Le droit à l’information comme point d’entrée : Examen des plaintes liées à la Charte canadienne des droits des victimes
Janvier 2021
Rédaction :
Heidi Illingworth, Ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels
et
Nadia Ferrara, Ph. D., directrice exécutive, Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels
CONTEXTE
Il a fallu attendre 2015 pour que les droits des victimes d’actes criminels soient inscrits dans une loi fédérale canadienne complète, la Charte canadienne des droits des victimes (la CCDV). La CCDV définit une victime comme un particulier qui a subi des dommages – matériels, corporels ou moraux – ou des pertes économiques par suite de la perpétration ou prétendue perpétration d’une infraction (CCDV 2015). Elle confère aux victimes des droits qui s’appliquent dans l’ensemble du système de justice pénale, depuis l’enquête et la poursuite jusqu’au système correctionnel et la mise en liberté sous condition au Canada, en passant par les procédures devant les tribunaux et les commissions d’examen pour les accusés déclarés non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux ou inaptes à subir leur procès (CCDV 2015). La CCDV a donné à toutes les victimes dans le système de justice pénale le droit de recevoir des renseignements sur l’état d’avancement de l’affaire qui les concerne, le droit à la protection, le droit de participer à des processus qui influent sur leurs droits et de faire connaître leur point de vue à cet égard, le droit de demander un dédommagement, ainsi que le droit de déposer une plainte pour atteinte à leurs droits (BOFVAC 2020a). À l’époque, les rédacteurs de la CCDV croyaient qu’elle donnerait aux victimes la possibilité de jouer un plus grand rôle dans le système de justice pénale, un meilleur accès à l’information, une plus grande prise en compte de leur sécurité et une plus grande accessibilité à un dédommagement (Perrin 2017).
Pourtant, malgré la promulgation de cette loi fédérale quasi constitutionnelle, les victimes dans le système de justice pénale canadien continuent de signaler au Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels (BOFVAC) qu’elles ne sont pas suffisamment informées de leurs droits et des services à leur portée. Cela illustre on ne peut mieux à quel point l’adoption d’une loi « en théorie » est différente de sa mise en œuvre « en pratique » (BOFVAC 2020a), car le personnel du système de justice pénale continue de négliger ou d’écarter systématiquement les besoins légitimes des victimes.
Le droit à l’information est un droit fondamental qui ouvre la voie à l’exercice d’autres droits; sans lui, les victimes ne peuvent faire valoir ni réellement exercer les autres droits énoncés dans la loi (Perrin 2017). Par exemple, une victime ne peut exercer son droit de faire connaître son point de vue au décideur si elle n’est pas informée de la date à laquelle se déroule la procédure (Perrin 2017). La recherche en victimologie est concluante. En effet, de nombreuses études soulignent l’importance de l’information pour les victimes et la nécessité qu’elles obtiennent des renseignements oraux et écrits opportuns et concis concernant leurs droits, les procédures du système judiciaire et les services aux victimes. Comme le souligne Mme Manikis (2015, 167), il a été démontré que si les victimes ne sont pas informées de l’état d’avancement de leur cas, une victimisation secondaire peut souvent avoir lieu. Selon les victimes qui ont communiqué avec le BOFVAC, être tenues au courant du processus pénal demeure l’un de leurs plus grands besoins. Malheureusement, nombre d’entre elles sont tenues à l’écart à tous les stades de la procédure pénale, ce qui fait augmenter leur niveau de stress et leur sentiment d’impuissance.
Il est primordial de reconnaître que l’information se présente sous diverses formes et qu’ainsi, la victime a le droit d’être informée des faits tout comme des aspects informels du processus de justice pénale (Fenwick 1995; Manikis 2015). Les données factuelles concernent les différentes étapes du processus judiciaire pénal, comme les audiences sur le cautionnement, les appels de sentence et la mise en liberté, tandis que les aspects informels se rattachent davantage aux explications et au raisonnement qui sous-tendent les décisions essentielles (Manikis 2015, p. 168). Il importe de bien définir les différentes formes de renseignements afin que les victimes sachent quelle information demander et quel genre de renseignements elles peuvent s’attendre à recevoir des divers organismes (Manikis 2015). Ces éclaircissements réduiront ainsi l’ambiguïté pour les victimes en quête d’information.
Malheureusement, la CCDV n’oblige pas les autorités de justice pénale à renseigner d’office les victimes sur leurs droits ou à leur fournir d’autres renseignements généraux au sujet de l’enquête, de la poursuite, de l’accusé ou du délinquant; ces renseignements sont fournis uniquement « sur demande » (CCDV 2015). Le fardeau de demander des renseignements et d’être tenues au courant de l’état d’avancement de leur dossier repose sur les victimes et les survivants traumatisés à chaque étape de leur parcours au sein du système de justice pénale. De nombreuses victimes ignorent tout simplement quoi demander ou supposent que les représentants leur accorderont les droits en vertu de la loi.
Bien que répondre aux besoins des victimes d’actes criminels soit une responsabilité que se partagent les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux au Canada (ministère de la Justice 2015), la CCDV ne précise pas qui sont les représentants du système de justice pénale directement responsables du maintien des droits des victimes (BOFVAC 2020a). La CCDV impose plutôt aux responsables du système de justice pénale l’obligation de faire respecter les droits des victimes (Perrin 2017). Or, en ne précisant pas quels représentants sont obligés de fournir des renseignements, c’est comme si personne n’avait cette responsabilité. Ainsi, en pratique, les renseignements sur les droits des victimes ne sont pas fournis de façon constante au Canada (BOFVAC 2020a). Dans le présent rapport, nous examinerons la plainte que les victimes et les survivants adressent le plus souvent au BOFVAC concernant la CCDV, à savoir le non‑respect de leur droit à l’information.
CONTEXTE JURIDIQUE
La Charte canadienne des droits des victimes (2015) prévoit ce qui suit :
- Toute victime a le droit, sur demande, d’obtenir des renseignements en ce qui concerne : a) le système de justice pénale et le rôle que les victimes sont appelées à y jouer; b)les services et les programmes auxquels elle a accès en tant que victime, notamment les programmes de justice réparatrice; c) son droit de déposer une plainte pour la violation ou la négation d’un droit qui lui est conféré par la présente loi.
Enquête et procédures
- Toute victime a, sur demande, le droit d’obtenir des renseignements en ce qui concerne : a)l’état d’avancement et l’issue de l’enquête relative à l’infraction; b) les date, heure et lieu où se déroulent les procédures relatives à l’infraction, leur état d’avancement et leur issue.
Renseignements concernant le délinquant ou l’accusé
- Toute victime a, sur demande, le droit d’obtenir des renseignements en ce qui concerne : a)tout examen prévu par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition concernant la mise en liberté sous condition du délinquant et concernant le moment et les conditions de celle-ci; b) toute audience tenue pour déterminer la décision, au sens du paragraphe 672.1(1) du Code criminel, à rendre à l’égard d’un accusé déclaré inapte à subir son procès ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux et la décision qui a été rendue.
PRÉOCCUPATIONS
L’une des principales préoccupations concernant la CCDV est qu’elle ne prévoit aucune obligation d’informer d’office les victimes de leurs droits. En revanche, les articles 10 et 11 de la Charte canadienne des droits et libertés accordent au suspect détenu ou arrêté des garanties juridiques immédiates, notamment le droit d’être informé des motifs de son arrestation et le droit à l’assistance d’un avocat.
Les victimes d’actes criminels, quant à elles, doivent demander à la police et aux autres autorités quels sont leurs droits et doivent solliciter des renseignements à chaque étape de la procédure. Comment une victime ou un survivant est-il censé savoir qu’il a des droits? Est‑il juste de s’attendre à ce qu’un survivant qui vient de subir un traumatisme connaisse les méandres du système judiciaire ou ses droits dans ce système si l’État n’a pas pris l’initiative de l’en informer?
LA SITUATION ACTUELLE
Les victimes d’actes criminels méritent d’être informées lorsque les délinquants sont incarcérés ou lorsqu’une mise en liberté conditionnelle ou une autre forme de liberté provisoire est envisagée. Toutefois, à l’heure actuelle, les victimes doivent demander ces renseignements. Bien que certains programmes provinciaux de soutien aux victimes aient pour mandat d’informer les victimes de leurs droits à ce chapitre (la Nouvelle-Écosse en est un exemple), il reste que les victimes doivent s’inscrire elles‑mêmes auprès du Service correctionnel du Canada (SCC) ou de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) pour recevoir des renseignements au sujet de leur cas. La politique fédérale actuelle part du principe qu’il serait contraire à la vie privée d’une victime (et peut-être bouleversant sur le plan émotionnel) de communiquer avec elle au sujet du délinquant qui lui a fait du mal ou au sujet de ses droits, comme le droit de prendre part aux audiences ou d’exprimer ses préoccupations concernant sa protection. Le BOFVAC estime que cette interprétation est contraire à l’esprit de la loi et renforce les obstacles à la mise en œuvre des droits des victimes (BOFVAC 2020a).
Il n’est pas surprenant que le nombre de victimes qui s’informent sur le délinquant qui leur a causé du tort soit plutôt faible par rapport au nombre de personnes incarcérées au Canada. Les chiffres nous disent aussi que cette méthode ne fonctionne pas. Par exemple, si nous examinons les données des services correctionnels et des libérations conditionnelles en 2018-2019, nous savons qu’on recensait quelque 23 000 délinquants sous responsabilité fédérale. Or, seules 8 500 victimes se sont inscrites pour recevoir des renseignements sur leur cas (Sécurité publique Canada 2019). L’absence d’une approche proactive nuit à l’accès des victimes à leurs droits tout au long du continuum de justice pénale (BOFVAC 2020a).
Tant le SCC que la CLCC exigent actuellement que les victimes s’inscrivent elles‑mêmes pour recevoir des renseignements sur les délinquants qui leur ont causé du tort. Ces organisations devraient prévoir l’inscription d’office des victimes et des survivants afin qu’ils reçoivent ces renseignements et se voient offrir la possibilité de « s’inscrire » ou de « s’exclure » et de décider si l’inscription est à tout moment dans leur intérêt supérieur (BOFVAC 2020a).
VOIX DES VICTIMES – ANALYSE DES DONNÉES DU BOFVAC
Le BOFVAC a pour mandat d’examiner les plaintes déposées par les victimes d’actes criminels concernant la manière dont elles sont traitées dans le système de justice pénale fédéral. Depuis l’entrée en vigueur de la CCDV en 2015 jusqu’en décembre 2020, le BOFVAC a reçu 407 plaintes liées aux droits garantis aux victimes par la CCDV (tableau 1). De ce nombre, 168 portaient sur le droit à l’information, 65 sur le droit de participation, 57 sur le droit à la protection, 30 sur le droit au dédommagement et 87 sur des questions de recours.
Il n’est donc pas surprenant que 168 plaintes concernent le droit à l’information, car celui‑ci est un droit fondamental qui ouvre la voie à l’exercice d’autres droits (BOFVAC 2020a). Sans accès véritable à l’information, les victimes et les survivants ne peuvent tout simplement pas exercer les autres droits que leur garantit la loi, comme le droit de participation, le droit à la protection et le droit au dédommagement, parce qu’ils ne sont pas au courant de ces droits. Notre expérience de première ligne avec les survivants nous enseigne que de nombreuses victimes ignorent tout simplement l’existence de la CCDV ou des droits qu’elle leur confère. Ainsi, elles s’adressent souvent au BOFVAC pour s’informer de la nature de leurs droits, surtout en ce qui concerne le SCC, la CLCC et le délinquant qui leur a causé du tort.
DONNÉES DU BOFVAC – TABLEAU 1 :
Nombre total de plaintes liées à la CCDV reçues par le BOFVAC (avril 2015 à décembre 2020)
Droit à l’information |
168 |
Droit de participation |
65 |
Droit à la protection |
57 |
Droit au dédommagement |
30 |
Recours |
87 |
TOTAL DES PLAINTES |
407 |
Bon nombre de survivants qui communiquent avec le BOFVAC affirment que les autorités de justice pénale, comme la police, les tribunaux, les services aux victimes ou le SCC/la CLCC, ne respectent pas leur droit fondamental à l’information. Le tableau 2 présente les organismes de justice pénale faisant l’objet de plaintes par des victimes. La triste réalité est que la plupart des victimes d’actes criminels ne connaissent pas le BOFVAC ou ignorent qu’elles ont le droit de déposer une plainte lorsqu’il y a eu atteinte à leurs droits.
DONNÉES DU BOFVAC – TABLEAU 2 :
Droit à l’information – Répartition des plaintes par organisme de justice pénale (avril 2015 à décembre 2020)
Organisme de justice pénale |
Nombre de plaintes |
Police/GRC |
33 |
Tribunaux/procès |
33 |
Services aux victimes/Dédommagement |
52 |
SCC/CLCC |
50 |
TOTAL DES PLAINTES |
168 |
Dans le tableau 3 ci-dessous, le BOFVAC a mené une analyse qualitative des 168 plaintes reçues concernant le droit à l’information, et nous avons relevé les plaintes les plus fréquentes.
DONNÉES DU BOFVAC – TABLEAU 3 :
Plaintes les plus fréquentes relatives au droit à l’information :
1 |
Les représentants fournissent les renseignements, y compris le suivi, trop tard ou après coup[1]. |
2 |
L’information est confuse, difficile à comprendre[2]. |
3 |
Les victimes ignorent qu’elles doivent s’inscrire elles‑mêmes pour recevoir des renseignements du SCC ou de la CLCC[3]. |
4 |
Difficultés de communication avec les différents représentants[4]. |
5 |
Les renseignements ne sont pas fournis du tout aux victimes ou le sont en retard[5]. |
6 |
Les renseignements sont assujettis à des restrictions législatives[6]. |
7 |
Les renseignements personnels du délinquant sont protégés et ne peuvent être divulgués à la victime, alors que les représentants doivent communiquer au délinquant les renseignements sur la victime, comme sa déclaration[7]. |
8 |
Les victimes ne reçoivent aucun renseignement sur le moyen de faire un suivi sur les ordonnances de dédommagement rendues dans leur dossier ou de les exécuter[8]. |
9 |
Les victimes reçoivent très peu de renseignements sur les renvois du Canada et le processus en question (déportation en cas de criminalité)[9]. |
10 |
Uniformité variable des renseignements fournis en raison du roulement du personnel[10]. |
Le fait que les victimes d’actes criminels ne soient pas systématiquement informées de leurs droits au Canada est une dure réalité qui commande une attention et des mesures correctrices immédiates de la part de tous les représentants concernés.
LA NÉCESSITÉ D’OBTENIR DES RENSEIGNEMENTS
La recherche en victimologie révèle que les victimes d’actes criminels ressentent le besoin d’être informées de leurs droits, des services dont elles peuvent bénéficier et de l’échéancier prévu relativement au processus judiciaire (Waller 2011; Manikis 2015). Les renseignements oraux et écrits sur leurs droits, le processus judiciaire et les services aux victimes doivent être opportuns, clairs et concis.
Les policiers et les représentants des forces de l’ordre, premiers intervenants en cas d’actes criminels et de violence, jouent un rôle particulièrement critique lorsqu’ils informent les victimes de leurs droits. Nous savons que des citoyens pleinement informés des droits que leur garantit la loi sont moins marginalisés. Les renseignements donnent de l’emprise aux victimes et aux survivants de la criminalité puisqu’ils leur permettent de reprendre un certain contrôle de leur situation. Les survivants ont la possibilité de définir leur propre rôle dans le système judiciaire et de décider des étapes à suivre (Waller 2011). Bon nombre de victimes choisissent la justice réparatrice en vue d’obtenir davantage de renseignements sur ce qui s’est passé, et pourquoi. Malheureusement, les forces de l’ordre peuvent elles aussi contribuer à la victimisation secondaire des victimes lorsqu’elles ne leur fournissent pas les renseignements nécessaires dans le cadre de leurs fonctions (Waller 2011). Comme la CCDV n’exige pas qu’on informe d’office toutes les victimes de leurs droits, il revient aux policiers de communiquer cette information, ce qui est fait de façon inégale dans les provinces et territoires (BOFVAC 2020a).
Dans d’autres États, les représentants des forces de l’ordre sont chargés d’informer les victimes de leurs droits et des services de soutien à leur disposition. En Californie, par exemple, la carte de Marsy a été créée pour fournir ces renseignements essentiels aux victimes. Cette carte contient des articles précis de la charte des droits des victimes de l’État et une liste des ressources destinées aux victimes. De nombreux états américains ont emboîté le pas et adopté la carte de Marsy pour veiller à ce que les victimes soient bien informées et puissent exercer leurs droits. Au Canada, un exemple de cette pratique est la carte de portefeuille CCDV créée et distribuée par la division de la GRC en Colombie‑Britannique, mais nous ignorons à quelle fréquence elle est distribuée aux victimes et si ces dernières sont mieux informées en conséquence (BOFVAC 2020a).
Si on tâchait promptement de procurer aux victimes d’actes criminels l’information dont elles ont besoin au sujet du système de justice pénale et de leurs droits, et de les aider à communiquer avec des organismes publics et privés de soutien aux victimes, la différence serait énorme. En plus de favoriser chez les victimes une meilleure guérison et un meilleur rétablissement, ces mesures portent également un message très fort de solidarité sociale (BOFVAC 2020a). Nous ne devons pas nous en remettre au bon vouloir des professionnels lorsqu’il s’agit des droits des victimes. Il faut plutôt donner aux autorités de justice pénale le mandat d’informer les victimes et les survivants de leurs droits de recevoir des renseignements.
CONSIDÉRATIONS ESSENTIELLES
À l’heure actuelle, la CCDV n’assure pas un accès équitable à la justice à toutes les victimes d’actes criminels, principalement parce que les représentants n’informent pas d’office les victimes de leurs droits. La loi est libellée de manière à imposer aux victimes le fardeau de connaître, de comprendre et de faire valoir leurs droits. Pour qu’une victime demande de l’information ou s’inscrive elle-même auprès de divers organismes, il faut d’abord qu’elle se perçoive comme une victime et pas seulement comme une personne qui a subi un traumatisme (BOFVAC 2020a). Pour bien des gens, cette tâche n’est pas facile et ne fait qu’alourdir leur expérience de vie déjà accablante.
L’inégalité dans le traitement et l’accès à la justice de base (signalement des actes criminels, recherche d’aide, participation aux procès) sont fonction de nombreux facteurs, comme un faible statut socioéconomique, des barrières culturelles et linguistiques ou des contraintes géographiques (McDonald 2019; Martin 2020). Nous savons également que certaines populations vulnérables, à savoir les victimes de violence sexiste et les Autochtones, sont surreprésentées dans le système judiciaire, tant comme délinquants que comme victimes (Press 2019; McDonald 2019). La réticence des victimes à s’enquérir de leurs droits peut s’expliquer par le traumatisme subi, mais aussi par des obstacles ou d’autres problèmes qui les ont amené à se méfier des figures d’autorité. C’est le cas notamment de nombreux membres de communautés minoritaires et autochtones qui ont toujours été confrontés à des formes systémiques et autres de discrimination. Les nouveaux Canadiens et les nouvelles Canadiennes peuvent aussi y voir des obstacles s’ils arrivent de pays où les autorités gouvernementales sont perçues uniquement comme des oppresseurs à craindre, et non comme des fournisseurs d’aide et de soutien (BOFVAC 2020a).
Selon une récente recherche pancanadienne auprès de survivants de crimes violents, la nature du crime et de la victime peut aussi influer sur l’inégalité de l’expérience vécue par les survivants. Les participants à l’enquête Resilience and Survivors of Violent Crime étaient généralement insatisfaits du système de justice, dont moins de la moitié d’entre eux ont déclaré qu’on les avait tenus informés de leur cas, que la police ou le procureur de la Couronne avaient respecté leur opinion ou que la police avait protégé leur sécurité, leur identité et leur vie privée (Roebuck et al., 2020). Seulement un peu plus de la moitié s’estimaient crus par la police et le procureur de la Couronne. Ce sont dans les cas d’homicide que les personnes avaient le plus de chances d’être tenues informées, tandis que les cas impliquant des hommes victimes de violence conjugale ont obtenu les scores de satisfaction les plus bas dans toutes les catégories (Roebuck et al., 2020).
Garantir un accès égal à la justice signifie que les représentants de la justice pénale doivent avoir pour responsabilité d’informer de ses droits toute victime de crime contre les biens ou la personne. Une approche proactive de maintien des droits des victimes est nécessaire et permettrait de veiller à ce que celles‑ci reçoivent automatiquement des renseignements sur leurs droits au lieu de devoir en faire la demande et à ce que tous les intervenants du système de justice pénale comprennent que la loi les oblige à tenir les victimes informées de leurs droits en matière d’information, de protection, de participation et de dédommagement (BOFVAC 2020a).
AUTRES CONSÉQUENCES
La pandémie de COVID‑19 a dressé de nouveaux obstacles à la participation des victimes et à leur accès à la justice. Avec l’éloignement physique, les restrictions de voyage et les confinements mis en place pour enrayer la propagation de COVID‑19 au Canada, les droits des victimes ont été négligés. Par exemple, en mars 2020, la CLCC a annulé la présence d’observateurs aux audiences de la Commission des libérations conditionnelles pour se conformer aux mesures de prévention de la COVID‑19 (BOFVAC 2020b), ce qui a soulevé un tollé. Bien que les victimes aient le droit de participer aux audiences et de faire connaître leur point de vue, comme le prévoit la CCDV, la CLCC a tardé à mettre à jour sa technologie pour inclure les victimes, comme l’ont fait d’autres tribunaux et cours. Sous la pression d’une déclaration publiée par le BOFVAC, ainsi que de plaintes de victimes et de mesures de sensibilisation, la CLCC a finalement mis en place un logiciel de téléconférence.
La crise de santé publique causée par la COVID‑19 a également nui aux victimes de violence sexuelle fondée sur le genre en raison des retards judiciaires (Dhaliwal 2020). Les intervenants et policiers de première ligne dans la lutte contre la violence ont signalé une augmentation des crimes motivés par l’isolement, comme la violence entre partenaires intimes, partout au Canada (Barbra Schlifer Commemorative Clinic 2020); pourtant, le gouvernement fédéral n’a fait aucun effort de sensibilisation pancanadien à grande échelle pour informer les victimes de leurs droits et des services à leur disposition, y compris la justice réparatrice.
On peut aussi attribuer la sous-utilisation de la justice réparatrice (JR) au Canada à un manque d’information sur de tels programmes offerts aux victimes d’actes criminels. À l’heure actuelle, les représentants du système de justice pénale n’ont pas pour mandat d’informer les victimes d’actes criminels des programmes de justice réparatrice (BOFVAC 2020a). Là encore, ces renseignements ne sont fournis aux victimes que « sur demande » (CCDV 2015). Il faudrait informer les victimes de toutes les options dès qu’elles signalent un crime. Les programmes de justice réparatrice communautaires visent à offrir aux victimes et aux délinquants l’occasion de se réunir pour chercher une solution qui oblige les délinquants à assumer leurs actes, qui mène à la réparation des préjudices et qui contribue à prévenir d’autres crimes, préjudices et incidents de victimisation (BOFVAC 2020a).
La JR répond mieux aux besoins des victimes et entraîne un taux de satisfaction plus élevé que les moyens offerts par le système judiciaire traditionnel (ministère de la Justice 2018). Bien que les intervenants de la justice pénale soient sensibilisés à la JR et que les victimes soient de plus en plus intéressées par cette initiative, il est plutôt rare que les victimes reçoivent des renseignements suffisants au sujet des programmes de JR ou qu’elles soient orientées vers ces programmes (McDonald 2019). Ainsi, nous observons toujours une sous‑utilisation de la JR, malgré des recherches bien documentées donnant à penser qu’elle offre des avantages psychologiques, ainsi qu’une meilleure capacité d’agir et une plus grande autonomisation des victimes (Vanfraechem et al., 2015; Wemmers 2017; Martin 2020).
CONCLUSION
Cinq ans après la promulgation de la Charte canadienne des droits des victimes, le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels reçoit encore un grand nombre de plaintes sur la façon dont les droits à l’information des victimes sont mis en œuvre dans la pratique. Les victimes affirment ne pas être informées de leurs droits ou des services qui leur sont offerts à toutes les étapes du processus judiciaire.
Le droit à l’information est un droit fondamental pour les victimes et les survivants. Il est la porte d’entrée qui facilite l’accès à la justice et la participation à des processus qui touchent directement la sécurité et les intérêts financiers des victimes. Comme les victimes d’actes criminels sont le plus souvent des citoyens vulnérables et marginalisés, les renseignements fournis par les représentants du système de justice pénale peuvent changer leur vie. Les citoyens sont moins marginalisés s’ils sont informés de leurs droits et peuvent choisir la voie qu’ils souhaitent emprunter. Fournir des renseignements, c’est donner du pouvoir aux citoyens, et les représentants du système de justice pénale doivent être tenus responsables à cet égard. De fait, on s’attend de plus en plus à ce que l’administration de la justice pénale au Canada se fasse dans le respect des victimes d’actes criminels et de leurs droits fondamentaux.
Références
Barbara Schlifer Commemorative Clinic. Re: United Nations Special Rapporteur on violence against women Call for submissions: COVID-19 and the increase of domestic violence against women. https://schliferclinic.com/wp-content/uploads/2020/07/UN-Submission-re-COVID-19-and-VAW-June-30-2020-1.pdf. Consulté le 29 décembre 2020.
Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels. Mise à jour : Déclaration de l’ombudsman concernant la présence des victimes aux audiences de la Commission des libérations conditionnelles du Canada pendant la pandémie de COVID-19, gouvernement du Canada, 2020b. https://www.victimesdabord.gc.ca/media/nouv-news/cp-nr/2020/20200324.html. Consulté le 15 décembre 2020.
Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels. Rapport d’étape : La Charte canadienne des droits des victimes, gouvernement du Canada, 2020a. https://victimesdabord.gc.ca/res/pub/reccdv-prcvbr/index.html. Consulté le 15 décembre 2020.
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Dhaliwal, Taz. Experts discuss impact of Covid-19 court delays on sexual assault victims. Global News, 21 septembre 2020. https://globalnews.ca/news/7349453/covid-19-alberta-court-delays-sexual-assault-victims/. Consulté le 18 décembre 2020.
Fenwick, Helen. Rights of Victims in the Criminal Justice System: Rhetoric or Reality? Criminal Law Review, 843: 846-847, 1995.
Gavrielides, Theo. Bringing Race Relations into the Restorative Justice Debate: An Alternative and Personalized Vision of “the Other”. Journal of Black Studies, 45 (3), 216–246, 2014. https://doi.org/10.1177/0021934714526042. Consulté le 18 décembre 2020.
Manikis, Marie. Imagining the Future of Victims’ Rights in Canada. Ohio State Journal of Criminal Law, 13:163-186, 2015.
Martin, Rachel. Policy Briefing Note on the Canadian Victim Bill of Rights (CVBR). Document non publié pour un cours à la Factor-Inwentash Faculty of Social Work, Toronto : Université de Toronto, le 20 novembre 2020.
McDonald, Susan. Victimes d’actes criminels – Recueil de recherches nº 12, ministère de la Justice Canada, 2019. https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/rr12-rd12/rr12-rd12.pdf. Consulté le 30 décembre 2020.
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Press, Jordan. Measures to protect victims’ rights don’t go far enough, federal watchdog says. Global News, 19 janvier 2020. https://globalnews.ca/news/4839034/mcclintic-victims-rights-watchdog/. Consulté le 23 décembre 2020.
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Vanfraechem, Inge, Daniela Bolívar Fernández et Ivo Aertsen. Victims and Restorative Justice. Londres : Routledge, 2015. https://doi-org.myaccess.library.utoronto.ca/10.4324/9780203070826. Consulté le 17 décembre 2020.
Waller, Irvin. Rebalancing Justice: Rights for Victims of Crime. Plymouth : Rowman & Littlefield Publishers, 2011.
Wemmers, Jo-Anne. « Le jugement des victimes : des options réparatrices pour les victimes de violence sexuelle », Victimes d’actes criminels – Recueil de recherches nº 10, 2017. https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/rr10-rd10/rr10-rd10.pdf. Consulté le 16 décembre 2020.
[1] Par exemple, les renseignements sont communiqués après la libération d’un accusé en détention provisoire ou après la date de libération d’un délinquant sur laissez-passer médical ou autre permission de sortir, etc.
[2] Par exemple, les plaintes portent couramment sur le plan correctionnel ou sur les mises à jour annuelles des progrès du délinquant envoyées par le SCC.
[3] L’auto-inscription peut faire en sorte que certaines victimes manquent la possibilité de participer aux décisions de mise en liberté sous condition ou qu’elles découvrent après coup qu’un délinquant a déjà été libéré de prison.
[4] Les victimes se plaignent d’avoir à talonner les professionnels pour obtenir des renseignements sur leur cas. Une victime a affirmé, au sujet des communications sur une audience de mise en liberté sous condition, qu’elles avaient été très mal gérées et que pratiquement aucun renseignement sur son déroulement n’avait été fourni.
[5] Les plaintes reçues concernent souvent des appels, c’est-à-dire les cas où les délinquants comparaissent devant les tribunaux pour interjeter appel d’une déclaration de culpabilité ou d’une peine.
[6] Dans certains cas, la CLCC n’est pas tenue de fournir des décisions écrites aux victimes, comme les permissions de sortir avec escorte (PSAE) pour les délinquants purgeant une peine à perpétuité.
[7] Les victimes se plaignent qu’elles ne peuvent connaître les raisons du laissez-passer médical accordé à un délinquant, par exemple, tandis que les renseignements au sujet de leur rétablissement personnel et de leur guérison sont fournis aux délinquants au moyen des déclarations des victimes.
[8] Les victimes se plaignent que les différents responsables ne leur fournissent pas d’instructions ou de soutien pour les aider à obtenir le dédommagement ordonné par les tribunaux.
[9] Le SCC n’est tenu d’informer les victimes qu’après que l’Agence des services frontaliers du Canada a renvoyé un délinquant du Canada. Avant le renvoi officiel, les victimes ne reçoivent aucun renseignement sur le processus de renvoi, sur ce à quoi elles doivent s’attendre, sur les dates d’audience, les délais, les appels, etc., et elles n’ont aucun moyen d’exprimer leurs préoccupations tout au long de ce processus.
[10] Les victimes se plaignent de recevoir une quantité variable de renseignements lors de l’entrée en fonction d’un nouvel employé.
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