité nationale de notre pays.
Sur le plan militaire, les Forces armées canadiennes doivent défendre les intérêts du Canada dans un environnement de sécurité en évolution, où les caractéristiques géographiques n’offrent plus la même protection qu’autrefois. C’est d’ailleurs le cas depuis un certain temps, en fait.
Dans l’Arctique, par exemple, les forces militaires font respecter notre souveraineté et assurent notre sécurité en surveillant et en contrôlant constamment le territoire canadien alors même que les menaces s’accroissent.
Les militaires canadiens travaillent également en étroite collaboration avec nos alliés et partenaires pour favoriser la paix et la sécurité en Amérique centrale et du Sud, en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient et dans la région de l’Asie-Pacifique.
Les principaux organismes canadiens responsables de la sécurité et du renseignement, à savoir le SCRS, le CST, la GRC, le MDN et AMC, doivent jour après jour recueillir du renseignement, enquêter sur les menaces pour la sécurité du Canada et réagir en conséquence, sécuriser nos cybersystèmes essentiels et protéger les Canadiens.
Ces organismes disposent de nombreux outils.
Le SCRS, par exemple, recueille du renseignement humain et tire profit de ses mesures de réduction de la menace, le CST peut obtenir des renseignements d’origine électromagnétique et lancer des cyberopérations actives ou défenses, et la GRC peut mener des enquêtes criminelles sur des questions de sécurité nationale.
D’un point de vue pangouvernemental, l’examen pour des raisons de sécurité nationale que prévoit la Loi sur Investissement Canada constitue un magnifique exemple d’outil horizontal.
Selon l’investissement étranger visé par l’examen, le processus d’examen fait appel à l’expertise de ministères et d’organismes comme Finances Canada, l’Agence de la santé publique du Canada et Ressources naturelles Canada.
Cette situation reflète la diversité des menaces et les divers moyens qu’utilisent les acteurs hostiles sophistiqués pour promouvoir leurs propres intérêts au détriment de la sécurité nationale du Canada.
Hors du gouvernement fédéral, les provinces et les territoires, et de plus en plus les municipalités, représentent des partenaires à part entière qui agissent comme premiers remparts dans le cadre des mesures que nous prenons pour contrer les menaces à notre sécurité nationale, tout comme les entreprises, le milieu universitaire et la société civile.
Plusieurs initiatives récentes ont été prises pour favoriser ces partenariats.
En effet, le SCRS et Sécurité publique Canada collaborent régulièrement avec des établissements universitaires.
En mars, Innovation, Sciences et Développement économique Canada a publié un énoncé de politique sur la sécurité de la recherche qui attire l’attention sur les menaces d’espionnage et d’ingérence étrangère qui pèsent sur le milieu de la recherche au Canada.
Le Groupe de travail sur la sécurité économique de Sécurité publique Canada dirige un examen visant à déterminer quelles mesures supplémentaires, le cas échéant, sont nécessaires pour que nous demeurions en tout temps capables de réagir aux menaces à la sécurité nationale qui sont d’ordre économique. Les consultations publiques joueront un rôle central dans cet examen.
Pour composer avec ce monde difficile, nous disposons donc clairement d’outils diversifiés qui tirent parti de ressources gouvernementales et non gouvernementales.
Mais comment pouvons-nous obtenir de meilleurs résultats? Comment utiliser ces outils manière optimale?
Nos alliés peuvent nous fournir quelques indices.
L’examen intégré de la sécurité, de la défense, du développement et de la politique étrangère (Integrated Review of Security, Defence, Development, and Foreign Policy) que le Royaume-Uni vient d’achever est un modèle utile à prendre en compte pour définir notre stratégie.
Ce qui est remarquable dans cet examen, c’est précisément sa nature « intégrée », ou « mixte ».
Il combine la sécurité nationale et la politique internationale.
Et il établit un lien clair entre les objectifs du Royaume-Uni sur son territoire sur le plan international.
Il dépasse les simples questions de sécurité nationale dites « traditionnelles », car il porte aussi sur un large éventail de questions stratégiques.
L’Australie, pour sa part, a pris des mesures pour renforcer les instruments qui protègent sa sécurité nationale en réaction aux activités hostiles d’acteurs étatiques.
En 2018, par exemple, le pays a nommé son tout premier coordonnateur national de lutte contre l’ingérence étrangère, chargé d’organiser une réponse pangouvernementale aux actes d’ingérence étrangère.
Il a notamment renforcé ses règles entourant les investissements étrangers.
Le gouvernement dispose désormais d’un plus large éventail de pouvoirs pour imposer des conditions et bloquer des investissements étrangers pour des raisons de sécurité nationale.
Enfin, les États-Unis ont récemment publié des orientations stratégiques provisoires en matière de sécurité nationale qui définissent leur vision quant aux activités qu’ils mèneront dans le monde et qui fournissent des directives à leurs départements et agences de sécurité nationale pour les aider à contrer les menaces.
La communauté du renseignement américaine a également publié en mai un rapport qui présente une évaluation stratégique du terrorisme intérieur, en prélude à une réponse du gouvernement.
Compte tenu de tout ce qui précède, je crois que le Canada doit continuer à suivre le rythme de ses alliés en réagissant à l’éventail vertigineux de menaces à la sécurité nationale auxquelles il est confronté.
À cet égard, quelques avenues s’offrent à nous.
Premièrement, nous devons veiller à ce que nos politiques et nos stratégies soient pleinement intégrées et coordonnées pour relever les défis actuels en matière de sécurité nationale.
Comme l’a mentionné Aaron au début, le travail en vases clos n’est plus une option.
Nous ne pouvons pas travailler à partir de définitions dépassées de la sécurité nationale.
Et nous ne pouvons pas dissocier le caractère national du caractère international. Tous les membres du gouvernement ont un rôle à jouer dans la sécurité nationale.
Deuxièmement, nous devons nous assurer que nos organismes doivent s’adapter aux changements complexes qui prévalent dans le milieu de la menace, notamment les percées technologiques, afin de remplir leur mandat et de répondre aux attentes des Canadiens quant à la lutte contre les gestes hostiles perpétrés par des acteurs étatiques et non étatiques.
Je suis entièrement d’accord avec les efforts déployés pour que nos pouvoirs et outils législatifs soient à jour, y compris avec la position du directeur du SCRS, David Vigneault, qu’il a fait connaître dans son discours au CIGI plus tôt cette année.
Ce travail ne devrait pas se faire une fois par génération, ni même une fois tous les cinq ans.
Nous devons continuellement évaluer notre capacité à remplir notre mandat dans le cadre d’un dialogue de fond continu avec les Canadiens, et y consacrer les ressources nécessaires.
Nous devons par ailleurs maintenir la confiance du public envers les institutions responsables de la sécurité nationale et faire respecter le droit à la vie privée de la population.
En effet, les Canadiennes et les Canadiens méritent que leur intérêt à l’égard de leur vie privée soit protégé malgré les mesures que nous prenons pour garantir la sécurité nationale. Ces deux réalités ne sont pas opposées.
Ainsi, nous devons en troisième lieu accroître la transparence pour nous assurer d’obtenir le soutien de la population.
Du travail important a été accompli récemment pour exposer davantage nos activités et la façon dont nous les réalisons.
Mon discours aujourd’hui, à l’instar de ceux que mes collègues du CST et du SCRS ont prononcés plus tôt cette année, constitue des exemples de cet objectif.
Le milieu de la sécurité et du renseignement n’a probablement jamais connu de situation comme celle des derniers mois, comme en témoigne le fait que le SCRS, le CST et le conseiller à la sécurité nationale discutent publiquement d’enjeux de sécurité nationale.
Mais il reste énormément de travail à faire.
Il faut notamment accroître la transparence quant à nos priorités en matière de renseignement, mais aussi quant à la façon dont nous sommes régis et dont nous travaillons ensemble.
Si à titre de membres de la communauté de la sécurité et du renseignement, nous devons faire preuve de leadership en ce sens, les organismes de surveillance, soit l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement et le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, sont également essentiels à cet égard, tout comme le commissaire au renseignement
L’examen est un élément essentiel pour faire progresser notre culture de la sécurité nationale et du renseignement et nous assurer que nous faisons de notre mieux.
Nous devons toujours tirer des leçons de nos expériences et démontrer à la population notre engagement à mener nos activités dans le respect des valeurs canadiennes que sont la reddition de comptes, la transparence et la primauté du droit.
Quatrièmement, nous devons investir dans nos effectifs. Nous devons par exemple nous assurer qu’ils reflètent la diversité des Canadiennes et des Canadiens en embauchant des personnes de différentes origines raciales, ethniques et culturelles ainsi que de différentes religions.
La diversité est vraiment l’une des plus grandes forces de la communauté de la sécurité et du renseignement.
À défaut de diversifier les effectifs, les perspectives et les expériences de la communauté de la sécurité nationale, cette dernière aura une vision trop étroite du monde, des menaces auxquelles nous sommes confrontés et de la façon d’y réagir.
Nous devons à tout prix éviter les préjugés inconscients.
Je crois que ces efforts sont essentiels et qu’il nous reste beaucoup à faire à cet égard.
Cinquièmement, nous devons nous assurer que des structures de gouvernance adéquates sont en place pour discuter de la sécurité nationale de manière continue et prendre les mesures nécessaires.
Pour ce faire, nous devrons examiner de près les organismes de sécurité nationale pour nous assurer qu’ils ne recèlent aucune lacune, qu’ils sont adaptés à leurs objectifs et qu’ils disposent des effectifs adéquats.
Le Canada est le seul pays du Groupe des cinq, et même du G7, en fait, sans organisme qui ressemble à un conseil de sécurité nationale.
En fait, d’autres partenaires élargissent et renforcent leurs organismes de sécurité nationale au niveau du Cabinet.
Les États-Unis, par exemple, ont élargi leur conseil de la sécurité nationale pour y inclure l’Office of Science and Technology et l’administrateur de l’Agence américaine pour le développement international, ce qui témoigne de leur vision plus large de la sécurité nationale.
Et enfin, comme je l’ai mentionné plus tôt, nous devons accroître notre collaboration avec des partenaires nationaux et internationaux.
J’ai déjà mentionné l’importance de nos alliés, qu’ils fassent partie du Groupe des cinq, de l’OTAN ou du G7. Le Sommet du G7 a d’ailleurs lieu cette semaine. Nous devons nous attaquer ensemble aux menaces contre la sécurité nationale, dans un environnement de la menace des plus complexes, peu importe qu’il s’agisse de collecte de renseignement, d’échange d’information ou d’intervention en cas d’incident particulier, et ce, dans une optique de collaboration.
Ici même au pays, comme je l’ai mentionné précédemment, les provinces, les territoires, les municipalités, le secteur privé et le milieu universitaire figurent parmi les acteurs sur le terrain dans un grand nombre de dossiers touchant la sécurité nationale.
Par exemple, comme l’indique l’Énoncé de politique sur la sécurité de la recherche du gouvernement que j’ai mentionné plus tôt, au Canada, les recherches sont de plus en plus la cible d’actes d’espionnage et d’ingérence étrangère.
Nous ne pouvons pas faire notre travail sans ces partenaires.
Nous devons améliorer nos pratiques afin d’échanger de l’information avec eux, de leur fournir des conseils et de tirer parti de leur expertise.
Il est nécessaire que nous fassions évoluer notre démarche à l’égard de ces questions complexes en partenariat avec l’ensemble de la société canadienne. Pour ce faire, nous devons faire preuve de leadership et vous mobiliser, ainsi que la société civile, les chercheurs et des universitaires, les entreprises canadiennes de renommée mondiale dans le secteur des technologies et l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens.
Ce sont des conversations que je souhaite et que j’ai hâte de poursuivre.
Mon allocution tire maintenant à sa fin, et j’espère que mon message principal a été entendu : la sécurité nationale est importante pour le gouvernement et pour toute la population canadienne. Elle protège notre sécurité physique, notre prospérité et nos valeurs.
Le monde est en pleine mutation, et la communauté canadienne de la sécurité et du renseignement doit évoluer et s’adapter à ces nouvelles circonstances.
Si nous ne le faisons pas, nous risquons de miner notre sécurité nationale en ne réussissant pas à lutter contre les menaces de la part d’acteurs étatiques et non étatiques, ainsi que contre les tendances comme les changements climatiques et les pandémies mondiales.
Nous devons donc continuer à progresser sur un certain nombre de fronts.
Nous devons nous assurer que les pouvoirs qui nous sont conférés sont adaptés aux menaces qui pèsent contre nous.
Nous devons interpeller davantage les Canadiennes et les Canadiens.
Nous devons faire de la diversité et de l’inclusion une priorité dans notre milieu de travail.
Nous devons examiner la façon dont nous nous gouvernons.
Et surtout, nous devons travailler de manière totalement intégrée à l’échelle du gouvernement et à l’extérieur de celui-ci et faire de la sécurité nationale un enjeu véritablement pancanadien.
Si nous y parvenons, nous serons prêts à relever les défis que la sécurité nationale pose au 21e siècle.
Je vous remercie et je serai heureux de répondre à vos questions.
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