Rapport d’étape : La Charte canadienne des droits des victimes

Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels

Novembre 2020


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Table des matières

Message de l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels

Les victimes et le système canadien de justice pénale

Examen par catégorie

  1. Droit à l’information
  2. Droit à la protection
  3. Droit de participation
  4. Droit au dédommagement

Plaintes

Vers un avenir meilleur pour les droits des victimes

Brève histoire des droits des victimes au Canada

Les droits des victimes sont‑ils réellement protégés?

Les victimes doivent demander leurs droits

Justice réparatrice

Qui est responsable lorsque les droits des victimes sont violés?

Données exhaustives

Formation et sensibilisation

Déclarations de la victime

Ordonnances de dédommagement

Organismes de soutien aux victimes

Conclusion

Liste des recommandations de l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels

Annexe A

Notes de fin

 

Message de l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels

Je suis très heureuse de présenter le rapport d’étape sur les cinq premières années de la Charte canadienne des droits des victimes (la Loi), qui est entrée en vigueur en 2015. Dans les pages qui suivent, nous examinons le traitement des victimes au sein du système de justice pénale canadien et évaluons le rendement du Canada sur le plan du maintien des droits conférés par la Loi. La présentation du rapport coïncide avec l’examen prévu dans la Loi et vise à encourager les parlementaires à étudier la Loi de près pour s’assurer qu’elle fait le travail voulu par le Parlement.

Le mandat de mon bureau est d’aider à faire en sorte que les droits des victimes et des survivants d’actes criminels soient respectés et maintenus et que le gouvernement fédéral respecte ses obligations envers les victimes. Pour ce faire, nous devons nous assurer que les victimes et leur famille ont accès aux programmes et services fédéraux spécialement conçus pour les soutenir. En plus de prêter assistance aux victimes qui nous approchent, nous avons aussi la responsabilité de cerner et de faire ressortir les problèmes émergents et systémiques qui ont une incidence négative sur les victimes d’actes criminels à l’échelon fédéral. Nous travaillons en étroite collaboration avec les organismes de soutien aux victimes et une foule d’autres intervenants gouvernementaux et non gouvernementaux pour réaliser notre objectif commun, soit de mettre en place un système de justice qui sert mieux toutes les personnes au pays.

Comme le montre notre rapport, l’adoption d’une loi « en théorie » est différente de sa mise en œuvre « en pratique »1. En effet, s’il est aisé de comprendre qu’il faut donner la priorité aux victimes, il reste que le concept est très difficile à mettre en pratique. Bien que les intérêts de la victime soient directement affectés par le crime commis contre elle, notre système de justice accusatoire la relègue au rôle d’observateur ou de témoin dans les procédures pénales entre l’État et l’accusé. Dans son examen le plus récent du système de justice pénale du Canada, le ministère de la Justice reconnaît que les victimes se sentent souvent victimisées de nouveau dans le système actuel, et il soutient que des changements majeurs sont nécessaires en vue d’appuyer les droits des victimes, des survivants et de leur famille2. Je souscris tout à fait à l’opinion du Ministère.

Lors de son entrée en vigueur il y a cinq ans, la Charte canadienne des droits des victimes représentait un important pas en avant pour les victimes au pays. Elle donne à toutes les victimes et à tous les survivants le droit de recevoir des renseignements sur la façon dont leur cas est traité, le droit à la protection, le droit de participer à des processus qui influent sur leurs droits et de faire connaître leur point de vue à cet égard, le droit de demander un dédommagement, et le droit de déposer une plainte pour atteinte à leurs droits. À l’époque, on promettait que la Charte changerait la culture du système canadien de justice pénale et permettrait, pour la première fois, de veiller à ce que tous les travailleurs dans l’appareil judiciaire respectent et maintiennent les droits des victimes prévus par la Loi.

Cependant, à la lumière d’une analyse des données à notre disposition, il semble que les objectifs énoncés dans la Loi n’ont pas été réalisés. En effet, la Loi est loin de procurer les droits réels qu’elle a promis. Les victimes et les survivants nous ont dit clairement que la mise en œuvre de la Loi, malgré la primauté qu’on lui avait accordée en tant qu’instrument quasi constitutionnel au moment de sa création, a été sporadique et incohérente. Nous tirons le même constat de notre expérience pratique de la Loi au cours des cinq dernières années. Il n’y a pas eu d’effort constant pour mettre en œuvre la Loi. Les possibilités de formation offertes aux représentants du système de justice pénale sont limitées, et on n’a mené aucune campagne pour informer les citoyens de leurs droits. En conséquence, la situation des victimes d’actes criminels n’a pas changé de façon fondamentale depuis la promulgation de la Loi. Je crois qu’il faut renforcer la Loi de façon à exiger que les représentants maintiennent les droits des victimes dans le système de justice pénale et que les institutions mesurent leur conformité avec la Loi et rendent des comptes en la matière.

Nous avons relevé plusieurs aspects susceptibles d’amélioration. Sur la question du caractère exécutoire, par exemple, nous demandons que la Loi soit modifiée de façon à prévoir un recours juridique en cas de violation de ses dispositions. À l’heure actuelle, la Loi empêche les victimes d’exercer légalement leurs droits au moyen d’un contrôle judiciaire des décisions ou d’autres mécanismes administratifs. Par exemple, elle précise qu’aucune de ses dispositions ne peut être interprétée comme conférant à une victime la « qualité pour agir » devant un tribunal pour faire valoir ses droits. La victime peut seulement porter plainte. À l’échelon fédéral, cela correspond à un examen administratif de la politique ou des mesures prises par l’organisme auprès duquel la victime s’est directement plainte.

De plus, les processus de traitement des plaintes des organismes sont compliqués et peu accessibles. Pour simplifier la procédure que doit suivre une victime pour se plaindre d’un organisme qui a porté atteinte à ses droits, nous croyons qu’il faudrait désigner le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels en tant que seule autorité compétente pour l’examen des plaintes de victimes d’actes criminels relatives à la façon dont elles ont été traitées par un ministère ou un organisme fédéral. Ainsi, les victimes et les représentants fédéraux comprendront clairement le rôle du Bureau.

La Loi ne définit pas clairement les rôles et les responsabilités. Les obligations et les responsabilités des représentants de la justice pénale envers les victimes ne sont pas clairement énoncées. La Loi doit préciser quels représentants sont censés informer les victimes de leurs droits. Elle doit également exiger que ces personnes consignent de l’information à l’égard des renseignements transmis, des mesures de protection prises, ainsi que de la façon dont les victimes peuvent participer et dont elles peuvent demander et obtenir un dédommagement. À l’heure actuelle, les victimes doivent compter sur la bonne volonté de la police, des procureurs de la Couronne et d’autres autorités du système de justice pénale pour leur fournir l’information, la protection et le soutien qui leur sont promis. 

Le gouvernement fédéral pourrait apporter certaines des améliorations suggérées de la Loi en vertu de ses pouvoirs en matière de droit criminel. D’autres améliorations touchant les droits des victimes pourraient supposer une collaboration entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux. Dans la mesure où une collaboration est requise pour qu’il puisse veiller à ce que les droits des victimes d’actes criminels soient améliorés et respectés, le gouvernement fédéral devrait travailler avec les autorités provinciales et territoriales en vue d’améliorer la façon dont les victimes sont traitées dans l’ensemble du système de justice pénale. 

La Loi doit être une garantie de droits et de services. Sous sa forme actuelle, elle impose aux victimes le fardeau de connaître, de comprendre et d’affirmer leurs droits. En revanche, les personnes accusées d’un crime jouissent, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, de droits garantis au sujet desquels on doit les informer au moment de leur arrestation ou de leur détention. La Charte canadienne des droits des victimes ne réserve pas un traitement égal aux victimes. On ne leur dit pas automatiquement qu’elles ont le droit de recevoir des renseignements sur leur affaire; elles doivent le demander expressément. Comment une victime traumatisée est-elle censée savoir qu’elle a des droits, à moins qu’un représentant de la justice pénale ne le lui dise? Pour qu’une victime demande de l’information ou s’inscrive afin d’en recevoir, il faut d’abord qu’elle se perçoive comme une victime et pas seulement comme une personne qui a subi un traumatisme. Pour bien des gens, ce n’est pas facile. En outre, la situation socioéconomique d’une victime influe peut‑être sur sa connaissance de ses droits. En informant proactivement toutes les victimes, nous pouvons veiller à ce que les personnes qui ont subi un crime contre les biens ou la personne connaissent et exercent leurs droits. 

La Loi doit prévoir une mise en œuvre mesurable. L’un des principaux obstacles à l’évaluation de l’incidence de la Charte canadienne des droits des victimes est que les administrations ne consignent ni ne déclarent toutes la façon dont on traite les victimes par rapport aux droits prévus dans la Loi. À l’heure actuelle, il y a peu de données permettant d’informer pleinement les Canadiens et les Canadiennes au sujet de l’incidence de la Loi. Il faut combler cette lacune au moyen d’un régime national complet de collecte de données et de production de rapports. De nombreux chercheurs canadiens respectés ont mentionné les lacunes importantes que présentent les données judiciaires. Ces données nous informent sur l’issue d’affaires particulières et nous disent si les résultats sont liés aux caractéristiques des personnes impliquées, y compris les victimes, ou aux circonstances de l’affaire. Dans le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, les commissaires ont déclaré ce qui suit : « Les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones [twospirit, lesbian, gay, bisexual, transgender, queer, questioning, intersex and asexual] font également l’objet d’interventions policières excessives et sont trop souvent incarcérées à titre de délinquantes potentielles, alors qu’elles sont sous‑protégées en tant que victimes de crime3. » Des investissements importants sont requis pour que toutes les institutions du système de justice pénale puissent améliorer la consignation de données. Les Canadiens et les Canadiennes méritent la transparence. Ils méritent de savoir si notre système de justice pénale traite les victimes de façon équitable et dans le respect de leurs droits prévus par la loi. 

Le personnel de première ligne du système de justice pénale doit bénéficier d’une formation adéquate quant à la façon de travailler avec les victimes d’actes criminels et de maintenir leurs droits. Trop souvent, les préoccupations des victimes sont négligées parce qu’on estime que la « véritable » poursuite de la justice concerne uniquement les autorités de justice pénale et l’accusé. Les victimes d’actes criminels ont subi des préjudices, des pertes et des dommages. Ces personnes ont besoin, comme elles méritent, d’un niveau spécial d’assistance compatissante de la part d’autorités de justice pénale pleinement compétentes pour ce qui est de maintenir et de respecter les droits et les préoccupations des victimes tout au long du processus. De plus, il faut former les autorités afin qu’elles sachent comment informer les victimes des ressources et des soutiens communautaires à leur disposition pour accéder à des programmes (p. ex. en matière de dédommagement) dans les délais prescrits. 

Pour que les victimes exercent pleinement leurs droits, le ministère de la Justice devrait être responsable de l’élaboration et de l’évaluation d’une formation continue destinée à tous les représentants travaillant dans le système de justice pénale aux échelons fédéral, provincial et territorial. Il est crucial de mener une évaluation afin d’examiner le contenu de la formation, les personnes qui la dispensent, la quantité de formation reçue par chacun et l’incidence de la formation. Nous devons évaluer l’efficacité de la formation dispensée au personnel du système de justice pénale — surtout les volets de la formation relatifs aux principes de prise en compte des traumatismes et à l’éducation antiraciste — pour ce qui est de remettre en question les structures actuelles du pouvoir et du privilège. 

Enfin, comme je l’ai mentionné plus haut, mon bureau travaille en très étroite collaboration avec les organismes de soutien aux victimes, dont un grand nombre réalise des projets grâce à des subventions et à des contributions consenties par le Fonds d’aide aux victimes du ministère de la Justice du Canada. C’est une formule de financement inconstante qui offre peu de certitude. Ces organismes de travailleurs de première ligne se consacrant à la lutte contre la violence et au soutien aux victimes offrent une défense inestimable aux victimes d’actes criminels pour veiller au respect et au maintien de leurs droits. Pourtant, on les force à consacrer de nombreuses heures à constamment préparer des demandes et rendre des comptes, ce qui mine leur capacité de fournir des services de première ligne. Je crois que le gouvernement devrait fournir un financement de base durable pour permettre à ces organismes d’accroître leur capacité à aider les victimes dans les collectivités de toutes les régions du pays. Les programmes de justice réparatrice communautaires devraient également bénéficier d’un financement de base. 

Nous nous attendons à ce que les victimes déploient beaucoup d’efforts dans le système de justice pénale canadien. En effet, nous attendons des victimes qu’elles signalent le crime, fournissent des éléments de preuve, témoignent, se prêtent à un contre‑interrogatoire et revivent leurs traumatismes à répétition chaque fois qu’elles racontent leurs vérités. Pourtant, nous leur offrons bien peu d’aide. Sans soutien, les victimes sont moins susceptibles de se manifester. Lorsque les victimes ne sont pas traitées comme des partenaires à part entière dans le système de justice pénale, ce dernier est moins efficace. 

À l'été 2020, mon bureau a lancé un sondage en ligne pour donner aux victimes et aux survivants d'actes criminels l'occasion de partager leurs expériences avec le système de justice pénale depuis la mise en place de la Charte canadienne des droits des victimes. Leurs commentaires ont guidé nos recommandations et influencé notre rapport. Nous sommes très reconnaissants à tous ceux qui ont pris le temps de partager leurs expériences. Leurs déclarations sont reflétées sur ces pages. 

J’espère sincèrement que les recommandations contenues dans le présent rapport seront examinées sérieusement. Les victimes méritent que leur participation au système de justice pénale soit respectée en tant qu’élément essentiel du processus, et les représentants de l’appareil judiciaire doivent vraiment assumer la responsabilité en ce qui concerne la protection des droits des victimes. En outre, nous devons pouvoir surveiller et suivre exactement la façon dont cette responsabilité est exercée et, surtout, nous devons donner aux victimes la possibilité d’intenter un recours judiciaire lorsqu’elle ne l’est pas. 

La vaste majorité des personnes qui sont victimes d’un acte criminel au Canada choisissent de ne pas interagir avec le système de justice pénale, ou sont incapables de le faire. Néanmoins, je crois qu’il est crucial de renforcer la Charte canadienne des droits des victimes. Il ne faut pas perdre de vue les objectifs énoncés il y a cinq ans à l’égard de la Loi : la reconnaissance en droit de l’atteinte aux droits de la personne subie par les victimes d’actes criminels. Nous allons promouvoir la justice pour toutes les Canadiennes et tous les Canadiens lorsque nous habiliterons réellement les victimes à affirmer leurs droits.


Heidi Illingworth

Ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels


Les victimes et le système canadien de justice pénale

Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels a été créé en 2007. Il a contribué au processus consultatif qui a mené à la présentation au Parlement de la Charte canadienne des droits des victimes (la Loi) en 2014 et à sa promulgation en juillet 2015a

Dans le présent rapport d’étape, nous analysons l’incidence de la Charte canadienne des droits des victimes sur les victimes au Canada au cours des cinq dernières années et formulons des recommandations en vue d’améliorer la situation d’ici l’examen quinquennal du comité parlementaire prévu dans la loi habilitante (projet de loi C‑32)4

Nous prenons également note de l’observation formulée dans le document Lois et règlements : l’essentiel du gouvernement fédéral, produit par le Bureau du Conseil privé, selon laquelle l’examen de la loi après sa promulgation « [...] est indispensable à l’amélioration de la gestion et de l’exécution des projets à venir »5. 

Dans le préambule de la Loi, on précise la manière dont le législateur envisage son interprétation par les tribunaux, soulignant que la prise en compte des droits des victimes d’actes criminels est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et que les victimes ont des droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. On y reconnaît également que la criminalité a des conséquences néfastes sur les victimes et sur la société et que ces victimes et leur famille méritent d’être traitées avec courtoisie, compassion et respect, y compris le respect de leur dignité. Enfin, La Loi précise clairement qu’il faut prendre en considération les droits des victimes d’actes criminels à chaque étape du processus de justice pénale (c.‑à‑d. l’enquête policière, le procès et la détermination de la peine, les services correctionnels et la libération conditionnelle). Les droits en question s’inscrivent dans quatre grandes catégories :

  • Droit à l’information
  • Droit à la protection
  • Droit de participation
  • Droit au dédommagement

De plus, la Loi permet aux victimes d’actes criminels de déposer une plainte si elles sont d’avis qu’il y a eu violation ou négation de leurs droits. À l’échelon fédéral, chaque ministère, agence ou organisme qui joue un rôle dans le système de justice pénale doit disposer d’un mécanisme prévoyant l’examen des plaintes relatives à la violation ou négation reprochée des droits prévus par la loi. Essentiellement, les organismes examinent les plaintes, formulent des recommandations pour corriger les problèmes éventuels, puis informent les victimes des mesures qu’ils ont prises, le cas échéant. 

J’ai le sentiment que, en tant que victimes, nous devrions participer davantage et être mieux informées sur le processus et les étapes à venir, car nous n’avons jamais été dans cette situation auparavant. - Répondant anonyme, Sondage sur la Charte canadienne des droits des victimes, été 2020

La Loi permet à une victime d’exercer ses droits à chaque étape, du moment où une infraction fait l’objet d’une enquête ou d’une poursuite jusqu’au moment où le délinquant est soumis au processus correctionnel ou de mise en liberté sous condition. Il y a six points de contact principaux où les victimes d’actes criminels interagissent avec le système de justice canadien : la police, les procureurs de la Couronne, les tribunaux, les commissions d’examen (audiences spéciales de détermination de la peine)b, le Service correctionnel du Canada (SCC) et la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC). Le système de justice pénale traite un volume important d’affaires. 

En 2018, par exemple, le programme de déclaration uniforme de la criminalité6 de Statistique Canada a fait état de 2 269 036 crimes déclarés au Canada. De ce nombre, 423 767 ont été classés comme violents. En 2017‑2018, l’Enquête intégrée sur les tribunaux de juridiction criminelle (EITJC)7 a révélé que les tribunaux ont rendu 214 540 verdicts de culpabilité, ce qui a mené à l’incarcération de 82 659 délinquants, dont 5 099 ont été envoyés dans des pénitenciers fédéraux. 

Le présent rapport brosse un portrait de la situation actuelle du Canada en ce qui concerne le maintien des droits des victimes. Est-ce que les droits de plus de deux millions de victimes qui signalent un crime à la police sont respectés? Les victimes sont‑elles informées de leurs droits et des services d’aide à leur disposition? Sont‑elles au courant des programmes de justice réparatrice? Leur sécurité est‑elle prise en considération? Lorsqu’elles témoignent, est‑ce qu’on leur offre des mesures de protection de la vie privée? Leur dit-on qu’elles peuvent faire une déclaration de la victime? Sont-elles informées des limites d’une telle déclaration? Savent-elles qu’il est possible de demander un dédommagement? Savent-elles qu’on peut leur fournir des renseignements sur le délinquant qui leur a causé du tort et qu’elles peuvent participer aux processus touchant les services correctionnels et la libération conditionnelle? 

Pour aider à répondre à ces questions, nous allons passer en revue chacun des droits prévus dans les quatre grandes catégories établies par la Charte canadienne des droits des victimes (Droit à l’information, Droit à la protection, Droit de participation et Droit au dédommagement) et formuler des commentaires sur la façon dont ces droits sont actuellement respectés par les six principaux points de contact susmentionnés.

Le processus est complexe, long et vise à dissuader les gens dans leur besoin de dénoncer.
- Répondant anonyme, Sondage sur la Charte canadienne des droits des victimes, été 2020

Examen par catégorie

1.    Droit à l’information

Renseignements généraux

  1. Toute victime a le droit, sur demande, d’obtenir des renseignements en ce qui concerne : a) le système de justice pénale et le rôle que les victimes sont appelées à y jouer; b) les services et les programmes auxquels elle a accès en tant que victime, notamment les programmes de justice réparatrice; c) son droit de déposer une plainte pour la violation ou la négation d’un droit qui lui est conféré par la présente loi.

Enquête et procédures

  1. Toute victime a, sur demande, le droit d’obtenir des renseignements en ce qui concerne : a)l’état d’avancement et l’issue de l’enquête relative à l’infraction; b) les date, heure et lieu où se déroulent les procédures relatives à l’infraction, leur état d’avancement et leur issue.

Renseignements concernant le délinquant ou l’accusé

  1. Toute victime a, sur demande, le droit d’obtenir des renseignements en ce qui concerne : a) tout examen prévu par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition concernant la mise en liberté sous condition du délinquant et concernant le moment et les conditions de celle‑ci; b)toute audience tenue pour déterminer la décision, au sens du paragraphe 672.1(1) du Code criminel, à rendre à l’égard d’un accusé déclaré inapte à subir son procès ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux et la décision qui a été rendue.

Charte canadienne des droits des victimes

Police : Aucune donnée exhaustive à l’échelle nationale n’est recueillie, consignée ou publiée sur la question de savoir si tous les services de police au Canada informent les victimes de leurs droits ou des services et programmes qui leur sont offerts, y compris les programmes de justice réparatrice. De nombreux services de police n’ont pas d’unité ni de personnel responsable des services aux victimes à l’interne, alors il revient aux agents de communiquer cette information, avec des résultats variables. De plus, de nombreux programmes de services aux victimes communautaires ou rattachés au système de justice pénale à l’échelle du Canada continuent d’indiquer que les aiguillages de la police vers les programmes sont trop faibles. En outre, nous n’avons pas de données concernant les interactions de la police avec des groupes surreprésentés et ciblés, comme les femmes et les filles autochtones et les personnes LGBTAB (lesbiennes, gaies, bisexuelles, transsexuelles, allosexuelles, bispirituelles). 

Procureurs de la Couronne : Aucune donnée nationale exhaustive n’est recueillie, consignée ou publiée sur la question de savoir si les procureurs de la Couronne fournissent aux victimes des renseignements sur l’heure et le lieu où se déroulent les procédures relatives à l’infraction, ou sur l’état d’avancement et l’issue des affaires criminelles. Dans certaines provinces, des organismes de soutien aux victimes fournissent ces renseignements et soutiennent les personnes survivantes qui comparaissent devant les tribunaux. Les procureurs de la Couronne pourraient considérer la collecte de données comme étant la responsabilité de ces organismes, lesquels travaillent en relation étroite avec les victimes dans le système judiciaire. 

Tribunaux : Les cours criminelles rendent des comptes sur le nombre total de verdicts de culpabilité, le nombre total de délinquants emprisonnés et le nombre de délinquants incarcérés dans un établissement fédéral. Elles ne consignent ni ne recueillent ni ne publient de données complètes sur la question de savoir si les victimes — au moment d’une déclaration de culpabilité débouchant sur une peine de ressort fédéral — sont informées de leur droit de s’inscrire auprès du Service correctionnel du Canada afin de recevoir de l’information au sujet du délinquant qui leur a fait du mal. 

Commissions d’examen : Les commissions d’examen n’ont pas rendu de comptes sur le nombre de victimes avec lesquelles elles ont communiqué. Elles ont eu affaire à 4 044 personnes accusées en 2017‑2018. 

Service correctionnel du Canada : À l’échelon fédéral, on assure un suivi et on rend des comptes concernant le nombre de victimes qui s’inscrivent pour recevoir des renseignements, les types d’infractions qui ont causé du tort aux victimes inscrites et les types de renseignements fournis le plus souvent aux victimes, y compris des renseignements sur les permissions de sortir et les autorisations de voyage.

Commission des libérations conditionnelles du Canada : La Commission des libérations conditionnelles effectue le suivi du nombre de victimes inscrites pour recevoir des renseignements ainsi que du nombre de contacts qu’elle a avec les victimes, et elle en rend compte. 

Remarques

Même si la Charte canadienne des droits des victimes prévoit que les victimes doivent demander l’information, le gouvernement fédéral n’a déployé aucun effort sérieux pour informer les victimes de leurs droits. Les activités de communication et de formation menées dans la foulée de la promulgation de la Loi étaient axées sur les professionnels et avaient pour but de les familiariser avec la Charte et son incidence sur leur travail. Certes, il est important que les personnes travaillant dans le système de justice pénale connaissent la Charte et son incidence, mais il est tout aussi important que les Canadiens et les Canadiennes soient au courant des droits prévus dans la Charte afin de les exercer. 

Étant donné que les services de police, les procureurs de la Couronne, les tribunaux et les commissions d’examen relèvent des provinces, il n’existe ni mécanisme redditionnel prévoyant la communication de leurs données ni responsabilité de veiller à ce que les services soient uniformes à l’échelle nationale. Force est de reconnaître qu’on devra accomplir une énorme quantité de travail afin de s’assurer que toutes les victimes sont informées de leurs droits et les comprennent. Il importe également que les institutions de justice pénale recueillent des données uniformes à l’échelle nationale sur les droits des victimes sous le régime de la Loi, et qu’elles rendent des comptes à cet égard.

2.    Droit à la protection

Sécurité

  1. Toute victime a le droit à ce que sa sécurité soit prise en considération par les autorités compétentes du système de justice pénale.

Protection contre l’intimidation et les représailles

  1. Toute victime a le droit à ce que des mesures raisonnables et nécessaires soient prises par les autorités compétentes du système de justice pénale afin de la protéger contre l’intimidation et les représailles.

Vie privée

  1. Toute victime a le droit à ce que sa vie privée soit prise en considération par les autorités compétentes du système de justice pénale.

Confidentialité de son identité

  1. Toute victime, qu’elle soit un plaignant ou un témoin dans une procédure relative à l’infraction, a le droit de demander à ce que son identité soit protégée.

Mesures visant à faciliter le témoignage c

  1.  Toute victime qui témoigne dans une procédure relative à l’infraction a le droit de demander des mesures visant à faciliter son témoignage.

Charte canadienne des droits des victimes

Reconnaître que, en ce qui concerne la sécurité des victimes, la santé mentale et la santé émotionnelle doivent être prises en considération
au même titre que la sécurité physique. - Répondant anonyme, Sondage sur la Charte canadienne des droits des victimes, été 2020

Police : Même si nous savons que les services de police tiennent généralement compte de la sûreté et de la sécurité des victimes, le Programme de déclaration uniforme de la criminalité ne saisit pas de données nationales complètes sur la façon dont ils le font. Par conséquent, nous ignorons comment les services de police canadiens protègent les victimes contre l’intimidation et les représailles. Nous ne disposons pas de renseignements au sujet des interactions de la police avec des populations surreprésentées et ciblées. Nous ignorons si les policiers prennent des mesures pour protéger les femmes et les filles autochtones et les personnes LGBTAB ainsi que, le cas échéant, la nature des mesures prises et le moment de leur application.

Nous savons que les mesures de protection des victimes à la disposition des services de police sont considérablement différentes de celles qui sont prévues pour la protection de témoins. Il y a également des préoccupations au sujet de l’accès inégal aux mesures de protection. La situation sociale des femmes (dans le cas des femmes ayant des enfants) peut miner leur accès aux mesures de protection. Les données de l’Enquête sur les services aux victimes indiquent une pénurie de places dans les refuges pour femmes battues. Par conséquent, partout au Canada, des centaines de femmes et d’enfants se voient refuser l’accès chaque jour. En novembre 2019, une moyenne de 620 femmes et enfants par jour se sont vus refuser l’accès à un refuge pour victimes de violence familiale au pays. Cela représente près de 19 000 femmes et enfants par mois8.

Procureurs de la Couronne : Les procureurs généraux provinciaux ou territoriaux ne communiquent pas de renseignements touchant le nombre de demandes d’interdiction de publication, les demandes de mesures visant à faciliter le témoignage des victimes ou la communication aux victimes de renseignements au sujet des demandes de cautionnement présentées ou accueillies.

Il importe également de signaler que les jeunes victimes ou témoins doivent demander au procureur de la Couronne de prendre des mesures visant à faciliter leur témoignage. Le procureur peut ensuite demander à la cour de prendre ces mesures de protection spéciales avant l’audience ou à tout moment durant celle‑ci. Les victimes ou les témoins âgés de 19 ans ou plus peuvent demander directement à la cour de prendre des mesures visant à faciliter leur témoignage.

Tribunaux : L’EITJC ne rend pas compte de la façon dont les tribunaux assurent le respect de la vie privée des victimes ou des ordonnances rendues pour protéger leur identité. Aucune information n’est rendue publique quant au nombre d’ordonnances de non‑publication rendues ou de mesures visant à faciliter le témoignage prises. De même, il n’y a aucune reddition de comptes à l’égard du nombre de demandes d’ordonnance de non‑communication accueillies et du nombre de renonciations à l’ordonnance de non‑communication en vue de permettre la communication avec les membres de la famille dans le système de justice (étant donné que la victimisation survient souvent au sein d’une famille).

Même s’il existe une Charte canadienne des droits des victimes, personne ne défendait ou ne représentait mes intérêts à 100 %.
- Répondant anonyme, Sondage sur la Charte canadienne des droits des victimes, été 2020

Commissions d'examen : Les commissions d’examen ne déclarent pas ni ne rendent public le nombre d’ordonnances de non‑communication avec la victime imposées aux délinquants ayant une absolution sous conditions.

Service correctionnel du Canada : Les données probantes montrent que le Service correctionnel du Canada communique avec les victimes inscrites au sujet de la mise en liberté possible d’un délinquant, mais qu’il ne rend pas cette information publique. Il ne déclare pas non plus le nombre d’ordonnances de non‑communication ou de restrictions géographiques demandées par les victimes, ni le nombre de fois que de telles restrictions sont imposées, ni les cas de respect ou de non‑respect de ces ordonnances. Comme on ne communique pas de façon proactive avec les victimes au sujet de leur inscription, on les prive peut‑être d’une occasion d’exprimer leurs préoccupations quant à leur sécurité personnelle. Les victimes ont montré leur intérêt à l’égard d’un accès amélioré à des possibilités de mesures de justice réparatrice dans le contexte du SCC, ce qui pourrait réduire leur anxiété et leur crainte face à la mise en liberté du délinquant. Cependant, l’accès aux services de justice réparatrice dans les établissements carcéraux est extrêmement limité, en raison du manque de financement9.

Commission des libérations conditionnelles du Canada : La Commission des libérations conditionnelles du Canada ne fournit aucune information statistique sur le nombre de délinquants qui reçoivent des ordonnances de non‑communication liées à leurs victimes ou sur le nombre de restrictions géographiques imposées à un délinquant dans le cadre d’une mise en liberté sous condition ou sur le nombre de délinquants qui manquent à ces conditions ou restrictions ou qui les violent.

Remarques

La Charte canadienne des droits des victimes reconnaît la vulnérabilité des victimes ainsi que l’importance de les protéger de l’intimidation et des représailles. Elle reconnaît aussi qu’il faut prendre en compte la sécurité et la vie privée des victimes afin qu’elles puissent témoigner dans le système de justice pénale. Il va sans dire qu’on devra accomplir énormément de travail pour recueillir des données uniformes à l’échelle nationale concernant les mesures prises par les institutions de justice pénale à l’égard du droit à la protection prévu par la Loi, ainsi que pour rendre des comptes en la matière.

3.    Droit de participation

Point de vue pris en considération

  1. Toute victime a le droit de donner son point de vue en ce qui concerne les décisions des autorités compétentes du système de justice pénale en ce qui touche les droits qui lui sont conférés par la présente loi et à ce qu’il soit pris en considération.

Déclaration de la victime

  1. Toute victime a le droit de présenter une déclaration aux autorités compétentes du système de justice pénale et à ce qu’elle soit prise en considération.

Charte canadienne des droits des victimes

Police : Le Programme de DUC ne rend pas compte du nombre d’interactions policières avec les victimes ni de la façon dont les victimes peuvent transmettre leur point de vue à la police. Les services de police ne sont pas tenus de rendre des comptes sur la façon dont le point de vue des victimes a été pris en considération.

L’Enquête sociale générale de Statistique Canada pourrait également procurer de l’information sur les interactions des victimes avec la police. Cependant, cette enquête n’est menée que tous les cinq ans. Les enquêtes sont trop espacées, et cela mine la capacité de suivre efficacement la mise en application des droits des victimes.

Procureurs de la Couronne : Ni le Rapport annuel du Service des poursuites pénales du Canada (SPPC, chargé de porter en justice les affaires criminelles dans les territoires et les infractions de compétence fédérale) ni l’EITJC (qui permet d’assurer le suivi de ces renseignements dans les provinces) ne rendent compte du nombre d’interactions avec les victimes ou du nombre de victimes qui reçoivent des renseignements sur leur affaire.

Tribunaux : Le SPPC ne rend pas compte du nombre de déclarations de la victime présentées; l’EITJC présente le nombre de déclarations de la victime présentées aux tribunaux dans seulement cinq provinces ou territoires au Canada. En 2017‑2018, parmi les 344 585 affaires instruites dans ces administrations, une déclaration de la victime a été présentée dans seulement 2 563 d’entre elles, soit 0,74 %. Les tribunaux ne consignent pas d’information sur le nombre de fois que les juges demandent aux procureurs de la Couronne s’ils ont informé les victimes au sujet de la présentation de déclarations de la victime. On ignore également le nombre de fois que les juges ont retardé la détermination de la peine pour que la Couronne puisse obtenir une déclaration.

Commissions d’examen :Un échantillon de commissions d’examen provinciales et territoriales montre que les provinces et les territoires ne font pas tous état du nombre de victimes qui rédigent ou présentent des déclarations de la victime à l’occasion d’examens annuels.

Service correctionnel du Canada :Le SCC suit et consigne le nombre total de victimes inscrites, mais il ne rend pas compte du nombre de victimes qui fournissent des déclarations aux gestionnaires des cas en établissement pour qu’ils les examinent dans le cadre de diverses décisions de mise en liberté provisoire, comme les placements à l’extérieur et les autorisations de voyage.

Commission des libérations conditionnelles du Canada : La CLCC déclare le nombre d’audiences de libération conditionnelle comportant des présentations de victimes. En 2017‑2018, 328 présentations ont été faites à 181 audiences.

Remarques

La Charte canadienne des droits des victimes reconnaît l’importance de veiller à ce que les victimes puissent exprimer leur point de vue, s’attendre à ce que ce point de vue soit pris en compte par les représentants et participer dans le système de justice pénale. On ne saurait nier qu’il y a énormément de travail à faire pour ce qui est de la collecte de données uniformes à l’échelle nationale par les institutions de justice pénale à l’égard de la façon dont les victimes et les communautés de victimes participent en vertu de la Loi.

4.    Droit au dédommagement

Ordonnance de dédommagement

  1. Toute victime a le droit à ce que la prise d’une ordonnance de dédommagement contre le délinquant soit envisagée par le tribunal.

Exécution

  1. Toute victime en faveur de laquelle une ordonnance de dédommagement est rendue a le droit de la faire enregistrer au tribunal civil à titre de jugement exécutoire contre le délinquant en cas de défaut de paiement.

Charte canadienne des droits des victimes

Police : Dans plusieurs administrations, même si la police est spécifiquement chargée de fournir des formulaires de dédommagement aux victimes et de soumettre les formulaires remplis au procureur de la Couronne, le nombre de formulaires distribués et soumis aux tribunaux n’est pas déclaré publiquement. De nombreuses victimes affirment qu’on ne les a jamais informées du fait qu’elle pouvait demander un dédommagement à l’égard des pertes financières découlant du crime du délinquant.

Procureurs de la Couronne : Ni le SPPC ni l’EITJC ne rendent compte du fait que les procureurs de la Couronne ou les procureurs fédéraux informent les victimes de leur droit de demander un dédommagement et du nombre de victimes qui demandent un dédommagement dans le cadre de procédures judiciaires.

Tribunaux : L’EITJC indique le nombre d’ordonnances de dédommagement rendues par les tribunaux, mais pas le nombre de telles demandes qui sont présentées par les victimes et rejetées par les tribunaux. En 2017‑2018, l’EITJC a signalé que, sur 214 540 verdicts de culpabilité, seulement 5 170, soit 2,41 %, contenaient des ordonnances de dédommagement. Nous n’avons pas de données sur les types d’affaires où un dédommagement est ordonné, ni sur les montants demandés par rapport aux montants imposés. Il n’y a pas non plus de données sur le nombre de fois que des victimes ont dû recourir à un tribunal civil pour faire appliquer une ordonnance.

Pour renforcer la CCDV, il est essentiel d’avoir en place un système rigoureux pour recevoir la rétroaction des victimes et y donner suite lorsque celles-ci expriment, de façon répétée, toutes les manières par lesquelles leurs droits leur paraissent avoir moins d’importance que ceux des délinquants.
- Répondant anonyme, Sondage sur la Charte canadienne des droits des victimes, été 2020

Commissions d'examen : Les documents des commissions d’examen n’abordent pas la question du dédommagement. Il est peu probable qu’on ordonne aux accusés jugés inaptes ou non criminellement responsables de verser un dédommagement.

Service correctionnel du Canada : Les données probantes donnent à penser que les agents de libération conditionnelle en établissement du SCC discutent des ordonnances de dédommagement avec les délinquants, mais le SCC ne rend pas des comptes sur l’exécution partielle ou totale par les délinquants des obligations imposées par le tribunal à l’égard des victimes.

Commission des libérations conditionnelles du Canada : La CLCC ne fait aucun rapport indiquant si les délinquants en mise en liberté sous condition remplissent leurs obligations au titre d’une ordonnance de dédommagement. Les exigences relatives au versement d’un dédommagement ne peuvent constituer une condition de libération.

 

Remarques

La Charte canadienne des droits des victimes reconnaît l’importance de veiller à ce que les victimes puissent demander un dédommagement. Il y a sans aucun doute une énorme quantité de travail à accomplir pour ce qui est d’informer les victimes de leur droit de demander un dédommagement devant les tribunaux et de l’aide relativement à l’application d’une ordonnance de dédommagement une fois qu’elle est rendue, d’une part, et d’assurer la collecte de données complètes sur les ordonnances de dédommagement dans toutes les administrations ainsi que la reddition de comptes connexe, d’autre part.

Plaintes

Les victimes estimant que leurs droits n’ont pas été respectés par un ministère ou un organisme fédéral en particulier doivent d’abord porter plainte directement auprès de ce ministère ou de cet organisme. Le paragraphe 25(1) de la Charte canadienne des droits des victimes prévoit que chaque ministère ou organisme fédéral participant au système de justice pénale doit avoir un mécanisme de plainte pour examiner et traiter les plaintes de victimes au sujet de la violation ou de la négation de droits prévus par la Loi, et doit informer les victimes des résultats de son examen. Si, après avoir suivi ce processus, une victime n’est toujours pas satisfaite du traitement qu’elle a reçu, elle peut déposer une plainte auprès de « toute autorité compétente pour examiner les plaintes concernant ce ministère, cette agence ou cet organisme »10.

L’autorité compétente à l’échelon fédéral est le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels. Cependant, nous croyons qu’il devrait être le principal bureau chargé de l’examen des plaintes. Ainsi, il serait plus facile pour les victimes de savoir où adresser leur plainte, et nous pourrions leur éviter le stress et la frustration d’avoir à frapper à plusieurs portes pour obtenir une réponse. Cela permettrait également d’avoir un aperçu des lacunes au chapitre de la mise en application des droits des victimes. Nous pourrions donc, à la lumière de ces renseignements, recommander des façons de mieux respecter les droits des victimes.

Entre l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits des victimes en 2015 et le 12 décembre 2019, le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels a traité 385 plaintes concernant des organismes fédéraux associés au système de justice pénale. De ce nombre, 159 traitaient du droit à l’information, 63 du droit de participation, 59 du droit à la protection, 21 du droit de dédommagement et 83 de questions de recours. Il convient de souligner que 159 plaintes concernent le droit à l’information, car celui‑ci ouvre la voie à l’exercice d’autres droits. Autrement dit, les gens ne peuvent jouir du droit de participation et des droits à la protection ou au dédommagement sans avoir d’abord bénéficié du droit à l’information.

Tant le Service correctionnel du Canada que la Commission des libérations conditionnelles du Canada rendent compte du nombre de plaintes reçues de la part de victimes et du fait que les plaintes ont été jugées recevables ou non. En 2017‑2018, le SCC a reçu 17 plaintes, dont seulement huit ont été jugées recevables, alors que sept ont été jugées irrecevables et deux ont été jugées recevables en partie. Au cours de la même année, la CLCC a reçu six plaintes. Quatre d’entre elles ont été jugées recevables et les deux autres, irrecevables. Contrairement à d’autres entités ou autorités fédérales, la GRC n’est pas dotée d’un formulaire ou d’un mécanisme spécial pour la réception de plaintes de victimes. Elle affirme qu’elle n’a reçu aucune plainte liée aux droits des victimes en 2017‑2018.

Remarques

Malheureusement, nous ne savons pas si les plaintes que nous recevons représentent le nombre réel de victimes qui se sont senties mal servies ou maltraitées. Nous savons, par exemple, que de nombreuses victimes appartenant à des groupes racialisés ou marginalisés ne sont pas informées de leur droit d’accéder aux mécanismes officiels de plainte et que beaucoup n’ont pas la capacité de le faire. Comme la police, les procureurs de la Couronne, les tribunaux et les commissions d’examen ne rendent compte ni du nombre de victimes qui se plaignent que leurs droits n’ont pas été respectés ni de la façon dont ces plaintes ont été traitées, il n’y a pas de données sur cet aspect important. Bien qu’il existe des mécanismes provinciaux et territoriaux pour déposer des plaintes contre la police ou un procureur de la Couronne, nous ignorons combien de plaintes sont déposées relativement à la Charte canadienne des droits des victimes parce que personne n’est tenu de consigner ces données et de les mettre à la disposition du public.

Vers un avenir meilleur pour les droits des victimes

Dans la section qui suit, nous présentons un bref historique des droits des victimes au Canada. Nous croyons qu’il est important de le faire, car il y a beaucoup à apprendre de notre histoire, et nous espérons que cela nous aidera à tracer la voie vers un avenir meilleur. Nous énonçons également des recommandations quant à la meilleure façon de renforcer la Charte canadienne des droits des victimes.

Brève histoire des droits des victimes au Canada

En 1985, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir. La Déclaration décrit les victimes de la façon suivante :

 « [...] des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État Membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir »11.

Il y est également statué que :

« Une personne peut être considérée comme une "victime", dans le cadre de la présente Déclaration, que l’auteur soit ou non identifié, arrêté, poursuivi ou déclaré coupable, et quels que soient ses liens de parenté avec la victime. Le terme "victime" inclut aussi, le cas échéant, la famille proche ou les personnes à la charge de la victime directe et les personnes qui ont subi un préjudice en intervenant pour venir en aide aux victimes en détresse ou pour empêcher la victimisation12. »

La Déclaration adoptée par l’ONU « vise à aider les gouvernements […] dans les efforts qu’ils font, afin que justice soit rendue aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir et afin que l’assistance voulue leur soit apportée ». L’ONU invite les États membres, y compris le Canada, à prendre les mesures qui s’imposent pour mettre en œuvre les dispositions de la Déclaration. Par conséquent, le Canada a le devoir de respecter et de mettre en œuvre les recommandations énoncées dans la Déclaration, et le gouvernement fédéral a la responsabilité de veiller à ce que les provinces et les territoires respectent ces normes internationales. 

La Déclaration prévoit que les droits des victimes comprennent le droit à l’information sur leur cas particulier, comme les date et heure de la procédure et leur état d’avancement, de même que la décision rendue, et qu’il convient de prendre des dispositions pour que les points de vue et les préoccupations des victimes soient présentés et examinés aux étapes appropriées de la procédure. Elle précise que les gouvernements devraient protéger la vie privée des victimes et les protéger, ainsi que leur famille, contre l’intimidation et les représailles. Elle souligne en outre que les gouvernements devraient fournir une assistance appropriée aux victimes tout au long de la procédure judiciaire et que ces dernières devraient recevoir des dédommagements et des indemnisations pour toutes les pertes subies.

Comme le signale M. Irvin Waller, professeur émérite du Département de criminologie de l’Université d’Ottawa et sommité mondiale dans le domaine du traitement des victimes, qui a contribué à l’élaboration de la Déclaration, celle‑ci [traduction] « [...] ne limite pas le rôle des victimes à celui d’un témoin. Elle édicte des dispositions visant à fournir un soutien, une protection, une réparation et une participation aux victimes qui vont plus loin que les tribunaux internationaux précédents et qui créent par exemple une norme pour les administrations nationales »13.

Le Canada n’a pas adopté de loi nationale pour se conformer à la Déclaration de l’ONU des Nations Unies. Par contre, en l’honneur de la Déclaration, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables de la Justice ont approuvé en 1988 une Déclaration canadienne des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité selon laquelle les « principes énoncés […] visent à promouvoir le traitement juste et équitable des victimes et doivent se refléter dans les lois, les politiques et les procédures adoptées par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux »14. Il convient de signaler aussi que le Canada, la même année, a légiféré en la matière lorsqu’il a modifié le Code criminel pour y intégrer des dispositions relatives à la déclaration de la victime (article 722). Il a également ajouté une suramende compensatoire visant à couvrir le coût des nouveaux services aux victimes.

Quinze ans plus tard, en 2003, une nouvelle déclaration canadienne est adoptée. Cependant, son contenu est un peu différent de celui des instruments antérieurs : la déclaration ne prévoit plus l’obligation des victimes de collaborer avec les autorités.

Les victimes, les défenseurs et les universitaires ont souvent critiqué le fait que la déclaration de base énonce des principes généraux à l’échelon fédéral, mais ne donne pas de droits réels en droit ni ne tient quiconque responsable du maintien de ces droits dans le système de justice pénale.

Les droits des victimes sont‑ils réellement protégés?

Recommandation : Supprimer les articles 27, 28 et 29 de la Charte canadienne des droits des victimes, qui interdisent aux victimes d’interjeter appel devant les tribunaux lorsque leurs droits ne sont pas respectés. Modifier la Loi de façon à procurer aux victimes deux mécanismes de responsabilisation : premièrement, le mécanisme de contrôle judiciaire; et deuxièmement, le droit administratif à l’examen des décisions de ne pas porter d’accusations.

Recommandation : Modifier l’article 20 de la Charte canadienne des droits des victimes pour s’assurer que l’interprétation de la Loi exige que les représentants reconnaissent les droits de la personne des victimes en ce qui concerne la sécurité de leur personne ainsi que l’accès à la justice et à l’équité procédurale dans l’administration de la justice au Canada. 

L’introduction de la Charte canadienne des droits des victimes a enchâssé les droits des victimes dans une loi fédérale pour la toute première fois, et elle a certainement été bien accueillie par les défenseurs des droits des victimes et bien d’autres. Cela dit, il importe de noter que la Loi ne prévoit pas une solution nationale complète, en partie parce que le mécanisme de présentation de plaintes établi ne vise que les organismes fédéraux. Par conséquent, on promet des droits sans prévoir de moyen de les mettre en application. 

Un certain nombre des lacunes de la Loi ont déjà été citées.

 

Par exemple, en 2019, le ministère de la Justice du Canada déclare ce qui suit dans son rapport final sur l’examen du système de justice pénale du pays : « [...] les victimes et les survivants d’actes criminels sont nombreux à être désillusionnés et déçus par le système de justice pénale. Bien que certains progrès aient été réalisés en ce qui concerne les droits des victimes, bon nombre d’entre elles n’ont toujours pas confiance dans le système. Certaines ont le sentiment que leur expérience du système fait d’elles de nouvelles victimes. Nous devons faire plus afin de traiter les victimes et les survivants d’actes criminels avec obligeance, compassion et respect »15.

Je sens que les fonctionnaires ont fait de leur mieux pour me traiter avec respect. Cependant, j’ai l’impression que le système judiciaire lui-même se concentre
plus sur la peine que sur le soutien aux victimes. - Répondant anonyme, Sondage sur la Charte canadienne des droits des victimes, été 2020

Notre bureau partage cette préoccupation parce que nous voyons des exemples de ce manque de confiance presque tous les jours. Nombre des personnes qui s’adressent à notre bureau pour obtenir de l’aide le font parce qu’elles ont été frustrées et désorientées par un système de justice qui ne semble pas tenir sérieusement compte de leur sécurité, ni de la douleur et de la souffrance qu’elles ont endurées.

Cette frustration était manifeste lors d’un récent Forum communautaire sur les enjeux des victimes parrainé par notre bureau à Yellowknife (T.N.‑O.)16, où de nombreux participants nous ont dit que la Charte canadienne des droits des victimes était à la fois vague et inapplicable et qu’elle ne tient personne responsable lorsque les droits des victimes ne sont pas respectés. La plupart des participants ont dit qu’ils pensaient que les personnes accusées et les délinquants avaient plus de droits que les victimes et que les droits des victimes étaient considérés comme secondaires par rapport à ceux des délinquants. 

La Loi précise que les victimes doivent être pleinement informées de leurs droits, mais elle ne dit pas qui, dans le système de justice pénale, a la responsabilité de les informer. Dans bien des cas, la Loi renvoie seulement aux « autorités compétentes » du système de justice pénale. Il faut changer cette situation pour déterminer qui est chargé de veiller à ce que les victimes, en plus de connaître leurs droits, possèdent les moyens de les exercer à chaque étape du processus, que ce soit auprès de la police, des procureurs de la Couronne, des tribunaux, des membres de commission d’examen, des membres des services correctionnels ou des agents de libération conditionnelle. 

Dans l’état actuel des choses, la Loi ne nomme pas les acteurs du système de justice pénale responsables de la réalisation des droits des victimes. En plus, l’article 20 de sa clause d’interprétation précise que les dispositions de la Loi relatives aux droits des victimes doivent être interprétées et appliquées d’une manière qui ne porte pas atteinte au pouvoir discrétionnaire des représentants du système de justice pénale au Canada. Nous croyons qu’au lieu de protéger le pouvoir discrétionnaire des représentants, il faudrait réorienter la Loi de façon à ce que les représentants soient tenus responsables de la sécurité des victimes ainsi que de leur accès à la justice et à l’équité procédurale. 

L’un des principaux problèmes de la Charte canadienne des droits des victimes est qu’elle ne comporte aucune disposition permettant de mesurer sa propre efficacité dans toutes les administrations. Le Code criminel et la Charte canadienne des droits des victimes sont des lois fédérales, mais il revient aux gouvernements provinciaux d’administrer le système de justice pénale à l’intérieur de leurs frontières. (Le gouvernement fédéral est responsable de son administration dans les trois territoires.)

Nous croyons qu’il faudrait entreprendre l’examen parlementaire de la Charte canadienne des droits des victimes en vue d’élaborer un mécanisme de surveillance et d’évaluation permettant de déterminer si les victimes sont informées de leurs droits (et comment) et si elles ont accès aux conseils et aux services de soutien nécessaires pour faire respecter les droits que la loi leur confère. À l’heure actuelle, nous n’avons pas suffisamment de données sur la façon dont les institutions de justice pénale voient au maintien des droits des victimes, et nous devons nous appuyer en grande partie sur des données résultant d’observations informelles qui ne permettent pas de brosser un portrait complet de la situation.

Les victimes doivent demander leurs droits

Recommandation :  Modifier les articles 6, 7 et 8 de la Charte canadienne des droits des victimes pour s’assurer qu’on adopte une approche proactive de maintien des droits légaux des victimes. Le libellé actuel de ces articles est : « Toute victime a le droit, sur demande, d’obtenir des renseignements en ce qui concerne [...] ». Il faudrait le remplacer par le libellé suivant : « Toute victime recevra automatiquement des renseignements en ce qui concerne [...] ».

Recommandation : Modifier la Charte canadienne des droits des victimes pour garantir l’accès des victimes à des services d’assistance ou de soutien. Les articles 14 à 17 de la Déclaration de l’ONU portent sur le droit des victimes à l’assistance médicale, psychologique, juridique et sociale.

Recommandation : Élaborer une carte des droits des victimes pancanadienne qui serait automatiquement remise aux victimes par les premiers intervenants et d’autres personnes participant à la prestation de services aux victimes, comme les services de police, d’incendie et d’ambulance, ainsi que les travailleurs correctionnels, les agents de libération conditionnelle, les fournisseurs de services de santé, les travailleurs sociaux et d’autres intervenants. Dans un langage clair, la carte décrirait les droits des victimes prévus dans la Charte canadienne des droits des victimes pour qu’on puisse s’assurer que chaque victime est au courant de ses droits et de la façon de les faire valoir. Les représentants devraient suivre le nombre de cartes remises annuellement et rendre des comptes sur la façon dont ils tiennent les employés responsables de la communication de l’information aux victimes. 

Comme il est indiqué ci‑dessous, l’une des principales préoccupations que nous avons et que bien d’autres ont à l’égard de la Charte canadienne des droits des victimes est qu’elle n’exige pas que les victimes reçoivent automatiquement des renseignements sur leurs droits. En revanche, en vertu de l’article 10 de la Charte canadienne des droits et libertés, lorsqu’un suspect d’un crime est détenu ou arrêté, il a immédiatement des droits garantis, y compris le droit de connaître les raisons de son arrestation et le droit de consulter un avocatd

Les victimes, quant à elles, doivent demander à la police et aux autres autorités quels sont leurs droits. Mais comment une victime est‑elle censée savoir qu’elle a des droits, à moins que quelqu’un ne le lui dise? Comment peut‑on s’attendre à ce qu’une victime, sous l’emprise d’un traumatisme, comprenne toute la complexité du système de justice pénale et les droits qui lui sont conférés si on ne l’informe pas de façon proactive? 

Il faut adopter une approche proactive de maintien des droits légaux des victimes qui permettrait de faire en sorte que les victimes reçoivent automatiquement des renseignements sur leurs droits au lieu de devoir en faire la demande et que tous les intervenants du système de justice pénale comprennent qu’ils ont l’obligation de tenir les victimes au courant de leurs droits en ce qui concerne l’information, la protection, la participation et le dédommagement. Parmi ces intervenants figurent le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui exigent actuellement que les victimes s’inscrivent elles‑mêmes pour recevoir des renseignements sur les délinquants qui leur ont causé du tort. Ces organisations devraient prévoir l’inscription d’office des victimes et des survivants afin qu’ils reçoivent ces renseignements et se voient offrir la possibilité de « s’inscrire » ou de « s’exclure » et de décider si l’inscription est dans leur intérêt supérieur. 

La réticence de la victime à s’informer de ses droits pourrait découler du traumatisme subi, mais elle pourrait également tenir à une barrière linguistique ou à d’autres aspects qui amènent la victime à se méfier des figures d’autorité. C’est le cas notamment de nombreux membres de communautés minoritaires et autochtones diverses qui ont toujours été confrontés à des formes systémiques et autres de discrimination. Il y a aussi de nouveaux Canadiens et de nouvelles Canadiennes qui viennent de pays où les droits de la personne sont peu respectés, où les figures de l’autorité gouvernementale sont perçues seulement comme des oppresseurs à craindre, et non comme des fournisseurs d’aide et de soutien. 

Nous croyons fermement qu’il faut modifier la loi de manière à ce que les victimes soient immédiatement et automatiquement informées de leurs droits et reçoivent de l’information sur les services et l’assistance qui leur sont offerts. D’ailleurs, nous sommes d’avis que les victimes et les survivants devraient jouir d’un droit garanti au soutien et à l’assistance à la suite de leur victimisation. Cela permettrait de reconnaître aussi les besoins des Canadiennes et des Canadiens victimisés à l’extérieur du Canada, ce que la Loi actuelle ne fait pas. Elle ne porte que sur « les enquêtes et les poursuites relatives aux infractions au Canada »17. Nous savons que les actes de violence n’ont pas de frontières et que les Canadiens et les Canadiennes qui retournent au pays méritent un accès aux services d’assistance et de soutien qui leur permettront de se rétablir. 

Les victimes méritent également d’être informées d’office lorsque les délinquants sont incarcérés ou lorsqu’une libération conditionnelle ou une autre libération provisoire est envisagée. À l’heure actuelle, les victimes doivent demander ces renseignements. En effet, même si certains programmes provinciaux de soutien aux victimes ont pour mandat d’informer les victimes de leurs droits à ce chapitre (c’est le cas, par exemple, en Nouvelle‑Écosse), il reste que les victimes doivent toujours s’inscrire auprès du Service correctionnel du Canada ou de la Commission des libérations conditionnelles du Canada pour recevoir des renseignements. Selon la politique fédérale actuelle, on porterait atteinte à la vie privée d’une victime si on communiquait avec elle au sujet du délinquant qui lui a fait du mal ou au sujet de ses droits, comme le droit de participer à une audience ou d’exprimer ses préoccupations à l’égard de sa protection. Cette interprétation est contraire à l’esprit de la loi et renforce les obstacles à la mise en œuvre des droits des victimes. 

Il n’est pas surprenant que le nombre de victimes qui demandent ces renseignements soit plutôt faible par rapport au nombre de personnes incarcérées. Le 5 décembre 2019, l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels a soulevé cette question auprès du ministre de la Sécurité publique : « L’inscription automatique ou proactive des victimes lorsqu’une peine fédérale est infligée, assortie d’une disposition de retrait pour offrir aux victimes et aux survivants le choix personnel de décider si l’inscription est dans leur intérêt. Je crois qu’il s’agit de la meilleure solution. Elle tient compte des traumatismes, est fondée sur les forces et axée sur la victime pour résoudre le manque de participation des victimes aux services correctionnels fédéraux et au processus de libération conditionnelle, causé par l’exigence d’auto‑inscription18. » À notre avis, l’absence d’une approche proactive nuit à l’accès des victimes à leurs droits tout au long du continuum de justice pénale. 

Dans certaines administrations, les membres des forces de l’ordre sont chargés d’informer les victimes de leurs droits et des services de soutien à leur disposition. En Californie, par exemple, on a créé la carte de Marsy19 pour fournir ces renseignements aux victimes. Un exemple canadien de cette pratique est la carte de portefeuille élaborée et distribuée par la Division de la GRC en Colombie-Britannique (voir l’annexe A). Nous ignorons combien de ces cartes ont été distribuées. Néanmoins, nous croyons qu’il s’agit d’une excellente initiative et recommandons qu’une carte semblable soit élaborée pour une utilisation normalisée partout au pays. Parmi les autres exemples d’outils d’information à l’intention des victimes, mentionnons une vidéo éducative (voir l’annexe A) créée par l’Association québécoise Plaidoyer-Victimes (AQPV). Des exemples figurent sur le site Web de l’association20. Ce sont d’excellentes initiatives. Nous encourageons toutes les administrations à créer de tels outils et à s’en servir pour aider les victimes à comprendre leurs droits et à les exercer.

Une autre façon de veiller à ce que les victimes connaissent leurs droits légaux et la façon de les faire valoir serait d’établir une ligne téléphonique d’aide nationale. Un élargissement des services de notre bureau nous permettrait de prendre en charge une telle ligne d’aide. Le Bureau pourrait aussi fournir des renseignements et des directives sur les droits des victimes ainsi que les numéros de téléphone et les adresses Internet des services nationaux, provinciaux et territoriaux de soutien aux victimes et des organismes bénévoles de soutien aux victimes. En outre, le ministère de la Justice du Canada devrait lancer une campagne nationale pour informer les victimes au sujet de la Loi et de leurs droits.

Si on tâchait promptement de procurer aux victimes d’actes criminels l’information dont elles ont besoin au sujet du système de justice pénale et de les aider à communiquer avec des organismes publics et privés de soutien aux victimes, l’impact serait énorme. En plus de favoriser chez les victimes de meilleurs résultats en matière de guérison et de rétablissement, ces mesures portent également un message très fort de solidarité sociale.

Comme l’a déclaré Edna Erez, experte des droits des victimes : [traduction] « Les victimes qui ont la possibilité de participer et de donner leur avis découvriront peut‑être que ces aspects sont nécessaires à leur guérison psychologique. Le fait d’accorder aux victimes des droits de participation pourrait réduire leur perception d’iniquité par rapport au délinquant, ce qui réduirait le risque de préjudices psychologiques additionnels 21. »

Il est nécessaire de mettre en place davantage de stratégies de justice réparatrice pour éviter la revictimisation par le système judiciaire.
- Répondant anonyme, Sondage sur la Charte canadienne des droits des victimes, été 2020

Justice réparatrice

Recommandation : Modifier la Charte canadienne des droits des victimes pour s’assurer que tous les représentants du système de justice pénale sont chargés de fournir des renseignements sur les programmes de justice réparatrice aux victimes qui signalent des crimes. Prévoir un financement de base durable pour les programmes de justice réparatrice communautaires. 

La participation des victimes est au cœur des initiatives de justice réparatrice. Il faudrait informer les victimes des options à leur disposition dès qu’elles signalent un crime. Les programmes de justice réparatrice communautaires visent à donner aux victimes et aux délinquants l’occasion de se réunir pour chercher une solution qui oblige les délinquants à assumer leurs actes, mène à la réparation des préjudices et aide à prévenir d’autres crimes, préjudices et incidents de victimisation22. La recherche dans le domaine de la justice réparatrice montre que celle‑ci peut s’avérer bénéfique pour les victimes, les délinquants et la sécurité publique. 

Bien que la justice réparatrice soit une caractéristique du système de justice pénale au Canada depuis de nombreuses décennies, principalement dans des affaires impliquant de jeunes contrevenants et des membres de communautés autochtones, il est possible que d’autres victimes montrent de l’intérêt pour cette démarche. Il faut déployer des efforts non seulement pour informer les victimes, mais aussi pour faire en sorte que des programmes bien financés et mieux connus soient offerts dans toutes les collectivités. 

Malheureusement, la Charte canadienne des droits des victimes prévoit seulement qu’une victime peut demander des renseignements sur les programmes de justice réparatrice; elle n’indique pas qui, dans le système de justice pénale, est responsable de leur prestation. Le gouvernement fédéral et tous les gouvernements provinciaux et territoriaux s’entendent pour dire qu’il faut recourir davantage à la justice réparatrice, à la lumière des données probantes au sujet de ses bienfaits, mais il ne semble pas y avoir d’effort concerté pour financer adéquatement des programmes ou pour élargir leur accessibilité. Il faut combler cette lacune grâce à un financement de base durable pour les programmes de justice réparatrice communautaires. 

De plus, la Loi ne va pas aussi loin que la Déclaration de l’ONU, selon laquelle on devrait recourir à la médiation et à d’autres formes de justice réparatrice lorsque cela est approprié23. En plus d’offrir une réparation, la justice réparatrice peut également procurer aux victimes des réponses à certaines de leurs questions, ce qui peut réduire la peur et l’anxiété et favoriser la guérison24

Nous croyons que davantage de victimes et de survivants songeraient à recourir à cette option s’ils en connaissaient l’existence. Il y aurait peut‑être lieu également de cerner plusieurs moments où on pourrait communiquer l’information relative aux programmes de justice réparatrice aux victimes, car certaines d’entre elles s’ouvriront à la possibilité de participer plus tard dans leur parcours au sein du système de justice pénale. Cependant, l’octroi d’un financement de base aux programmes communautaires représente l’aspect le plus crucial, puisque c’est ce qui permettra aux victimes de tirer parti de cette option si elles le désirent.

Qui est responsable lorsque les droits des victimes sont violés?

Recommandation : Modifier la Loi de façon à remplacer « autorités compétentes du système de justice pénale » par une liste des représentants investis de responsabilités directes envers les victimes d’actes criminels, comme les agents de police, les procureurs de la Couronne, les juges et les membres de commission d’examen ainsi que les employés du Service correctionnel du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

Recommandation : Modifier le paragraphe 25(2) de la Charte canadienne des droits des victimes de façon à désigner le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels comme seule autorité compétente pour examiner les plaintes des victimes d’actes criminels en ce qui concerne le traitement qu’elles ont reçu d’un ministère, d’une agence ou d’un organisme fédéral. 

Comme il a été mentionné plus haut, les victimes estimant que les représentants ont négligé leurs droits ne peuvent obtenir réparation qu’en présentant une plainte. À l’heure actuelle, les victimes n’ont pas le droit d’exercer un recours judiciaire devant les tribunaux si elles estiment que les représentants n’ont pas respecté leurs droits. Marie Manikis, professeure universitaire, a fait valoir ce point juste après le dépôt du projet de loi au Parlement : [traduction] « En effet, dans les cas où les “droits” présentés dans ce document sont violés par des organismes fédéraux de justice pénale, il est parfaitement clair que les victimes n’ont aucun recours — action en justice, appel ou toute forme de dommages‑intérêts — au titre de cette Loi25. »

À titre d’exemple, les victimes ont le droit de demander une protection contre un accusé ou un délinquant. Si la police ou d’autres représentants ne fournissent pas cette protection, le droit actuel n’offre aucun recours à la victime. Les articles 27, 28 et 29 de la Loi privent les victimes de toute capacité pour agir devant un tribunal afin de demander réparation devant les tribunaux si leurs droits ne sont pas respectés. Ces articles sont ainsi libellés :

Qualité pour agir

27 La présente loi ne peut être interprétée comme conférant ou retirant aux victimes ou aux particuliers qui agissent pour leur compte la qualité de partie, d’intervenant ou d’observateur dans toute procédure.

Absence de droit d’action

28 La violation ou la négation d’un droit prévu par la présente loi ne donne pas ouverture à un droit d’action ni au droit d’être dédommagé.

Appel

29 Aucun appel d’une décision ou d’une ordonnance ne peut être interjeté au seul motif qu’un droit prévu par la présente loi a été violé ou nié.

Charte canadienne des droits des victimes

Nous croyons que les victimes devraient avoir la possibilité d’exercer un recours (p. ex. un contrôle judiciaire) lorsqu’elles croient qu’un ou plusieurs représentants du système de justice pénale ont violé leurs droits. En Angleterre et dans le pays de Galles, on met deux mécanismes de responsabilisation à la disposition des victimes : le mécanisme de contrôle judiciaire et le droit administratif à l’examen des décisions de ne pas porter d’accusations. Le processus de contrôle judiciaire permet à une partie intéressée de contester une action du procureur de la Couronne dans des situations où l’on n’a pas bien compris ou appliqué le droit ou la politique, où la preuve n’a pas été étudiée soigneusement, et où l’on peut démontrer que la décision repose sur la fraude, la corruption ou la mauvaise foi. Quant au droit administratif, celui‑ci procure une solution de rechange au contrôle judiciaire qui est plus accessible et favorise la responsabilisation et la réparation en reconnaissant que les victimes ont le droit de demander l’examen d’une décision de ne pas porter d’accusations26

L’adoption de mécanismes de responsabilisation comparables au Canada permettrait aux victimes de tenir responsables les représentants de la justice pénale, en particulier les procureurs de la Couronne. Nous croyons qu’il est possible d’apporter des changements positifs au caractère applicable des droits des victimes sans porter atteinte aux droits constitutionnels des délinquants. Il ne s’agit pas de choisir un ou l’autre : c’est une situation où il faut respecter les droits des victimes et des délinquants à la fois. 

En même temps, nous savons qu’il s’agit d’une question complexe et quelque peu controversée. Nous croyons que le Parlement devrait l’examiner en détail, en consultation avec les gouvernements provinciaux, territoriaux et locaux, ainsi que d’autres intervenants, en vue de modifier la Loi afin de donner aux victimes le droit de contester de telles décisions.

Données exhaustives

Recommandation : Recueillir de façon uniforme à l’échelle nationale des données sur le traitement des victimes dans le système de justice pénale et mettre à la disposition du public un rapport sur la question. Il faut aligner les indicateurs de données sur les droits énumérés dans la Charte canadienne des droits des victimes afin qu’on puisse suivre et mesurer cette information en vue d’évaluer la façon dont on assure le maintien des droits dans toutes les administrations. Le ministère de la Justice devrait envisager la création d’un groupe de travail sur les données relatives aux victimes qui réunirait des représentants du Ministère et les procureurs généraux des provinces et des territoires, des universitaires et Statistique Canada dans le cadre d’un effort national de collaboration pour atteindre cet objectif. 

Une autre préoccupation importante est le manque de données uniformes et utilisables sur la façon dont le système de justice pénale traite les victimes. Bien que la Charte canadienne des droits des victimes délimite clairement les droits légaux des victimes, on n’a pas pris de dispositions adéquates pour exiger que tous les représentants mesurent ou consignent de l’information sur la manière dont ils informent les victimes de leurs droits et le moment où ils le font, ni sur les droits exercés par les victimes et le moment où elles l’exercent. Sans cette information, il est difficile d’évaluer l’efficacité des systèmes. En outre, il nous faut des données permettant de cerner les aspects des systèmes qu’il faudrait améliorer, pas seulement des données administratives ou internes qui ne sont jamais passées en revue. Cette question préoccupe le Bureau depuis le dépôt du projet de loi. 

Cela fait toute la différence lorsque les personnes en position de pouvoir ou d’autorité (avocats, conseillers, travailleurs sociaux) sont non seulement formées, mais éduquées, et qu’elles comprennent la situation en cours, peu importe de quoi il s’agit… victime de violence familiale, survivant(e) de violence liée aux gangs, etc.
- Répondant anonyme, Sondage sur la Charte canadienne des droits des victimes, été 2020

En 2016, afin de tenter de relever ce défi, nous avons collaboré avec le Centre canadien de la statistique juridique de Statistique Canada à la réalisation d’une étude de mise en correspondance des données pour décrire les besoins et les possibilités de recherche liés aux victimes d’actes criminels27. L’étude comprenait des consultations avec les services de police, les tribunaux, les services correctionnels et les services aux victimes, ainsi que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, les organisations non gouvernementales et les universitaires. Bien que les sources de données diffèrent, l’étude a révélé qu’un large éventail de renseignements sur les droits des victimes sont régulièrement recueillis. La difficulté est que chaque province ou territoire rend des comptes quelque peu différents sur la façon dont on y administre la justice. Dans de nombreux cas, on recueille et consigne les données sans les publier, ou celles‑ci ne sont pas facilement accessibles au public. 

Une étude récente du Dr Benjamin Roebuck, intitulée Resilience and Survivors of Violent Crime, a révélé, entre autres, que les victimes se disaient peu ou modérément satisfaites de la façon dont on les avait traitées dans le système de justice pénale. L’étude contenait une recommandation selon laquelle [traduction] « [...] l’accès aux droits des victimes doit être mesuré régulièrement au Canada et intégré à l’Enquête sociale générale sur la victimisation de Statistique Canada et à d’autres enquêtes judiciaires pertinentes afin qu’on puisse déterminer si les droits juridiques des victimes sont respectés dans le système de justice »28. Dans d’autres pays du monde, comme les Pays‑Bas, les ministères de la Justice assurent un suivi régulier de l’expérience des victimes et de leur satisfaction à l’égard du système de justice pénale. 

Selon notre analyse, les efforts actuels de collecte de données du Canada sont inégaux, dans le meilleur des cas, et pratiquement inexistants à certains endroits. Il en résulte un portrait incomplet de la façon dont les droits des victimes sont maintenus aux différentes étapes du processus de justice pénale. 

Il est essentiel de disposer de données complètes pour déterminer si on consacre suffisamment de ressources à l’aide aux victimes et si on les a affectées aux bons endroits. En recueillant des données plus uniformes, fiables et valides, nous pourrions découvrir et corriger les iniquités qui existent au pays. 

Ce manque de mesure et d’évaluation exhaustives est également un obstacle important à notre capacité de comprendre si la Loi a effectivement eu une incidence positive sur les victimes. Pour l’instant, on peut affirmer que de nombreuses victimes ne connaissent pas leurs droits et que de nombreux intervenants du système de justice pénale ignorent l’existence de la Charte canadienne des droits des victimes

Nous croyons qu’un effort national de tous les ordres de gouvernement est nécessaire. C’est pourquoi nous recommandons que le ministère de la Justice crée un groupe de travail réunissant les décideurs et les spécialistes de ces questions qui aurait précisément pour mandat de déterminer comment on pourrait remédier à cette lacune sur le plan des données. 

À mesure que ce processus progressera, il devra refléter l’engagement du gouvernement du Canada à examiner toutes ses initiatives en utilisant l’analyse comparative entre les sexes plus (ACS+). Cet outil d’analyse va au‑delà du sexe et du genre pour procurer une mesure de l’impact potentiel d’une initiative donnée (l’élaboration d’un plan, d’une politique, d’un programme ou d’une loi) qui tient compte de l’incidence du sexe et des aspects intersectionnels de l’identité, comme la race, l’ethnicité, la religion, l’âge, l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’incapacité mentale ou physique. Cette approche reflète le fait que les groupes d’individus de même genre ou ayant des caractéristiques identitaires similaires ne sont pas nécessairement homogènes. Pour atteindre cet objectif, il faut recueillir des données agrégées et désagrégées sur les victimes qui permettraient d’examiner les effets potentiels de l’action gouvernementale sur les groupes racialisés et marginalisés, en particulier.

Formation et sensibilisation

Recommandation : Diriger un effort national pour élaborer une formation sur la responsabilité à l’égard des droits des victimes à l’intention du personnel de justice pénale partout au Canada afin de veiller à l’application de normes nationales pour le traitement des victimes et à ce que tous les membres du personnel comprennent pleinement qu’ils auront pour responsabilité de s’assurer que les victimes ont accès aux droits prévus dans la loi. Évaluer continuellement la formation afin de déterminer son efficacité. 

Recommandation : Mener une campagne d’éducation publique nationale à la télévision et sur les réseaux sociaux pour informer les Canadiens et les Canadiennes de leurs droits en tant que victimes d’actes criminels. La campagne devrait insister sur le droit des victimes à l’information, car celui‑ci ouvre la voie à l’exercice d’autres droits. Une telle campagne donnerait des moyens d’action aux victimes et permettrait d’accroître leur confiance à l’égard du système de justice pénale.

Pour obtenir de meilleurs résultats au chapitre des droits des victimes, il faudra également établir un régime de formation plus solide pour les personnes travaillant dans le système de justice qui interagissent avec les accusés et les victimes. À en croire les données résultant d’observations informelles dont nous disposons, de nombreux services de police offrent une formation, mais elle est souvent considérée comme peu prioritaire ou parfois carrément ignorée. Trop souvent, nous entendons parler d’enquêteurs de police traitant les victimes et les témoins comme des suspects. C’est particulièrement vrai dans les enquêtes sur les crimes sexuels et sur la violence conjugale. On devrait exiger de tous les représentants du système de justice pénale qu’ils possèdent une connaissance et une compréhension de base des traumatismes et de la façon de répondre aux victimes en tenant compte de ceux‑ci. Les Canadiennes et les Canadiens méritent mieux de leur système de justice pénale. Pour que les Canadiens et les Canadiennes aient confiance dans le système de justice pénale, ils doivent savoir que les gens qui y travaillent sont bien formés pour traiter tout le monde équitablement et que les besoins des victimes sont reconnus et respectés. 

Ce problème n’est pas unique au Canada. D’autres administrations ont souligné l’importance capitale de la formation relative aux victimes d’actes criminels. Mentionnons par exemple la directive du Parlement européen sur les droits des victimes, dont voici un extrait : « Tout agent des services publics intervenant dans une procédure pénale et susceptible d’être en contact personnel avec des victimes devrait se voir offrir et pouvoir suivre une formation initiale et continue appropriée, d’un niveau adapté au type de contacts qu’il est amené à avoir avec les victimes, pour être en mesure d’identifier les victimes et de recenser leurs besoins et d’y répondre avec respect, tact, professionnalisme et de manière non discriminatoire29. » 

Les droits des victimes sont des droits de la personne, et on ne devrait donc pas les négliger ni les ignorer. Nous croyons qu’il faut déployer un nouvel effort pancanadien pour mieux former le personnel du système de justice pénale sur les responsabilités que lui attribue la loi à l’égard des victimes. Nous devons veiller à ce qu’il existe des normes nationales pour le traitement des victimes et à ce que tous les membres du personnel comprennent qu’ils seront tenus responsables de l’exercice des droits légaux des victimes. La formation doit être axée sur les victimes et antiraciste et reposer sur les principes de prise en compte des traumatismes. Il est crucial d’évaluer la formation afin de veiller à son efficacité. 

Le personnel du système de justice pénale doit comprendre que les victimes ne sont pas toutes les mêmes. Elles représentent une grande diversité d’expériences sociales et culturelles. En outre, toute interaction avec le système de justice pénale peut s’avérer très troublante. Il faut également accorder une attention particulière à la formation du personnel chargé des infractions violentes, en particulier dans les cas de violence fondée sur le sexe. La formation devrait amener les membres du personnel à comprendre que la violence a des effets négatifs immédiats et à long terme sur les victimes et leur famille ainsi que sur la famille des délinquants. De plus, une victime dont la première expérience du système de justice pénale a été positive sera plus disposée à participer dans l’avenir.

Déclarations de la victime

La déclaration de la victime est un enjeu où convergent nombre des préoccupations susmentionnées. Bien souvent, c’est le seul moyen pour une victime (ou une communauté de victimes) d’intervenir dans un processus dont elle est largement exclue. La déclaration de la victime donne la possibilité à celle ci d’exprimer (par écrit, de vive voix ou, dans le cas d’enfants, au moyen de l’art) les préjudices qu’elle a subis. C’est l’une des rares occasions offertes à la victime de participer au processus et de veiller à ce que son point de vue soit pris en compte par le tribunal au moment de la détermination de la peine.

La Charte canadienne des droits des victimes indique clairement que les victimes ont le droit de participer au processus judiciaire en faisant une déclaration de la victime. Selon le paragraphe 722(2) du Code criminel, les juges sont tenus « […] de s’enquérir auprès du poursuivant si des mesures raisonnables ont été prises pour permettre à la victime de rédiger la déclaration visée au paragraphe (1) »30. 

Il est problématique que seulement cinq administrations rendent compte à Statistique Canada du nombre de déclarations de la victime admises en preuve. D’après les informations dont nous disposons, nous savons que des déclarations de la victime ne sont admises en preuve que dans une fraction d’affaires criminelles instruites chaque année. À cause des lacunes sur le plan du suivi, de la mesure et de la reddition de comptes, nous ignorons si le faible nombre de déclarations tient au fait que les victimes ne sont pas toutes informées de leurs droits d’en faire une ou au fait que certaines choisissent de ne pas en faire une. Nous ignorons également la fréquence à laquelle les victimes préparent une déclaration qui restera dans le dossier de la Couronne sans jamais être présentée à l’audience de détermination de la peine. Certaines considérations liées à la vie privée pourraient amener des victimes et des survivants à décider de ne pas présenter une déclaration, étant donné que celle‑ci est normalement versée dans le dossier judiciaire public et que les médias peuvent donc la consulter et la publier. 

J’ai l’impression que les délinquants ont plus de droits que les victimes. Ces dernières n’ont pas demandé ce qui leur est arrivé. C’est pourquoi je crois que le système devrait prendre cette réalité en considération et montrer qu’il la comprend. La victime ne mérite pas de se sentir victimisée à nouveau par le système judiciaire.
- Répondant anonyme, Sondage sur la Charte canadienne des droits des victimes, été 2020

L’article 722.2 du Code criminel précise également que les victimes ont le droit de demander des mesures visant à faciliter leur témoignage pour présenter leur déclaration de la victime devant les tribunaux. Par exemple, une victime peut demander à lire sa déclaration derrière un écran, à l’enregistrer sur bande vidéo ou à la faire lire par une autre personne. Cependant, nous ignorons si les victimes sont informées de ces options, car les administrations ne sont pas tenues de rendre des comptes sur cet aspect. Nous croyons savoir que ces options sont peu utilisées dans l’ensemble des provinces et des territoires. Il faudrait recueillir et déclarer ces renseignements.

Ordonnances de dédommagement

Recommandation : Modifier la disposition relative à l’exécution des ordonnances de dédommagement (article 17) de façon qu’elle indique : Toute victime en faveur de laquelle une ordonnance de dédommagement est rendue a le droit d’obtenir de l’aide pour recouvrer le montant accordé par jugement exécutoire contre le délinquant en cas de défaut de paiement. Ce libellé reconnaît la responsabilité de tous les gouvernements d’aider à l’exécution du dédommagement ordonné par le tribunal, étant donné que les victimes ont le droit de recevoir réparation pour les pertes qu’elles ont subies. 

Recommandation : Remplacer le dédommagement par la notion de « réparation », plus large. Cela permettrait d’accroître l’accès des victimes à la réparation, car le terme englobe les gestes de réparation symboliques. En outre, une telle modification serait en harmonie avec les changements proposés visant à promouvoir la justice réparatrice. Elle offrirait également la possibilité d’une indemnisation. Selon l’article 12 de la Déclaration de l’ONU, les États devraient s’efforcer d’offrir une indemnisation aux victimes lorsqu’il n’est pas possible d’en obtenir une du délinquant. En tant que membre de l’ONU, le Canada devrait respecter la Déclaration de l’ONU. Le gouvernement fédéral est chargé de veiller à ce que les normes de l’ONU soient respectées.

Un autre aspect de la Loi qu’il faut, selon nous, renforcer est l’article 17 concernant les ordonnances de dédommagement. Une ordonnance de dédommagement oblige le délinquant à payer la victime pour les pertes financières qu’elle a subies en raison du crime qu’il a commis. Le dédommagement ordonné peut seulement s’appliquer aux pertes subies jusqu’au moment de la détermination de la peine du délinquant. Il fait partie de la peine infligée au délinquant et peut soit prendre la forme d’une ordonnance autonome, soit être intégré à une ordonnance de probation ou à une condamnation avec sursis.

Selon la Loi, toute victime a le droit à ce que la prise d’une ordonnance de dédommagement contre le délinquant soit envisagée par le tribunal. Les tribunaux sont expressément chargés de veiller à ce que la victime se voit offrir la possibilité de présenter une telle demande. Si le délinquant ne paie pas le dédommagement prévu par l’ordonnance, la victime a également le droit de faire inscrire l’ordonnance auprès d’un tribunal civil et de la faire exécuter, tel un jugement délivré par ce tribunal. Cependant, comme l’a souligné Jo‑Anne Wemmers, experte en droits des victimes : « Cette tâche peut cependant s’avérer ardue pour la victime, puisqu’elle se trouve souvent dans un état fragilisé en raison de sa victimisation, et que le processus pour intenter une poursuite civile est complexe et dispendieux. Les coûts personnels engendrés par les procédures civiles ainsi que les frais de justice, peuvent être un obstacle important à la volonté ou à la possibilité de la victime de récupérer son argent31. »

J’ai senti qu’on me laissait souvent à moi-même; on me donnait la date de la prochaine audience et c’était tout. J’ai ressenti de la solitude et de la peur, et j’avais l’impression d’être devant l’inconnu par rapport au fonctionnement de tout ça – j’ai donc eu à faire beaucoup de lecture et de recherches par moi-même afin de comprendre le processus.
- Répondant anonyme, Sondage sur la Charte canadienne des droits des victimes, été 2020

Organismes de soutien aux victimes

Recommandation : Renforcer et accroître la capacité des organismes de soutien aux victimes en fournissant un financement stable et durable au lieu de financer ponctuellement des projets de durée limitée et d’octroyer des subventions, et évaluer l’efficacité de ces organismes. En outre, prévoir un financement de base durable pour les programmes de justice réparatrice communautaires. Afin d’accroître les fonds pouvant être distribués par l’intermédiaire du Fonds d’aide aux victimes du ministère de la Justice du Canada, on devrait diriger un modeste pourcentage des amendes infligées au moment de la détermination de la peine dans des affaires relatives à des infractions relevant de la compétence fédérale (p. ex. les amendes environnementales imposées à des sociétés ou des amendes infligées à des organisations du crime organisé) vers le Fonds. 

Recommandation : Créer un service national de soutien aux victimes d’actes criminels afin de leur fournir des renseignements sur leurs droits ainsi qu’une ligne d’aide et d’information accessible gratuitement à l’échelle nationale, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Cet organisme, analogue à Victim Support Europe, travaillerait à la promotion des droits des victimes à l’échelle du Canada et pourrait collaborer avec les lignes d’aide provinciale existantes. Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels pourrait assumer la responsabilité d’assurer le fonctionnement de cette ligne d’aide. 

Il serait impensable de produire un rapport sur les droits des victimes sans mentionner les bénévoles et le personnel dévoués qui travaillent avec diligence au sein d’organismes de soutien aux victimes qui servent diverses populations à l’échelle du Canada. 

Ces travailleurs aident et défendent les victimes et leur famille de nombreuses façons différentes, et leur apport est inestimable. Par exemple, ils aident les victimes à comprendre leurs droits et leur offrent des conseils sur le système de justice pénale. Ils peuvent aider les victimes à se préparer pour une comparution, offrir des services de counseling post‑traumatique et d’intervention en cas de crise ou procurer un refuge d’urgence. Ces travailleurs fournissent un service essentiel et forment un élément crucial de notre système de justice pénale. On devrait les reconnaître en tant que premiers intervenants et les rémunérer de façon équitable par rapport aux policiers, aux pompiers et au personnel paramédical. 

Pourtant, bien que nombre de ces organismes de soutien aux victimes bénéficient d’un soutien financier du ministère de la Justice, on sous‑évalue souvent leur travail. Certains sont forcés de tenir des activités‑bénéfice pour maintenir ou étendre leurs services. Nous croyons que le ministère de la Justice devrait leur offrir le soutien financier continu dont ils ont besoin pour accroître leur capacité à fournir des services essentiels et à défendre les intérêts des victimes d’actes criminels dans toutes les régions du pays. 

Il convient de signaler que la Charte canadienne des droits des victimes ne prévoit pas le droit des victimes à l’assistance, alors que ce droit figure dans la Déclaration de l’ONU. Le droit à l’assistance devrait être garanti dans la Loi. Il serait bénéfique de créer un organisme national, financé par le gouvernement fédéral, qui aurait pour mandat de faire la promotion des droits des victimes du Canada, comme le fait Victim Support Europe.

 

Je dis qu’il s’agit de la Charte du fromage suisse, car elle est tellement pleine de trous. - Répondant anonyme, Sondage sur la Charte canadienne des droits des victimes, été 2020

Conclusion

Les conclusions et les recommandations du présent rapport d’étape sur la Charte canadienne des droits des victimes découlent de nos années d’expérience de travail direct avec les victimes, les groupes de soutien aux victimes, les ministères, les services de police, les agents correctionnels et les fonctionnaires responsables des libérations conditionnelles et de nombreux autres intervenants directs dans le système de justice pénale. Nombre des questions soulevées dans le présent rapport, sinon la totalité, ont été reconnues et débattues sur diverses tribunes consacrées au système de justice pénale au fil des ans. 

Nous croyons qu’il faut faire preuve de leadership à l’échelon fédéral pour veiller à ce que les droits légaux des victimes soient respectés à chaque étape du processus de justice pénale. Plus tôt nous commencerons, plus tôt nous atteindrons un point où chaque victime d’un crime au Canada pourra sentir que notre système de justice pénale fait effectivement ce qu’il est censé faire : offrir un traitement juste et équilibré à tous ceux qui y sont confrontés, y compris les victimes et leur famille.

 

Liste des recommandations de l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels

  1. Recommandation : Supprimer les articles 27, 28 et 29 de la Charte canadienne des droits des victimes, qui interdisent aux victimes d’interjeter appel devant les tribunaux lorsque leurs droits ne sont pas respectés. Modifier la Loi de façon à procurer aux victimes de mécanismes de responsabilisation : premièrement, le mécanisme de contrôle judiciaire; et deuxièmement, le droit administratif à l’examen des décisions de ne pas porter d’accusations.

    Consulter les gouvernements provinciaux, territoriaux et locaux et d’autres intervenants sur le libellé le plus efficace à utiliser dans la Loi pour s’assurer que les victimes peuvent demander des recours judiciaires et administratifs adéquats si elles estiment que leurs droits ont été négligés.

 

  1. Recommandation : Modifier l’article 20 de la Charte canadienne des droits des victimes pour s’assurer que l’interprétation de la Loi exige que tous les représentants reconnaissent les droits de la personne des victimes en ce qui concerne la sécurité de leur personne ainsi que l’accès à la justice et à l’équité procédurale dans l’administration de la justice au Canada.

 

  1. Recommandation : Modifier les articles 6, 7 et 8 de la Charte canadienne des droits des victimes pour s’assurer qu’on adopte une approche proactive de maintien des droits légaux des victimes. Le libellé actuel de ces articles est : « Toute victime a le droit, sur demande, d’obtenir des renseignements en ce qui concerne [...] ». Il faudrait le remplacer par le libellé suivant : « Toute victime recevra automatiquement des renseignements en ce qui concerne [...] ».

 

  1. Recommandation : Modifier la Charte canadienne des droits des victimes pour garantir l’accès des victimes à des services d’assistance ou de soutien. Les articles 14 à 17 de la Déclaration de l’ONU portent sur le droit des victimes à l’assistance médicale, psychologique, juridique et sociale.

 

  1. Recommandation : Élaborer une carte des droits des victimes pancanadienne qui serait automatiquement remise aux victimes par les premiers intervenants et d’autres personnes participant à la prestation de services aux victimes, comme les services de police, d’incendie et d’ambulance, ainsi que les travailleurs correctionnels, les agents de libération conditionnelle, les fournisseurs de services de santé et les travailleurs sociaux et d’autres intervenants. La carte décrirait les droits des victimes prévus dans la Charte canadienne des droits des victimes pour qu’on puisse s’assurer que chaque victime est au courant de ses droits et de la façon de les faire valoir. Les représentants devraient suivre le nombre de cartes remises annuellement et rendre des comptes sur la façon dont ils tiennent les employés responsables de la communication de l’information aux victimes.

 

  1. Recommandation : Modifier la Charte canadienne des droits des victimes pour s’assurer que tous les représentants du système de justice pénale sont chargés de fournir des renseignements sur les programmes de justice réparatrice aux victimes qui signalent des crimes.

 

  1. Recommandation : Modifier la Loi de façon à remplacer « autorités compétentes du système de justice pénale » par une liste des représentants investis de responsabilités directes envers les victimes d’actes criminels, comme les agents de police, les procureurs de la Couronne, les juges et les membres de commission d’examen ainsi que les employés du Service correctionnel du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

 

  1. Recommandation : Modifier le paragraphe 25(2) de la Charte canadienne des droits des victimes de façon à désigner le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels comme seule autorité compétente pour examiner les plaintes des victimes d’actes criminels en ce qui concerne le traitement qu’elles ont reçu d’un ministère, d’une agence ou d’un organisme fédéral.

 

  1. Recommandation : Recueillir de façon uniforme à l’échelle nationale des données sur le traitement des victimes dans le système de justice pénale et mettre à la disposition du public un rapport sur la question. Il faut aligner les indicateurs de données sur les droits énumérés dans la Charte canadienne des droits des victimes afin qu’on puisse suivre et mesurer cette information en vue d’évaluer la façon dont on assure le maintien des droits dans toutes les administrations. Le ministère de la Justice devrait envisager la création d’un groupe de travail sur les données relatives aux victimes qui réunirait des représentants du Ministère et les procureurs généraux des provinces et des territoires, des universitaires et Statistique Canada dans le cadre d’un effort national de collaboration pour atteindre cet objectif.

 

  1. Recommandation : Diriger un effort national pour élaborer une formation sur la responsabilité à l’égard des droits des victimes à l’intention du personnel de justice pénale partout au Canada afin de veiller à l’application de normes nationales pour le traitement des victimes et à ce que tous les membres du personnel comprennent pleinement qu’ils auront pour responsabilité de s’assurer que les victimes ont accès aux droits prévus dans la loi. Évaluer continuellement la formation afin de déterminer son efficacité.

 

  1. Recommandation : Mener une campagne d’éducation publique nationale à la télévision et sur les réseaux sociaux pour informer les Canadiens et les Canadiennes de leurs droits en tant que victimes d’actes criminels. La campagne devrait insister sur le droit des victimes à l’information, car celui‑ci ouvre la voie à l’exercice d’autres droits. Une telle campagne donnerait des moyens d’action aux victimes et permettrait d’accroître leur confiance à l’égard du système de justice pénale.

 

  1. Recommandation : Modifier la disposition relative à l’exécution des ordonnances de dédommagement (article 17) de façon qu’elle indique : Toute victime en faveur de laquelle une ordonnance de dédommagement est rendue a le droit d’obtenir de l’aide pour recouvrer le montant accordé par jugement exécutoire contre le délinquant en cas de défaut de paiement. Ce libellé reconnaît la responsabilité de tous les gouvernements d’aider à l’exécution du dédommagement ordonné par le tribunal, étant donné que les victimes ont le droit de recevoir réparation pour les pertes qu’elles ont subies.

 

  1. Recommandation : Remplacer le dédommagement par la notion de « réparation », plus large. Cela permettrait d’accroître l’accès des victimes à la réparation, car le terme englobe les gestes de réparation symboliques. En outre, une telle modification serait en harmonie avec les changements proposés visant à promouvoir la justice réparatrice. Elle offrirait également la possibilité d’une indemnisation. Selon l’article 12 de la Déclaration de l’ONU, les États devraient s’efforcer d’offrir une indemnisation aux victimes lorsqu’il n’est pas possible d’en obtenir une du délinquant. En tant que membre de l’ONU, le Canada devrait respecter la Déclaration de l’ONU. Le gouvernement fédéral est chargé de veiller à ce que les normes de l’ONU soient respectées.

 

  1. Recommandation : Renforcer et accroître la capacité des organismes de soutien aux victimes en fournissant un financement stable et durable au lieu de financer ponctuellement des projets de durée limitée et d’octroyer des subventions, et évaluer l’efficacité de ces organismes. En outre, prévoir un financement de base durable pour les programmes de justice réparatrice communautaires. Afin d’accroître les fonds pouvant être distribués par l’intermédiaire du Fonds d’aide aux victimes du ministère de la Justice du Canada, on devrait diriger un modeste pourcentage des amendes infligées au moment de la détermination de la peine dans des affaires relatives à des infractions relevant de la compétence fédérale (p. ex. les amendes environnementales imposées à des sociétés ou des amendes infligées à des organisations du crime organisé) vers le Fonds.

 

  1. Recommandation : Créer un service national de soutien aux victimes d’actes criminels afin de leur fournir des renseignements sur leurs droits ainsi qu’une ligne d’aide et d’information accessible gratuitement à l’échelle nationale, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Cet organisme, analogue à Victim Support Europe, travaillerait à la promotion des droits des victimes à l’échelle du Canada et pourrait collaborer avec les lignes d’aide provinciale existantes. Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels pourrait assumer la responsabilité d’assurer le fonctionnement de cette ligne d’aide.

 

Annexe A

  1. Exemple de carte recto verso sur les droits des victimes pour les agents de police par la GRC de la Colombie‑Britannique (2019)


  2. Association québécoise Plaidoyer‑Victimes, brochure d’information sur la Charte canadienne des droits des victimes, 2018.

 

Notes de fin de document

[a] Les modifications connexes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition n’ont pris effet que le 1er juin 2016. 

[b] Lorsqu’un accusé est jugé non criminellement responsable ou inapte à subir un procès, la détermination de sa peine est renvoyée à une commission d’examen en vertu de l’article 672.38 du Code criminel. Un juge préside ces commissions, et quatre autres personnes y siègent, dont au moins une qui est autorisée à pratiquer la psychiatrie. 

[c]Le Code criminel contient un certain nombre de dispositions visant à protéger les jeunes victimes et les témoins âgés de moins de 18 ans et à faciliter leur témoignage. Il prévoit des mesures qui facilitent le témoignage des victimes et des témoins dans le cadre d’affaires criminelles :

  1. les jeunes victimes et témoins peuvent être accompagnés d’une personne de confiance qui saura les mettre à l’aise au moment de leur témoignage (paragraphe 486.1[1]);
  2. les jeunes victimes et témoins peuvent présenter leur témoignage à l’extérieur de la salle d’audience, par télévision en circuit fermé, ou à l’intérieur de la salle d’audience, mais derrière un écran, de façon qu’ils ne voient pas l’accusé (paragraphe 486.2[1]);
  • on peut nommer un avocat pour le contre‑interrogatoire d’un jeune témoin lorsque l’accusé se représente lui-même (paragraphe 486.3[1]);
  1. on peut rendre une ordonnance de non‑publication pour empêcher la publication ou la diffusion par quelque moyen que ce soit de renseignements qui permettraient d’établir l’identité de la victime ou d’un témoin (paragraphes 486.4 et 486.5);
  2. les dépositions prises auprès de jeunes victimes et témoins peuvent être enregistrées sur bande vidéo et introduites en preuve au procès dans le but de leur épargner de répéter leur témoignage à l’occasion du procès (article 715.1);
  3. on peut rendre une ordonnance d’exclusion pour qu’un membre ou l’ensemble du public quitte la salle d’audience si le juge ou le juge de paix qui préside est d’avis que la mesure est (article 486) :
  • dans l’intérêt de la moralité publique;
  • dans l’intérêt du maintien de l’ordre;
  • dans l’intérêt de la bonne administration de la justice; ou
  • nécessaire pour éviter toute atteinte aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. 

[d] Une description complète des droits de l’accusé garantis par la Charte figure au https://www.justice.gc.ca/fra/sjc-csj/dlc-rfc/ccdl-ccrf/check/art10.html

 

[1] Marie Manikis, « Navigating Through an Obstacle Course: The Complaints Mechanism for Victims of Crime in England and Wales », Criminology and Criminal Justice, vol. 12, no 2 (avril 2012), p. 149‑173, https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1748895811424765

[2] Canada, ministère de la Justice, Le rapport final sur l’examen du système de justice pénale du Canada, 2019, https://www.justice.gc.ca/fra/jp-cj/tsjp-tcjs/rf-fr/p2.html

[3] Canada, Réclamer notre pouvoir et notre place : le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, vol. 1a, Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, juin 2019, p. 136, https://www.mmiwg-ffada.ca/fr/final-report/

[4] Canada, Charte canadienne des droits des victimes, 2015, C‑32, art. 2.1, https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/41-2/projet-loi/C-32/sanction-royal/page-65#12

[5] Canada, Bureau du Conseil privé, Lois et règlements : l’essentiel, 2001, chap. 2.6, https://www.canada.ca/fr/conseil-prive/services/publications/lois-reglements-essentiel.html

[6] Canada, Statistique Canada, Programme de déclaration uniforme de la criminalité, 2018, https://www23.statcan.gc.ca/imdb/p2SV_f.pl?Function=getSurvey&SDDS=3302

[7] Canada, Statistique Canada, Enquête intégrée sur les tribunaux de juridiction criminelle, 30 octobre 2019, https://www.statcan.gc.ca/fra/enquete/entreprise/3312

[8] Tara Carman, « Women, children turned away from shelters in Canada almost 19,000 times a month », CBC News, 5 mars 2020, https://www.cbc.ca/news/canada/womens-shelters-turned-away-domestic-violence-1.5483186

[9] Canada, Table ronde nationale des droits des victimes dans le système correctionnel fédéral et de mise en liberté sous condition et le droit à la protection, septembre 2019,https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/ntnl-ffc-vctms-rndtbl-2019-09/index-fr.aspx

[10] Canada, Charte canadienne des droits des victimes, 2015, C‑32, paragr. 25(2), https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/41-2/projet-loi/C-32/sanction-royal/page-65#12

[11] Nations Unies, « Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir », Recueil des règles et normes de l’Organisation des Nations Unies en matière de prévention du crime et de justice pénale, 1985, résolution 40/34, https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/VictimsOfCrimeAndAbuseOfPower.aspx

[12] Déclaration, 1985.

[13] Irvin Waller, Crime Victims: Doing Justice to Their Support and Protection, HEUNI, 2003, http://irvinwaller.org/wp-content/uploads/2010/12/CrimeVictimsDoingJustice_en.pdf.

[14] Canada, ministère de la Justice, « Déclaration canadienne de 2003 des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité », 2003, https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/03/princ.html

[15] Canada, ministère de la Justice, Le rapport final sur l’examen du système de justice pénale du Canada, 2019, https://www.justice.gc.ca/fra/jp-cj/tsjp-tcjs/rf-fr/p2.html

[16] Canada, Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, « Ce que nous avons entendu : Forums communautaires tenus à Yellowknife les 11 et 12 mars 2020 ». 

[17] Canada, Charte canadienne des droits des victimes, L.C. 2015, ch. 13, paragr. 5(a), https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-23.7/page-1.html

[18]Ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels, lettre adressée au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 5 décembre 2019, https://victimesdabord.gc.ca/vv/ipp-ipp/index.html

[19] « Marsy’s Resource Card », remise aux victimes par le bureau du procureur général, État de la Californie, département de la Justice, https://oag.ca.gov/sites/all/files/agweb/pdfs/victimservices/marsy_pocket_en_res.pdf

[20] Association québécoise plaidoyer‑victimes, « Capsule vidéo sur la Charte canadienne des droits des victimes », https://aqpv.ca/publications/capsule-video-sur-la-charte-canadienne-des-droits-des-victimes/. 

[21] Edna Erez, « Victim Participation in Sentencing: Rhetoric and Reality », Journal of Criminal Justice, vol. 18, no 1 (décembre 1990), p. 19‑31, https://www.researchgate.net/publication/222118793_Victim_participation_in_sentencing_Rhetoric_and_reality.  

[22] Alex Lloyd et Jo Borril, « Examining the Effectiveness of Restorative Justice in Reducing Victims’ Post‑Traumatic Stress », Psychological Injury and Law, vol. 13, no 1 (mars 2020), p. 77‑89. 

[23] Nations Unies, « Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir », Recueil des règles et normes de l’Organisation des Nations Unies en matière de prévention du crime et de justice pénale, 1985, résolution 40/34, article 7, https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/VictimsOfCrimeAndAbuseOfPower.aspx

[24] A. Loyd et J. Borril, « Examining the Effectiveness of Restorative Justice in Reducing Victims’ Post‑Traumatic Stress », Psychological Injury and Law, vol. 13 (2020), p. 77‑89. 

[25] Marie Manikis, « Where Are the Rights in the Proposed Victims Bill? », The Globe and Mail, 7 avril 2014. 

[26] Marie Manikis, « Expanding Participation: Victims as Agents of Accountability in the Criminal Justice Process », 2017, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2997559&download=yes

[27] Canada, Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Inventory of victim‑related data and information needs (étude de faisabilité), 2016. 

[28] Benjamin Roebuck, « Resilience and Survivors of Violent Crime », projet financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, 2015‑2019. 

[29] Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, Directive 2012/29/UE, 25 octobre 2012, paragr. 61, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32012L0029

[30] Canada, Code criminel du Canada, 1985, C‑46, paragr. 722(2), https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-46/page-187.html

[31] Jo‑Anne Wemmers, Marie Manikis et Diana Sitoianu, Le dédommagement dans le contexte de la justice pénale, rapport de recherche, ministère de la Justice du Canada, juin 2017, https://www.cicc-iccc.org/public/media/files/prod/onglet_files/8/Dedommagement5-1.pdf.

 

 

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