Document de recherche 12
Réflection sur les pratiques de gestion policière
[PDF 201kb]
©Ministre des Approvisionnements et Services Canada 1992
N° de cat. JS62-77/1992
ISBN 0-662-58869-1X
Comité externe d'examen de la
Gendarmerie royale du Canada
Président
L'honorable René J. Marin, OMM, c.r., LLD
Vice-présidente
F. Jennifer Lynch, c.r.
Membres
Joanne McLeod, C.M., c.r.
William Millar
Directeur exécutif
Simon Coakeley
Ce document fait partie d'une série de documents de recherche que le Comité a l'intention de publier en vue de recueillir les observations du public; celles-ci devant l'aider à formuler des recommandations conformément à la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (1986). Les opinions exprimées dans le présent document ne sont pas nécessairement celles du Comité.
N'hésitez pas à nous faire part de vos observations en les faisant parvenir à:
Simon Coakeley
Directeur exécutif
Comité externe d'examen de la GRC
C.P. 1159, Succursale "B"
Ottawa (Ontario)
K1P 5R2
Télécopieur: (613) 990-8969
Série de documents de recherche
Numéro 12: Réflection sur les pratiques de gestion policière
Auteur:
Clifford D. Shearing
Professeur
Centre de criminologie
Université de Toronto
avec le concours de:
Julia Powditch
Adjointe à la recherche
Centre de criminologie
Université de Toronto
Déjà parus:
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Les conflits d'intérêts
AVANT-PROPOS
Mon association professionnelle avec M. Shoaring date de 1973, quand il est devenu directeur de la recherche auprès de la Commission d'enquête sur les plaintes du public, la discipline Interne et le règlement des griefs au sein de la Gendarmerie royale du Canada, commission que j'ai eu le plaisir de présider.
Au cours des travaux de cette commission et pendant les années qui ont suivi, il y a eu de nombreuses discussions animées sur la discipline dans les corps de police et la valeur des mesures correctives; à l'occasion, nous nous sommes Interrogés sur la valeur de la discipline et nous nous sommes demandé si elle avait encore sa place dans le secteur policier. Bref, lors de toutes les commissions et enquêtes auxquelles nous avons tous deux collaboré, nous avons toujours mené le débat sur la gestion de la police et appuyé des arguments en faveur d'une approche corrective sans oublier qu'il existait d'autres perspectives plus traditionnelles qui méritaient d'être réexaminées.
Il a été convenu il y a quelques mois que M. Shearing amorcerait un vaste débat sur ce sujet si souvent discuté. Les réfections consignées dans le présent document ne remettent nullement en question notre position initiale, mais elles invitent le lecteur à prendre conscience que même la gestion fondée sur une approche corrective comporte inévitablement une part de discipline, qui risque de ne jamais disparaître totalement de la culture de la police. Cet aspect n'est pas sans valeur.
L'honorable René J. Marin
Président
Comité externe d'examen de la GRC
TABLE DES MATIÈRES
- INTRODUCTION
- 1.1 Le débat sur la gestion de la police
- 1.2 Arguments en faveur d'une approche corrective
- 1.3 L'écart entre la théorie et la pratique
- 1.4 Réponses des réformistes
- 1.5 Une perspective nouvelle
- 1.6 L'intégration plutôt que le choix
- 1.7 Plan du rapport
- MODELER LA CONDUITE DE LA POLICE
- 2.1 Impartialité
- 2.2 Le contexte policier
- 2.3 Services policiers professionnels
- GESTION TRADITIONNELLE
- 3.1 L'analogie militaire
- 3.2 Le système disciplinaire de la police
- APPROCHE CORRECTIVE
- 4.1 Rétribution
- 4.2 Valeur de la punition et l'importance de la cure" structurelle
- 4.3 Analogie avec l'entreprise privée
- 4.4 Analogie avec l'entreprise privée et la sous-culture policière
- 4.5 La nouvelle orthodoxie
- 4.6 Les règles: outils de restriction et d'orientation de l'action policière
- 4.7 Une réalité punitive
- RÉEXAMEN DE LA GESTION POLICIÈRE TRADITIONNELLE
- 5.1 Deux stratégies de contrôle
- 5.2 Teneur du débat
- 5.3 Point de vue des gestionnaires traditionnels
- 5.4 Création d'habitudes de pensée
- 5.5 Stratégies de motivation divergentes
- 5.6 Contrôle intégré
- 5.7 Contrôle par la construction de l'identité
- 5.8 Réhabilitation de la gestion traditionnelle de la police
- 5.9 Compréhension de la critique des réformistes
- 5.10 Le défi du gestionnaire moderne de la police
- NOTES ET RENVOIS
- BIBLIOGRAPHIE
Chapitre I
Depuis des décennies, le style militaire ou quasi militaire de gestion de la police, dont l'exercice, la punition et le blâme sont des éléments essentiels, fait l'objet de critiques dans le milieu policier comme à l'extérieur. Ces critiques ont pris deux formes. L'une est d'inspiration juridique et vise à garantir que le processus d'évaluation du blâme et d'inflation des punitions est juste et équitable.1 L'autre porte sur la valeur du blâme et de la punition et, dans une moindre mesure, de l'exercice, comme stratégie de réglementation. Les auteurs de la première forme de critique acceptent que l'on utilise le blâme et la punition, mais cherchent à garantir une application équitable de la loi. Les auteurs de la deuxième sont, pour leur part, plus radicaux, car ils remettent en question les stratégies de réglementation qui sont au coeur du style de gestion militaire traditionnel. Le présent rapport porte sur cette deuxième forme de critique.
Ainsi, le style de gestion traditionnel de la police, qui accorde une place privilégiée au blâme et à la punition, particulièrement à l'endroit du personnel subalterne, ne serait pas un bon moyen de contrôler les activités des policiers et, partant, de fournir des services policiers efficaces et appropriés. L'argument premier des critiques de cette catégorie est qu'il faudrait substituer au style punitif qui a caractérisé la gestion policière par le passé une approche corrective visant à corriger le comportement par des moyens non punitifs.
Cet argument s'inscrit dans une critique plus globale des systèmes de contrôle traditionnels fondés sur la punition. Garland décrit les changements survenus dans les pratiques pénales par suite de cette critique en commentant le travail de Foucault2
Ces stratégies ne visent pas simplement à punir les fauteurs de troubles, mais aussi à élaborer une méthode entièrement nouvelle d'imposition des sanctions que Foucault désigne sous le nom de "normalisation"4
C'est un argument instrumental que l'on a fait valoir à l'appui de l'approche corrective, ou de ce que l'on appelle parfois la "discipline préventives".5. On soutient que, comme l'utilité corrective de la punition est tout au plus très limitée, cette stratégie ne devrait pas être au coeur de la gestion policière. Cette gestion devrait mettre l'accent sur des stratégies qui forment et corrigent les membres plutôt que de les punir pour le principe de la chose. Cet argument est devenu le mot d'ordre des gestionnaires "progressistes" de la police, et il est de plus en plus difficile de trouver quelqu'un qui, publiquement du moins, soit prêt à se porter à la défense de l'approche punitive. Selon cette conception, la punition est une stratégie de gestion anachronique qui introduit à tort un souci de rétribution dans le processus.
En dépit du consensus apparent sur ces arguments réformistes, la punition demeure un élément essentiel de la gestion policière au Canada et ailleurs. Il y a un énorme écart entre ce que l'on dit et ce que l'on fait, entre la théorie et la pratique.
Il ne faut pourtant pas croire qu'on ne prend aucune mesure corrective et qu'on n'a effectué aucun changement inspiré de l'approche corrective. Il y a simplement lieu de constater que la punition et les institutions créées pour l'administrer demeurent au coeur de la gestion policière.
La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada6 l'illustre bien. Cette loi a été conçue largement en réponse au rapport d'une commission d'enquête, la Commission Marin7 qui contestait violemment l'importance accordée à la punition dans la GRC et proposait d'y substituer une approche corrective soit non punitive de discipline. Il n'en reste pas moins semble-t-il que la nouvelle loi présente un modèle de gestion policière essentiellement punitif.8
Pourquoi y a-t-il un écart entre le discours et la pratique? Pourquoi l'approche punitive a-t-elle conservé une si forte emprise même si, dans les débats sur la gestion policière, il est difficile de lui trouver un seul partisan? Pourquoi la punition a-t-elle gardé son importance dans la pratique, même si les arguments qui remettent en question son utilité à titre de stratégie de gestion l'emportent sur le plan conceptuel ou théorique?
En général, les réformistes répondent à ces questions en disant que la persistance de la punition tient uniquement au poids de la tradition, qui perpétue à tort le souci de la rétribution dans le milieu policier. Autrement dit, la punition demeure un élément essentiel de la gestion policière à cause de l'inertie de la vieille garde qui estime que les anciennes méthodes sont les meilleures et qui résiste à l'innovation quelle qu'elle soit. Aux yeux des réformistes, le style traditionnel apparaît donc comme un vestige tenace du passé dont il faudra se délester au profit de formes de gestion plus modernes et valables sur le plan scientifique.
En qualifiant la résistance à l'approche corrective d'irréfléchie et de rétrograde, les réformistes ont grandement renforcé la légitimité de leurs arguments. Les gestionnaires traditionnels de la police qui sont partisans du style punitif se trouvent relégués au rang des réactionnaires. Si cette forme de rabrouement les a effectivement réduits au silence dans le débat sur la gestion policière, elle ne les pas pour autant empêchés d'agir selon leurs croyances; c'est donc dire qu'elle a peu d'effet sur les pratiques de gestion traditionnelles.
La persistance de la punition comme réponse à l'inconduite, tant dans les corps policiers que dans l'ensemble de la société, soulève en elle-même des doutes sur la validité de cette réponse. En effet, si l'approche punitive maintient une telle emprise sur la gestion policière et conserve sa popularité auprès de nouvelles générations de superviseurs, c'est peut-être qu'elle a plus d'importance que les réformistes veulent bien l'admettre. En d'autres termes, le fait que tant de gestionnaires de la police restent toujours sourds aux conseils des réformistes devrait peut-être nous amener à jeter un oeil plus critique sur ces conseils. Les gestionnaires de la police qui demeurent fidèles au style punitif comprennent peut-être plus le processus que les réformistes, moi inclus, ne le pensent. Bref, il est peut-être temps d'écouter ces gestionnaires traditionnels plutôt que de les faire taire.
C'est donc dire qu'il est peut-être temps de cesser de considérer la punition comme rien d'autre qu'un anachronisme dysfonctionnel et de l'examiner de plus près pour comprendre son utilité ainsi que les raisons pour lesquelles tant de gestionnaires de la police y demeurent à ce point attachés. Il est peut-être temps de se pencher sérieusement sur les "connaissances pratiques"9 tacites des gestionnaires traditionnels de la police et de les considérer comme une source de sagesse intuitive ou pratique à explorer plutôt qu'à rejeter du revers de la main.10
J'ai dit ailleurs que l'on ne pouvait tout simplement pas négliger l'aspect de rétribution concernant la punition, surtout dans le contexte des plaintes du public contre la police.11 Je vais plus loin dans le présent rapport en soutenant que la punition a une valeur utilitaire que les gestionnaires "progressistes" de la police ont rejetée un peu vite.
Même si je soutiens, dans ce rapport, qu'il faut accorder plus d'attention aux pratiques de gestion traditionnelles, je ne prône pas pour autant l'abandon de l'approche corrective. J'estime plutôt que les stratégies traditionnelles contribuent à la "cure". En fait, il faut que nous soyons plus sensibles à l'utilité de l'approche traditionnelle afin de pouvoir relier et intégrer l'expérience qui la sous-tend aux arguments très convaincants en faveur de l'approche corrective.
Nous devons reconnaître que la persistance du style de gestion punitif témoigne de sa valeur stratégique. Nous devons bien saisir cette valeur si nous voulons que l'approche corrective passe de la théorie à la pratique. Une fois que nous aurons compris l'utilité de la punition en gestion, nous pourrons vérifier s'il existe des arguments pour la défendre ainsi que des solutions moins punitives et plus conformes aux préoccupations d'aujourd'hui12
Au chapitre suivant, on présente le contrôle de la conduite des policiers comme étant la tâche cruciale des gestionnaires de la police et on délimite le cadre d'analyse de cette tâche. Le chapitre 3 traite de la place de la punition et de l'exercice dans la discipline traditionnelle de la police. Au chapitre 4, on analyse les arguments en faveur d'un style de gestion correctif. Au chapitre 5 enfin, on définit la valeur du style de gestion punitif et on critique les arguments des gestionnaires progressistes qui n'ont pas su la reconnaître.
Chapitre II
Modeler la conduite des policiers, voilà l'essentiel de la gestion policière. Les gestionnaires doivent veiller à ce que ceux qui relèvent d'eux agissent de façon à promouvoir les objectifs du service. Ils doivent créer un ordre organisationnel particulier ou, en d'autres termes, veiller à ce que les choses se fassent d'une certaine façon.13
La "façon de faire" que les directions policières des démocraties libérales ont cherché à instaurer est caractérisée par l'Impartialité. Cette vision a servi à définir la "nouvelle police" en Grande-Bretagne au début du XIXe siècle et elle continue de modeler notre conception contemporaine de la police d'État. Elle a été particulièrement importante pour la GRC. En fait, l'image de la "police montée" qui poursuit son homme sans crainte ni partialité fait partie de la mythologie canadienne. Elle est également un élément central de l'histoire des services policiers américains en général, car les réformistes ont cherché à soustraire la police à ce qu'ils considéraient être des influences sectaires et à en faire une activité "professionnelle". Brown décrit la situation ainsi:
Comme je l'ai dit un peu plus haut, cette idée guide la police britannique depuis sa création. Sir Robert Mark, un commissaire de la police de la région métropolitaine de Londres bien connu pour son franc-parler, a exprimé clairement cette notion lorsqu'il a fait remarquer que la police britannique se caractérisait par
Soutenir que la police doit être impartiale et non partisane, ce n'est pas soutenir qu'elle peut être non politique dans un sens plus général. La police d'État, même impartiale, est essentiellement et inévitablement politiques.16 La police est censée maintenir l'ordre établi grâce à un système de lois qui sont, de par leur origine même, politiques. Lorsque la police applique la loi et fait régner la paix suivant la loi, elle accomplit la volonté des gouvernements, passés et actuels, et les gouvernements sont, de par leur nature même, des entités politiques reflétant et servant des intérêts.17
Comme le signale Reiner, l'idée derrière la création de la nouvelle police britannique au début du XIXe siècle était de doter le pays d'un corps professionnel qui rendrait des comptes au gouvernement et échapperait à l'emprise des collectivités locales. [TRADUCTION] "La création de la nouvelle police signifiait que l'on se dégageait d'une certaine mainmise populaire observée dans une partie des collectivités".18
Parallèlement, on passait d'un style d'administration policière direct et personnel à un style plus indirect et impersonnels.19 Miller décrit bien le phénomène dans ses commentaires sur l'orientation de la nouvelle police britannique:
Aux États-Unis, à l'aube du XXe siècle, on voulait réformer la police parce que l'on estimait que la partisanerie politique risquait de miner la primauté du droit et l'ordre d'État. Les réformistes soutenaient que la police était devenue le jouet d'intérêts politiques partisans, et ce, aux dépens de l'"intérêt public". Fogelson traite de cet argument dans les termes suivants:
La notion d'impartialité exige que la police fasse respecter l'ordre d'État et ne tente pas de le renverser en cherchant à instaurer un ordre contraire à la "paix" légitime par intérêt personnel ou partisan. Les choses se compliquent du fait que la loi doit être interprétée et que la police exerce un pouvoir discrétionnaire sur l'affectation de ses ressources au maintien de la paix. En d'autres termes, la loi à elle seule ne suffit pas pour guider la conduite des policiers.
Ainsi, pour que la police soit impartiale, il faut non seulement qu'elle veuille se plier à la loi, mais aussi qu'elle exerce bien les pouvoirs discrétionnaires qui lui sont dévolus. Pour que la deuxième condition soit remplie, la police doit avoir une conscience particulière qui influe sur son action. Lorsque je dis que la police doit bien exercer ses pouvoirs, j'entends par là qu'elle doit les exercer d'une façon qui, aux yeux des autorités investies de fonctions d'examen (comme les tribunaux), est de nature à promouvoir la paix qu'elle est chargée de préserver.
La poursuite de l'objectif des réformistes, qui est de créer une police professionnelle soucieuse d'offrir des services impartiaux, oblige les gestionnaires de la police à mener un combat constant pour créer une coterie d'agents prêts et aptes à agir de manière impartiale. Il faut pour cela développer les compétences (capacités) appropriées et faire en sorte que les agents soient prêts à accepter que leurs actions soient régies par les normes du droit et de la conduite professionnelle.
La création d'un style de travail impartial se fait dans des conditions difficiles, pour au moins deux raisons. Tout d'abord, la nature du travail policier fait en sorte que les agents sont rarement assujettis à une supervision directe,.22 Ils travaillent par eux-mêmes, sans subir le contrôle direct des gestionnaires dont ils relèvent.23 Comme le signale Brown, [TRADUCTION] "L'élément important, c'est que les administrateurs de la police ne peuvent vraiment contrôler que les aspects les plus banals et les plus superficiels du comportement d'un patrouilleur.24 Cette distance par rapport à la supervision s'est amenuisée du fait que la technologie permet aux superviseurs de communiquer davantage avec les agents travaillant sur le terrain.25 Il n'en demeure pas moins que la plupart des policiers travaillent toujours sans supervision directe26 Comme le fait remarquer Brown, même aujourd'hui, [TRADUCTION] "les policiers ne peuvent tout simplement pas être supervisés constamment".27
Deuxièmement, comme l'ordre qu'ils sont chargés de maintenir a tant d'importance, les policiers sont souvent incités à privilégier des intérêts particuliers plutôt que la paix de l'ensemble de la collectivité.28 Ils peuvent tout aussi bien céder aux supplications d'un jeune automobiliste qui s'exposerait à une hausse sensible sinon prohibitive de ses frais d'assurance si cette personne était accusée d'excès de vitesse ou encore aux offres de revendeurs de drogue prêts à verser une somme importante pour les convaincre de fermer les yeux sur leurs activités. Brown décrit ainsi la situation du policier:
Les gestionnaires de la police ont donc pour mission de créer une organisation qui interviendra en toute impartialité, résistant aux offres attrayantes qui lui sont faites dans un contexte où la supervision n'est qu'indirecte30. Brown exprime la même opinion en faisant valoir que le défi est de créer une organisation policière dans laquelle le comportement des policiers n'est contrôlé que par les pressions administratives qui les incitent à respecter la loi ainsi que les règles et procédures de l'organisation.30
MacNamara souligne que ces deux caractéristiques du travail policier posent un défi de taille:
Le concept de la police en tant qu'organisme professionnel régi par la loi et les règlements internes et à l'abri de toute influence politique a servi et sert toujours de référence aux conceptions d'une police d'État."33 Cette notion est bien exprimée en common law dans l'idée de l'indépendance de la police; Lord Denning a donné un rayonnement important à cette idée qui veut que la police n'ait à obéir qu'à la loi elle-même.34 La police est, dans cette optique, perçue comme un groupe de techniciens qui agissent à titre de fonctionnaires, détachés et au-dessus de la collectivité, qui utilisent leurs pouvoirs de coercition et leurs compétences dans l'intérêt du public.35 Jeffersone qui se situe dans le contexte britannique, relie cette idée à celle de l'indépendance de la police:
Cette notion des policiers qui respectent la primauté du droit et s'y conforment a été et demeure la conception dominante du travail policier.37 Les gestionnaires de la police ont donc eu à se demander comment ils pouvaient concrétiser cette conception d'un corps professionnel discipliné au sein de leur organisation. Wilson dit qu'il s'agit du "problème de la bureaucratie":
À la recherche d'une réponse, les superviseurs de la police se sont inspirés de théories de gestion portant sur les meilleurs façons de sélectionner, puis de former, les gens qui incarneront cet idéal. Ils se sont efforcés de créer un service fait de bons éléments capables d'agir de façon impartiale39. Dans la constitution de ce genre de service, on a accordé énormément d'attention à la sélection de candidats aptes à devenir des professionnels. Volimer, le célèbre chef de la police de Chicago, a dit: [TRADUCTION] "Lorsque nous aurons atteint le point où les meilleurs éléments de la société sont choisis pour joindre les rangs de la police, il y aura peu de confusion entourant les fonctions des membres"40. Après avoir choisi de "bons éléments", il ne restait plus qu'à leur donner une formation appropriée et à bien les diriger. Commentant les résultats de cette approche aux États-Unis, Brown a écrit ce qui suit:
On décèle deux étapes dans le développement de la notion du professionnalisme et policier. Ces étapes sont liées aux sources qui ont inspiré les gestionnaires de la police dans l'élaboration d'une forme de discipline interne propice à la constitution d'un corps de policiers professionnels qui agiraient de façon impartiale. La première de ces sources, qui fait l'objet du prochain chapitre, était le secteur militaire.
Cherchant une stratégie pour atteindre ce professionnalisme, les gestionnaires ont pris exemple sur le secteur militaire et particulièrement sur sa conception de la structure hiérarchique, dans laquelle l'autorité administrative va du haut vers le bas42. Il s'agissait d'une structure qui accordait une importance capitale à l'exercice43 en tant que stratégie de contrôle et qui punissait toute dérogation aux règles de conduite professionnelle44. Comme le dit Bittner en parlant des États-Unis:
Chapitre III
Dans ce chapitre, on présente les stratégies auxquelles les services de police ont eu recours aux premières étapes de la réforme pour résoudre le problème de la bureaucratie. Cet exposé servira de toile de fond à la critique de l'approche "traditionnelle".
Dans son analyse de la réforme de la police aux États-Unis, Fogelson souligne que les réformistes ont opté pour un modèle militaire dans leur effort de professionnalisation46. Ce choix s'est fait après un débat sur le modèle civil ou modèle de l'entreprise qui dominait la pensée progressiste sur la question des écoles et autres institutions urbaines depuis le début du siècle. Les réformistes ont ainsi suivi l'exemple des Britanniques et des Canadiens, qui s'étaient inspirés d'instinct de l'expérience britannique47. Cette analogie militaire48 a eu des répercussions majeures. Elle a notamment entraîné l'adhésion à la notion d'indépendance, qui est au coeur de la conception du professionnalisme dans la police et de la relation entre la police et la politique49. Fogelson exprime ce lien de la façon suivante:
L'analogie militaire servait également à promouvoir un système disciplinaire propre à assurer l'indépendance professionnelle51. Fogelson poursuit:
Comme je l'ai déjà indiqué, tant au Canada qu'en Grande-Bretagne, la lutte contre l'influence locale n'a pas été aussi rude au XXe siècle parce que l'idée d'une police professionnelle et bureaucratique était déjà solidement ancrée. La lutte s'était faite beaucoup plus tôt en Grande-Bretagne, au cours des débats du XVIIIe et du XIXe siècles sur le contrôle de la police par la collectivité. Ce sont précisément ces questions qui ont trouvé leur solution dans le triomphe de l'idée de la "nouvelle police", concrétisé par la Police Act de 182953. La nécessité de protéger la police de l'influence politique est depuis longtemps admise par les services policiers britanniques et canadiens54, tout comme est admise l'organisation de type militaires55.
Sir John A. Macdonald a fait ressortir clairement la pertinence de l'analogie militaire pour le Canada lorsqu'il préparait l'avènement de ce qui allait devenir la Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest (l'ancêtre de la Gendarmerie royale du Canada):
Les réformistes qui prônaient l'idée d'une police professionnelle souhaitaient un organisme indépendant soucieux de respecter des normes de conduite professionnelles et de fournir des services à la collectivité tout en n'étant pas à son service. Brown énonce l'idée ainsi:
Les tenants de ce point de vue reconnaissent le pouvoir discrétionnaire de la police, mais ils estiment que les décisions doivent être guidées par des lignes directrices qui soient l'expression concrète d'une éthique se situant au-dessus des conflits politiques des collectivités. Peu importe qu'une telle éthique puisse exister ou non ou que cette notion même soit le reflet d'une "sociologie irréaliste"58 qui tente de légitimer la partialité en prétendant qu'il est possible d'être impartial, c'est là le point de vue des réformistes59.
La discipline militaire était au coeur des "attributs militaires" envisagés par Macdonald. On a adopté deux aspects de la discipline militaire pour résoudre le "problème de la bureaucratie", à savoir l'exercice et un système conçu pour infliger des sanctions aux membres considérés comme ayant mal agi. La manifestation la plus visible de ce système était le tribunal militaire.
Même si l'exercice a perdu de l'importance60, il demeure un élément non négligeable de la formation des recrues et il se manifeste couramment dans des pratiques comme l'emploi de titres dans les échanges avec ses supérieurs, le port de l'uniforme et le défilé devant un sergent qui, dans la plupart des forces policières, demeure une pratique quotidienne en début de quart de travail61.
On retrouve régulièrement dans les rapports des premiers commissaires de la Police à cheval du Nord-Ouest des allusions à l'exercice comme élément de la formation des policiers. Ainsi, le commissaire Herchmer, commentant dans son rapport annuel de 1888 la difficulté de contrôler ses effectifs, traite de l'exercice en tant que source de discipline:
Dans la formation des recrues de la police, on continue de recourir dans une certaine mesure à l'exercice pour faire des civils des agents de police63. Même si la formation donnée par la police n'est pas aussi axée sur l'exercice que celle qui est donnée dans les camps de recrues de l'armée, il y a des similitudes évidentes64. Brown le souligne dans les termes suivants:
Bradley et al. défendent un point de vue semblable:
L'exercice et l'importance accordée, dans ce contexte, à des infractions mineures, notamment sur le plan de la tenue vestimentaire et de la ponctualité, servent à créer une façon d'être et une attitude particulières envers l'autorité qui favorisent le respect d'une éthique policière "professionnelle"67. Brown nous éclaire à nouveau:
Reiner signale qu'au moment de la création de la police de la région métropolitaine de Londres, la discipline était associée à la volonté d'obéir69, laquelle était évaluée en fonction de la capacité de l'agent de se plier à la rigueur de l'exercice:
L'exercice et l'application de règles "mineures" permettent aux gestionnaires de la police de se servir des secteurs de l'activité policière qu'ils peuvent superviser directement pour exercer un contrôle indirect sur ceux qui leur échappent71.
Le second aspect de la discipline est la punition. En général, les lois sur la police définissent, sous des titres du genre "Procédures disciplinaires", un système de sanctions simples et graves contre l'inconduite, définie comme étant la violation des règles légales applicables aux policiers. Les mesures disciplinaires graves comportent habituellement une audience devant ce que l'on appelle souvent un "tribunal de service", et à cette occasion, on porte des accusations et on donne à l'agent en cause la possibilité de se défendre. Ordinairement, les lois sur la police énumèrent une série de sanctions qui peuvent être infligées par ces tribunaux et elles précisent les normes de preuve qui doivent s'appliquer72. Ainsi, l'article 61 de la Loi sur les services policiers 199073 de l'Ontario stipule ce qui suit:
Les policiers apprennent, dans le cadre de leur formation de base et de leur formation continue, quelles sont les règles de conduite. Ces règles et la loi sont les paramètres de leurs actions74.
Les spécialistes soutiennent depuis longtemps que la culture policière ne trace pas la même voie aux agents que les règles officielles, créant ainsi un conflit75. L'enquête Fitzgerald, menée en 1989 à Queensland (Australie), a exposé ce point de façon très explicite, comme en témoigne le commentaire suivant de Finnane:
Cette notion a amené Brown à dire qu'il y a, dans les services de police, un mélange de deux systèmes distincts de contrôle interne et d'un système bifurqué de contrôle interne77. Dans le même ordre d'idées, Punch a écrit que la police est une organisation divisée78:
Les lignes d'action de la culture policière prennent parfois un caractère quasi officiel lorsqu'elles jouissent du soutien tacite des cadres de la police80. Ce soutien tacite montre que la relation entre les règles officielles et les normes de la culture policière n'est pas totalement harmonieuse81. Brown décrit la tension entre ces deux séries de normes et le recours à la discipline policière pour renforcer les règles officielles dans le contexte du professionnalisme de la police:
Brown conteste l'argument selon lequel "l'hypocrisie institutionnelle"83 qui permet l'appui tacite de la culture policière et de la séparation entre la théorie et la pratique des règles officielles84 signifie que les règles officielles et le régime disciplinaire de la police n'ont pas d'emprise sur le comportement policier.
La plupart des gestionnaires de la police sont d'avis qu'il faut faire régner une discipline interne pour brider la culture policière de même que pour débusquer les "mauvais éléments". Cette catégorie englobe à la fois les policiers qui sont de mauvais éléments par nature et ceux qui ont été séduits par la culture policière au point de ne plus sentir l'appel du professionnalisme86.
Chapitre IV
La critique formulée par les réformistes contemporains de la police en réponse aux "progressistes" qui ont opté pour une approche militaire de la discipline policière comporte trois éléments, tous axés sur la punition plutôt que l'exercice. Le premier élément porte sur la punition comme forme de rétribution, le deuxième traite de la punition comme façon de modifier le comportement et le troisième montre que la punition tend à mettre l'accent sur les problèmes individuels plutôt que sur les problèmes structurels.
Les tenants de l'approche corrective ont dit que la rétribution ne devrait pas faire partie des préoccupations des gestionnaires de la police. Quelles que soient ses autres activités, la direction de la police ne devrait pas avoir à se soucier de rétribution. Les superviseurs devraient s'occuper uniquement de modeler le comportement et non de redresser les torts et de porter des jugements moraux87. Ces réformistes estiment qu'il ne faudrait évaluer la punition et son utilité que dans ce que Duff appelle une perspective axée sur les conséquences:
Par cette prise de position, les tenants de l'approche corrective appuient et tiennent pour acquis le changement dans l'histoire de la punition qui a été décrit par Foucault et qui a fait en sorte que le contrôle ait désormais pour objet [TRADUCTION] "non pas tant de venger le crime que de transformer son auteur"89.
Une fois rejetée la notion de rétribution, il faut se demander quel est le meilleur moyen d'amener quelqu'un à s'amender. C'est dans ce contexte qu'interviennent les deux derniers éléments notés plus haut, c'est-à-dire l'inefficacité de la punition et l'importance de la cure structurelle.
Le débat sur la valeur de la punition comme "mode de dissuasion rationnelle" ne date pas d'hier. Si les détails du débat ont changé considérablement, son profil est demeuré remarquablement stable. L'un des désaccords fondamentaux que l'on retrouve dans ce débat est celui qui entoure l'efficacité relative de la persuasion par rapport à la crainte de la punition.
Machiavel a écrit, au XVIe siècle, sur la nature de la gestion et des stratégies de contrôle; il a soutenu que la peur était le meilleur moyen d'obtenir l'obéissance à l'autorité.
Les gestionnaires traditionnels de la police ont tendance à se rallier à l'opinion de Machiavel. Il y a cependant toujours eu des voix discordantes. On en trouve un exemple ancien dans l'histoire de la police canadienne, soit dans le rapport annuel de 1892 du surintendant Charles Constantine de la Police à cheval du Nord-Ouest:
À la préférence exprimée par Machiavel pour la crainte du châtiment comme source de contrôle, on objecte notamment que cette crainte provoque souvent un effet contraire à celui que l'on recherche et qu'elle constitue donc une base de stratégie moins sûre que la confiance. Bunyard développe ainsi cet argument:
Il est maintenant courant de voir l'approche militaire critiquée pour des choses de ce genre. Par exemple, Bittner a soutenu, dans une monographie sur la police qui a eu un grand retentissement, que le modèle militaire était, en fait, contre-productif et, par conséquent, tout à fait dirigé vers la mauvaise directions93. Il a affirmé que l'on n'avait pas besoin de soldats-bureaucrates, mais plutôt de gens qui pouvaient être amenés à se conduire comme de véritables professionnels, soucieux de faire preuve d'efficience et de compétence94. Selon lui, le contrôle du travail policier ne devrait pas reposer sur des règlements militaro-bureaucratiques, mais sur la volonté de promouvoir la compétence professionnelle95.
L'argument selon lequel l'abandon du modèle militaire favoriserait le professionnalisme de la police a été repris maintes fois dans les débats sur la réforme policière au cours des deux dernières décennies. La Commission Marin l'a défendu au Canada en 1976 en se servant des observations du surintendant Constantine, citées plus haut, pour remettre en question le recours de la GRC à la discipline traditionnelle pour résoudre le problème de la bureaucratie. La Commission a énoncé cet avis:
La Commission prônait ensuite une conception plus positive de la discipline, conforme à ce que Machiavel avait à l'esprit lorsqu'il disait que l'amour était un "lien d'obligations":
Dans cette optique corrective, l'exercice est un mode de formation que l'on rejette parce qu'il repose sur l'enrégimentation. La formation ne vise pas à forger une mentalité définie comme un mode de pensée particulier, mais plutôt à assurer la compréhension des procédures qui doivent guider l'action. En rejetant l'exercice, on délaisse l'apprentissage par l'action au profit de l'apprentissage par l'écoute.
En proposant aux gestionnaires de la GRC d'opter pour une optique corrective, la Commission Marin leur recommandait expressément d'aller au-delà de la punition des comportements individuels pour s'attaquer aux questions structurelles:
Schuck résume celle approche en disant qu'un système correctif doit être adapté au profil de la situation qu'il cherche à améliorera99.
Comme le montrent clairement ces citations, le rapport de la Commission Marin attaquait de plein fouet la gestion traditionnelle de la police, critiquant à la fois le fait qu'elle avait tendance à faire porter les problèmes sur les épaules des subalternes pris individuellement et le fait qu'elle privilégiait l'imposition de sanctions en cas d'inconduite. Cette critique, qui a de solides racines dans l'entreprise privée100, a suscité énormément d'appui en milieu policier101.
L'influence de l'entreprise privée est frappante. Il est pratiquement impossible de trouver un texte contemporain sur la gestion policière qui n'insiste pas sur la nécessité de se pencher sur l'expérience de l'entreprise privée. L'examen des pratiques de gestion qui ont cours dans les entreprises et des théories connexes est monnaie courante dans la documentation portant sur la gestion policière102.
Cet intérêt pour l'entreprise privée a ramené les tenants de l'approche corrective à l'analogie rejetée par les réformistes américains de la police au cours de la première partie du siècle103. L'honorable René J. Marin exprime très clairement ce regain d'intérêt:
On retrouve dans le document de recherche intitulé "l'Imposition des sanctions dans la police Principes généraux"105, produit dernièrement pour le Comité externe d'examen de la GRC, un exemple récent de l'utilisation de l'analogie avec l'entreprise. Ce document se fonde sur Redeker106 pour dire que le système traditionnel de la discipline progressive au sein de la police "repose sur des prémisses illogiques, puisqu'il part du principe que plus le traitement accordé à l'employé sera désagréable, plus le comportement de celui-ci s'améliorera"107. Il propose qu'on adopte plutôt le système de discipline positive prôné par Redeker108. Dans ce système, la discipline progressive cède le pas à un usage qui consiste à constamment inciter l'employé à affirmer son allégeance ou son engagement moral envers les règlements qui régissent son action. Redeker expose cet argument en ces termes:
Voilà un point du vue à l'opposé de celui de Machiavel: il est plus facile de modeler l'action en créant un lien positif avec l'autorité et la réglementation qu'en entretenant la crainte du châtiment. Cette approche positive met l'accent sur les récompenses pour renforcer l'adhésion des policiers au service qui les emploie et à ses règlements110.
Dans une allocution prononcée à l'occasion d'un atelier sur la gestion en période de restrictions budgétaires, en 1983, l'honorable René J. Marin se fonde sur l'analogie avec l'entreprise privée pour inciter les gestionnaires de la police canadienne à mettre l'accent sur les récompenses:
Même s'il est partisan de l'approche corrective, le récent document de recherche du Comité externe d'examen fait écho à la Commission Marin en disant qu'il ne faudrait pas recourir aux récompenses dans le but de mettre en évidence
Les tendances observées dans la pratique des relations syndicales-patronales et dans les ouvrages de droit portant sur cette question sont venues renforcer l'importance de la récompense et de l'approche corrective structurelle. Ainsi, dans une analyse juridique portant sur l'arbitrage des griefs dans les cas de renvoi, rédigée à peu près à l'époque du rapport de la Commission Marin, Adams adopte une position qui remet en question la pertinence des conclusions de Machiavel.
À l'instar de la Commission Marin, Adams souligne que la volonté d'assurer une motivation née de l'engagement doit avoir son pendant structurel.
À l'appui des arguments en faveur de la substitution du modèle d'entreprise au modèle militaire dans la gestion policière, on a notamment invoqué le fait que les Japonais qui, depuis 1948, ont "enregistré les taux les plus bas de crimes conventionnels de tous les pays industrialisés non communistes" ont "démilitarisé" leur police et adopté une éthique de gestion inspirée de l'entreprise privée115.
On considère l'approche japonaise comme étant particulièrement importante dans le secteur policier, parce qu'elle ne mène pas à l'éclosion chez les subalternes d'une mentalité de résistance aux règles imposées par la direction et aux règles professionnelles. Archambeault et Fenwick soutiennent ce qui suit:
De même, Bayley observe au sein de la police japonaise une unité organisationnelle qui contraste vivement avec le sentiment d'aliénation et le cynisme que Westley117 a retrouvés chez les policiers américains et que d'autres observateurs ont notés à maintes reprises plus récemment118.
Lorsque ces commentateurs soutiennent que les organisations policières nord-américaines devraient suivre l'exemple du Japon et préférer le modèle de l'entreprise au modèle militaire, lis se rallient à l'argument selon lequel les structures militaires favorisent l'éclosion d'une contre-culture qui compromet l'existence d'un corps policier professionnel. Ils estiment en particulier que les caractéristiques punitives des services de police s'inspirant du modèle militaire créent entre les subalternes et la direction un clivage que permet d'éviter une approche axée sur des stratégies de collaboration entre ces deux niveaux120.
Archambeault et Fenwick exposent plus en détail les répercussions que peuvent avoir sur la gestion policière les valeurs prisées par les Japonais, soit le travail d'équipe à l'échelle de l'organisation, la coexistence d'un contrôle strict de la direction et d'une participation des employés aux décisions, et une attitude humaniste holistique à l'égard des employés; ils expliquent comment ces valeurs font obstacle à la contre-culture professionnelle et au clivage qui nuisent aux gestionnaires dans leurs tentatives de créer des corps policiers professionnels:
Ces idées constituent désormais l'orthodoxie reconnue dans les cercles policiers, tant et si bien qu'on ne retrouve tout simplement plus d'arguments en faveur d'une approche plus traditionnelle axée sur le châtiment. Il n'y a, à l'heure actuelle, aucune autre théorie viable. Machiavel a été totalement discrédité, et personne ne semble prêt ou apte à développer une argumention en faveur du recours à la punition dans la discipline policière. Stinchcombe résume ainsi l'orthodoxie liée au professionnalisme:
Au coeur de l'approche corrective, il y a l'idée que la police professionnelle est un regroupement de personnes dont l'action est guidée et limitée par des règles123. Dans cette optique, le rôle de la direction de la police est:
- de veiller à ce que les policiers adhèrent aux règles de l'organisation qui les emploie124;
- de veiller à ce que les règles donnent des orientations claires et nettes; et
- d'éliminer les obstacles organisationnels qui gênent l'observation de ces règles125.
Cette approche oppose des règles aux loyautés locales126.
Les tenants de l'approche corrective misent sur les règles en soutenant que le modèle militaire est imparfait à la fois parce qu'il n'accorde pas assez d'importance aux obstacles structurels à la conformité et parce qu'il ne permet pas la création d'un lien valable entre les membres de la base et les règles bureaucratiques qui régissent leurs actes. Brown souligne l'importance de l'établissement d'un tel lien:
À la base de cette insistance sur les règles, il y a la conviction que la science est une source de connaissances qui permet de professionnaliser et de modeler le travail policier128. Les tenants de l'approche corrective estiment que le modèle militaire repose sur des stratégies moins solides sur le plan scientifique que le leur.
Même si, à l'heure actuelle, le débat sur le travail policier est très largement dominé par l'optique corrective dont il a été question plus haut, la réalité est toute autre. La punition occupe toujours une grande place dans la gestion policière. Il y a un fossé entre ce que l'on dit et ce que l'on fait, mais on ne pourrait aller jusqu'à affirmer que la doctrine corrective n'a eu aucun effet. Elle en a eu. Ainsi, on se soucie beaucoup plus de trouver des solutions d'ordre structurel et on a constaté, avec preuves à l'appui, que des mesures correctives non fondées sur la punition sont utilisées. Mais il n'en reste pas moins que la discipline au sein de la police a très peu changé. Elle est toujours passablement associée à la punition129, comme elle l'était dans les années 70, au moment où la Commission Marin élaborait sa thèse corrective. Les corps policiers sont toujours des "bureaucraties axées sur la punition"130. Auten fait remarquer:
Le modèle militaire demeure extrêmement populaire132, même dans les services de police les plus innovateurs. Skolnick et Bayley estiment, par exemple, que les six services de police qu'ils ont choisis pour leur étude de "l'innovation policière" sont conformes au modèle militaire.
Das est encore plus formel:
Pourquoi? Pourquoi la punition a-t-elle gardé tant d'importance? Les réformistes qui prônent l'approche corrective répondent que l'organisation policière est particulièrement réfractaire au changement135 et que les gestionnaires de la police sont des êtres conservateurs qui se cramponnent à leurs vieilles habitudes136. Selon eux, c'est le poids de la tradition qui freine le changement. Bradley présente ainsi l'attitude des policiers:
Aux yeux des réformistes, il faut forcer davantage les gestionnaires à changer leurs habitudes et à reconnaître qu'ils doivent voir la gestion sous un angle nouveau.
À la question du pourquoi, on pourrait aussi répondre que, plutôt que de mettre en doute la qualité de la gestion policière, il y a peut-être lieu de se demander si la théorie est adéquate. Il faudrait alors examiner de plus près et tenter d'expliquer la théorie implicite qui guide les gestionnaires traditionnels de la police et façonne leur point de vue sur la punition. Il se peut que ces gestionnaires continuent à accorder une place essentielle à la punition, en dépit du flot de critiques venant des partisans de la gestion corrective, parce qu'ils lui reconnaissent une valeur qui a échappé aux réformistes. Nous explorerons cette possibilité au chapitre suivant.
Chapitre V
Les chapitres précédents donnent une idée de l'opposition qui a existé et qui existe toujours entre deux conceptions du contrôle au sein de l'organisation policière. Il est important de préciser dès le départ qu'on n'est pas en désaccord sur tout. Ainsi, l'importance d'une analyse structurelle est reconnue d'emblée. L'essentiel du litige qui occupe les gestionnaires tourne autour de leur conception des facteurs qui peuvent inciter les policiers à se comporter de façon professionnelle.
Cette opposition s'inscrit dans un débat plus large sur les formes de pouvoir en général, débat auquel ont beaucoup contribué les spécialistes qui étudient la question. Foucault, qui a décelé la transition des stratégies de pouvoir fondées sur des spectacles de châtiment aux stratégies fondées sur une surveillance omniprésente, a été un intervenant important138. Dans l'ancienne forme de pouvoir, qui, de l'avis de Foucault, était en perte de vitesse, les spectacles de châtiment servaient à promouvoir un respect pour la force qui était inspiré par la peur et permettait aux gouvernants, incapables d'assurer la supervision directe du peuple, de se faire obéir. Dans la nouvelle forme, des structures de contrôle intégrées permettent d'assurer une supervision étroite mais impersonnelle, et le pouvoir n'est plus centralisé. Le pouvoir est donc partout et n'appartient à personne.
Certains interprètes de Foucault ont présenté cette lutte entre différentes formes de contrôle et les conceptions du pouvoir qui les engendrent comme une lutte entre, d'une part, la loi, centrée sur des procédures officielles et des punitions, et, d'autre part, des moyens de contrôle plus intégrés ou plus officieux. Smart traite de cette distinction sous l'en-tête "The New and Old Contrivances of Power" (Nouvelles et anciennes stratégies de pouvoir):
Chacune de ces "stratégies" jette un éclairage différent sur la façon de modeler l'action humaine. Chacun prône une stratégie différente pour aborder ce que Wilson appelle le "problème de la bureaucratie". Toutes ces stratégies supposent une approche différente à l'égard du contrôle de l'action policière.
La dichotomie établie par Foucault permet de mieux saisir le débat qu'entretiennent les gestionnaires de la police. Les plus traditionnels sont en faveur d'une stratégie qui consiste à exercer un contrôle à distance par le biais, ce qui équivaut à un cérémonial quelconque. Parmi les formes de cérémonial, il y a l'application de la loi devant des assemblées du genre tribunal ("tribunal de service") et il y a les caractéristiques hautement symboliques de l'exercice, dans lequel les relations sociales s'expriment derrière l'apparat de drapeaux et bannières sur les terrains de parade et derrière des gestes symboliques comme le salut ou le "Oui, Monsieur!".
Le fait que les "nouvelles stratégies de pouvoir", qui dominent à coup sûr le discours des gestionnaires de la police, n'aient pas eu d'influence sur la pratique policière montre que les formes de pouvoir fondées sur la surveillance n'arrivent pas à chasser les "anciennes stratégies", contrairement à ce que l'analyse de Foucault aurait pu laisser croire. Cette résistance n'est pas un phénomène isolé. De nombreuses preuves indiquent que les démonstrations de pouvoir qui passent par les cérémonials n'ont pas disparu140. Smart critique la conception du pouvoir de Foucault, pour qui la loi est le symbole des "anciennes stratégies":
Le fait de dire que la persistance des pratiques de gestion traditionnelles dans le milieu policier est le reflet de caractéristiques plus vastes de la société contemporaine ne permet évidemment pas de répondre aux interrogations soulevées à la fin du dernier chapitre. Il faut pour cela expliquer la théorie sous-jacente aux pratiques des gestionnaires traditionnels. Ces pratiques révèlent que les gestionnaires traditionnels considèrent bien la punition essentiellement comme un "mode de dissuasion rationnelle", dans une optique axée sur les conséquences"142. Elles exploitent cependant ses traits symboliques pour créer une conscience professionnelle basée sur une volonté profonde d'agir en toute impartialité. et ce, non pas à cause de règles établies, mais bien par choix.
Ces gestionnaires partagent le point de vue du commissaire Herchmer selon lequel les policiers, qui "sont fortement tentés de se comporter d'une façon peu souhaitable et de protéger ceux qui enfreignent les dispositions prohibitionnistes" et " risquent constamment de tomber dans le pétrin en outrepassant leurs devoirs"143 ne résisteront pas à ces tentations parce qu'ils seront liés rationnellement par un ensemble de règles bureaucratiques, mais plutôt parce qu'ils auront acquis une façon d'être et de penser qui valorise l'impartialité. Il est supposé implicitement que, dans un milieu où la supervision est tout au plus indirecte et où la tentation de défendre des intérêts partisans est toujours présente, on ne peut pas compter uniquement sur des règles bureaucratiques.
Les gestionnaires traditionnels proposent par le fait même une méthode de contrôle social de la police qui s'apparente à celle de la culture policière elle-même. Là aussi, on a recours à des symboles qui s'expriment dans les innombrables anecdotes que les policiers se racontent et non dans une série de règles toutes faites144. En d'autres termes, les gestionnaires traditionnels de la police soutiennent que si l'on veut combattre la culture policière, il faut le faire sur son propre terrain.
Foucault a soutenu145 que la force des nouvelles stratégies de pouvoir était de créer une conscience particulière capable d'inspirer l'action et de faire en sorte que l'âme, qu'il concevait comme le siège des habitudes,146 devienne la prison du corps. La capacité de produire des sujets dociles est, selon Foucault, l'essence même du pouvoir. Lorsqu'il parle de l'évolution du pouvoir, il parle de la transition entre deux stratégies d'exercice du pouvoir. L'une agit à distance par le spectacle et le cérémonial, tandis que l'autre agit de manière subtile, en se fondant sur la surveillance omniprésente et en intégrant le pouvoir à tous les aspects de la vie sociale. C'est la valeur et l'efficacité de ces stratégies qui sont discutées dans le milieu policier. Les deux stratégies ont le même but, à savoir façonner l'âme du policier. Seuls les moyens d'y arriver diffèrent.
L'approche traditionnelle et l'approche corrective ont toutes deux pour but premier de modeler les motivations des policiers afin qu'ils aient un comportement acceptable. Les deux approches cherchent à restreindre l'influence d'autres sources, par exemple une sous-culture opposée ou des pressions partisanes, qui risqueraient d'empêcher les gestionnaires d'assurer des réactions conformes à la vision du travail policier qu'ils veulent concrétiser. En d'autres termes, les deux approches visent à produire une police professionnelle. Ce qui les distingue, c'est leur conception de ce qu'est un policier dûment motivé «naturellement», vit et pense comme un policier «professionnel», tandis Pour le gestionnaire de l'approche traditionnelle, c'est quelqu'un qui, que pour le gestionnaire de l'approche corrective, c'est quelqu'un qui suit étroitement un ensemble de règles bureaucratiques. Au coeur de ce débat, deux conceptions différentes du professionnalisme s'opposent.
La vision qu'a Foucault des nouvelles formes de pouvoir disciplinaire est subtile et compliquée, et elle suppose l'intégration de la restriction et de la super-vision à la vie sociale même. L'approche corrective s'inscrit dans le cadre général défini par Foucault puisqu'elle cherche à structurer les détails de l'activité policière. Aux yeux de ses partisans, le travail policier professionnel exige donc:
- des règles claires,
- une connaissance des règles,
- une volonté de les observer,
- une capacité de les observer,
- des possibilités d'expression de cette capacité.
On peut illustrer cette approche au moyen de l'analogie de l'ordinateur et des programmes informatiques. Les actions d'un ordinateur découlent des instructions ou règles émanant des programmes mises en mémoire. Si l'on veut que l'ordinateur agisse d'une certaine manière, il faut veiller à ce que le bon programme soit chargé, à ce qu'il n'y ait pas d'autre programme en mémoire qui puisse causer des difficulté set à ce qu'il ait une capacité suffisante pour exécuter ces programmes. Lorsqu'un ordinateurne fait pas ce qu'on veut, on ne le blâme pas et on ne le punit pas. On adopte plutôt une approche corrective: découvrir la source du problème et chercher une solution. Ainsi, dans le cas d'un ordinateur faisant du traitement de texte, on vérifie si tout est en ordre, c'est-à-dire si l'imprimante est en fonction et si le câble liant l'ordinateur à l'imprimante est bien branché. Si le problème n'est toujours pas résolu, on peut se demander si d'autres programmes se déroulent en même temps, donnant ainsi des directives conflictuelles. Si tout est en ordre dans un cas comme dans l'autre, on peut alors se demander si le programme a été mis en mémoire correctement.
Par leur résistance à l'approche corrective, les gestionnaires traditionnels de la police résistent à deux choses. Premièrement, ils résistent à cette conception de type informatique du problème de la bureaucraties, en disant que les policiers ne sont pas des ordinateurs, mais plutôt des êtres humains formés par des réalités à teneur symbolique qui créent des identités agissantes. Deuxièmement, ils contestent le fait que les règles puissent jamais guider complètement l'action et soutiennent qu'elle sera toujours le produit de jugements portés dans des situations concrètes qui échappent aux règles147.
Par les stratégies traditionnelles, ils veulent construire une identité ou une façon d'être dans le monde qui réglementera les policiers de l'intérieur, c'est-à-dire qui sera «performante» au sens où elle favorisera un style d'action particulier148. Ils considèrent les règles comme des critères qui permettent de déterminer si un policier a bien agi et non de guider la façon dont il agira.
De l'avis des gestionnaires traditionnels, on arrive à contrôler les actions des policiers par un processus qui utilise des événements chargés de symbolisme pour modeler la conscience de ceux qui en sont témoins. Les stratégies de contrôle qu'ils jugent efficaces sont celles qui comportent des manifestations d'autorité servant à modeler les sujets; ceux-ci n'auront dorénavant plus besoin d'une surveillance étroite parce qu'ils seront «devenus» de bons policiers.
La punition et les rituels quasi juridiques du blâme sont, aux yeux des gestionnaires traditionnels, des moyens essentiels de faire vivre des expériences de ce genre tant aux membres en cause qu'à leurs pairs. Ces drames, comme ceux de la justice pénale auxquels ils font écho, identifient de façon symbolique les sources de l'autorité et l'obéissance qui est due à l'autorité.
Bien que ces gestionnaires considèrent la punition et le cérémonial qui lui est associé comme des moyens valables de créer les bases nécessaires pour porter des jugements, ils ont aussi recours, comme nous l'avons vu plus haut, à d'autres rituels. Ils estiment qu'on peut modeler une recrue par toutes sortes de moyens qui permettent de former une mentalité ou une subjectivité particulière qui, selon la terminologie d'Althuser, réussissent bien à interpeller un sujet149.
En plus des drames du blâme et de la punition, les rituels de l'exercice forcent les policiers à agir de façons qui conviennent à des formes d'autorité particulières et aux valeurs qui leurs sont associées ainsi qu'aux individus qui respectent ces autorités. Tous les saluts et toutes les façons de s'adresser à quelqu'un en mentionnant son grade sont chargés de sens et de symbolisme. Chaque «Oui, Monsieur!», est un acte et un symbole de soumission à l'autorité qui vise à interpeller un genre de personne en particulier.
Comme on l'a souligné plus haut, il n'y a pour ainsi dire aucune analyse des rituels de la punition et de l'exercice dans les ouvrages sur la profession policière. Cette lacune a effectivement privé les gestionnaires traditionnels de la police d'une possibilité d'exprimer leur point de vue sur ces pratiques. Pour avoir une idée de cette question, il faut se tourner vers d'autres types d'ouvrages, par exemple ceux qui portent sur le droit comme «culture de la discussion»150 et les ouvrages portant sur l'utilisation du langage pour construire la subjectivité151.
Dans la culture policière, on trouve aussi des pratiques qui créent une identité ou un sujet qui reproduira «naturellement» un mode d'action simplement parce qu'il exprime ce qu'il est devenu. À l'instar des stratégies de gestion traditionnelles, la culture policière ne se maintient pas à l'aide d'une collection de règles, mais plutôt à l'aide de l'imagerie. Il y a dans la culture courante des simples policiers une forme de conversion dont l'enjeu est l'être ou l'identité même de la recrue. Au contact de la culture policière, les recrues apprennent comment voir l'univers social de la police et comment s'y comporter. Là aussi on met l'accent sur la nature profonde de la recrue. On cherche à former une personne qui sera un partenaire fiable avec lequel on pourra affronter l'incertitude du monde où l'on doit patrouiller et sur lequel on pourra compter dans les contacts avec les supérieurs.
Lorsque les symboles des tribunaux de service et les significations symboliques de l'exercice sont examinés, les gestionnaires de la police s'engagent dans un combat symbolique avec la culture policière, et l'enjeu est l'état d'esprit qui définit et produit l'identité policière.
Je conclus de ce survol que la résistance au changement chez les gestionnaires traditionnels de la police ne traduit pas simplement un attachement aveugle et irréfléchi à ce qu'ils connaissent bien ou une préférence pour la punition comme telle. Elle est plutôt une façon de dire que les gestionnaires doivent avoir la possibilité de contrôler leurs subalternes à distance en modelant des agents qui exercent un pouvoir de décision discrétionnaire. Dans cette perspective, ce que les gestionnaires traditionnels tentent de dire par leur résistance à l'approche corrective, c'est que le travail policier exige un style de gestion qui se préoccupe des subalternes en tant que mécanisme de réglementation de l'exercice du pouvoir discrétionnaire.
Il ressort donc qu'il n'y a pas lieu de rejeter la solution traditionnelle au problème de la bureaucratie. Mais c'est précisément ce que les tenants de l'approche corrective ont eu tendance à faire. Pourquoi?
Les réformistes ne se préoccupent pas tant de l'utilité de la punition et de l'exercice que de la valeur morale de ces stratégies dans le monde d'aujourd'hui. S'il y a lieu de critiquer les stratégies de gestion traditionnelles, ce n'est pas à cause de l'inefficacité qu'on leur a reprochée dans les ouvrages portant sur la gestion policière, mais bien à cause de ce que Garland appelle la "voix des sensibilités"152. Selon lui, les décisions portant sur l'efficacité sont toujours
C'est précisément un tel changement dans les sensibilités qui est à l'origine du rejet de la punition, car, de plus en plus, on estime qu'il ne convient plus de l'utiliser dans le contexte des relations de travail. En réservant un accueil défavorable au modèle militaire, les réformistes rejettent à la fois la punition comme moyen et les démonstrations rituelles de respect et de soumission, non pas parce qu'elles sont inefficaces, mais parce qu'elles heurtent les sensibilités contemporaines.
Cependant, on en est venu à rejeter non seulement la punition, mais tout le processus d'interpellation d'un sujet ou d'éveil de sa conscience par les symboles et les significations. En effet, les réformistes n'ont pas tenu compte du phénomène de ce que Stenning et al.154 ont appelé "l'ordre symbolique", parce qu'ils étaient choqués par les symboles utilisés et par la subjectivité particulière que ces symboles contribuaient à construire, avec le résultat qu'ils ont rejeté les "bons avec les méchants".
En rejetant la punition et la formation de sujets dociles et soumis grâce à des formes de spectacle et d'exercice, ces réformistes témoignent de ce que des changements importants sont survenus dans les sensibilités politiques et occidentales et dans les jugements moraux connexes liés à l'utilisation de la violence et à la valeur des relations de soumission. En refusant parallèlement d'avoir recours aux symboles et à leurs significations pour modeler la conduite, ils ont mis de côté un moyen très utile de promouvoir le respect des règles au sein d'un corps policier "professionnel" au sens qu'ils donnent eux-mêmes à ce terme.
Par cette prise de position, ils ont emboîté le pas à Foucault, qui affirmait qu'il y avait eu passage de la punition à la surveillance. Foucault a cependant soutenu, à tort155, que désormais le contrôle s'exerçait moins par des formes de spectacle que par des stratégies plus internes. Malgré cette erreur, Foucault était très conscient de la façon dont les symboles devenaient, par le langage et l'imagerie, une source de pouvoir dans le monde contemporain156. C'est là une réalité que les réformistes de la police doivent reconnailre s'ils veulent constituer une police professionnelle capable d'exercer son pouvoir discrétionnaire conformément aux valeurs essentielles de notre société. Comme le disent à juste titre les gestionnaires traditionnels de la police, cet objectif ne pourra être atteint que si l'on crée des habitudes de pensée conformes à ces valeurs.
Pour atteindre leur but, les réformistes doivent accorder beaucoup plus d'attention aux ouvrages qui ont été publiés sur la relation entre le discours, la subjectivité et l'action, et ils doivent prendre conscience que les gestionnaires traditionnels, dont le style et l'approche leur apparaissent mauvais, ont en fait une compréhension très profonde de cette relation.
De peur que l'on comprenne mal mes arguments, je tiens à préciser que je ne vante pas les mérites de la punition et de la soumission en matière de gestion policière. Je prétends au contraire que, si l'on veut adapter aux sensibilités contemporaines ces caractéristiques militaires de la gestion policière, il faut, en les rejetant, éviter de rejeter du même coup l'importance des symboles et des significations dans la solution du problème bureaucratique posé par la création d'un corps policier professionnel.
Dans ce contexte, les leçons que nous donne la police japonaise semblent différer quelque peu de celles que les réformistes de la police ont tendance à tirer. La description approfondie de la police japonaise faite par Bayley ne montre pas que, dans ce corps policier, on est indifférent au symbolisme du cérémonial et de l'exercice; elle montre plutôt qu'on y accorde une attention constante157. Ce n'est pas le respect des règles qui est au coeur du style de gestion de la police japonaise, comme le prétendent ceux qui en font un exemple de réussite d'une police professionnelle régie par des règles. Cette police considère plutôt comme primordial de créer une mentalité et des habitudes conformes aux objectifs organisationnels.
Ce qui frappe également dans la gestion de la police japonaise, c'est l'intégration de l'approche traditionnelle et de l'approche plus contemporaine. En effet, cette police a intégré la compréhension des symboles des gestionnaires traditionnels et les connaissances pratiques des tenants de l'approche corrective. La police nord-américaine doit retenir de cette expérience que le défi consiste non pas à promouvoir l'abandon de l'approche traditionnelle en faveur de l'approche corrective, mais bien à saisir et à intégrer les points forts des deux approches sans heurter les sensibilités contemporaines. Ainsi, comme le note Bayley, au Japon, être policier, n'est pas seulement un emploi, c'est aussi, comme ce l'était autrefois dans la GRC, un mode de vie158. En d'autres termes:
Ce "mode de vie" est constamment exalté par des rituels et des symboles de tous genres. Par conséquent,
Je soupçonne que ces activités n'auraient pas semblé si forcées et si artificielles au commissaire Herchmer. Il appartient aux gestionnaires modernes de la police de découvrir des rituels et des symboles qui ne sembleront pas forcés de nos jours. Quiconque donnait le moindrement le pouvoir des images visuelles de la "culture populaire" sait que cet objectif est réalisable. Les gestionnaires modernes de la police doivent apprendre à trouver des rituels et des symboles qui soient aussi naturels que l'air qu'ils respirent.
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