Saisir le moment pour bâtir un Canada plus concurrentiel
Discours
Allocution de Matthew Boswell, commissaire de la concurrence
Conférence d’automne sur le droit de la concurrence de l’Association du Barreau canadien
Ottawa (Ontario)
Le 20 octobre 2022
(Le discours prononcé fait foi)
Bonjour à tous et merci de participer à la Conférence d’automne sur le droit de la concurrence, ici dans la capitale du Canada. Nous avons assisté à d’excellentes conférences virtuelles au cours des deux dernières années, mais c’est vraiment formidable d’être de retour en personne pour cet événement. Je me réjouis à la perspective d’échanger avec bon nombre d’entre vous au cours des deux prochains jours.
Avant de commencer mon discours, je tiens à souligner que l’historique Château Laurier est construit sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin Anishinaabeg (Ah-nish-in-a-bek). C’est avec humilité que je m’adresse à vous sur ce territoire, et je suis reconnaissant aux Premières Nations pour leurs soins et leurs enseignements concernant notre terre et nos relations. Puissions-nous honorer ces enseignements.
Nous sommes réunis ici à un moment important pour la concurrence – un moment de collaboration et d’occasions significatives que nous devons saisir. De plus en plus de Canadiens et de Canadiennes de tous les horizons reconnaissent le rôle important que joue la concurrence et réclament une concurrence accrue. Je veux parler de certaines des priorités sur lesquelles je me concentre en ce moment, jour après jour, pour veiller à ce que la concurrence fonctionne pour toute la population canadienne.
Protéger la concurrence pour les Canadiens
Nous travaillons d’arrache-pied, en utilisant tous nos outils d’application de la loi, pour protéger la concurrence pour les Canadiens, parce que nous ne pouvons pas nous permettre d’être complaisants en ce moment. La concurrence est une question de plus en plus présente dans la sphère publique, et l’on assiste à un virage international majeur en faveur d’une application plus stricte des lois antitrust.
Nous devons agir dès maintenant pour créer les conditions propices à la concurrence au Canada, car un marché concurrentiel est essentiel pour bâtir une économie plus forte qui fonctionne pour tout le pays.
C’est pourquoi nous continuons à renforcer notre capacité d’enquête et de litige afin de prendre des mesures d’application de la loi rapides et fondées sur des preuves – y compris des injonctions – dans les marchés traditionnels et numériques.
Nous nous demandons plus souvent que par le passé : « quel est le risque de ne pas intervenir? ».
Nous nous efforçons de veiller à ce que les marchés qui comptent pour les Canadiens ne deviennent pas encore plus concentrés à cause de fusions problématiques, pour lesquelles nous avons vu un nombre sans précédent de litiges.
Le Tribunal de la concurrence est actuellement saisi de trois* affaires de fusion, et cinq demandes de contestation de fusions ont été déposées au cours des trois dernières années. Cela inclut la demande concernant Rogers-Shaw, pour laquelle une audience est en cours.
Dans ce contexte, nous avons vu des parties qui choisissent de conclure des transactions en dépit de nos préoccupations importantes en matière de concurrence, sans qu’il y ait de mesure corrective appropriée. Dans ces cas, les entreprises qui fusionnent doivent savoir que nous sommes prêts et disposés à protéger l’intérêt public en matière de concurrence en portant une affaire devant le Tribunal, et que nous avons la capacité de le faire.
Nous avons également conclu de nombreux consentements – des cas résolus rapidement et sans contestation judiciaire –, parce que la voie du litige n’est pas la seule solution.
Modifications apportées à la Loi sur la concurrence
Et, bien sûr, au cours de la dernière année, le gouvernement a pris des mesures importantes pour moderniser nos lois et nos politiques en matière de concurrence.
Lorsque j’ai pris la parole à cette même conférence l’an dernier, j’ai présenté mon point de vue sur les raisons pour lesquelles le Canada a besoin d’effectuer un examen complet de la Loi sur la concurrence. Depuis, le ministre Champagne a été le fer de lance d’un regain d’intérêt pour la concurrence au Canada. D’importantes modifications initiales à la Loi sur la concurrence sont entrées en vigueur en juin, et le gouvernement entreprendra un examen approfondi.
Ces premières modifications à la Loi constituent un pas important vers la modernisation et le renforcement de notre capacité à protéger les Canadiens et Canadiennes contre les comportements anticoncurrentiels.
Entre autres, ces modifications ont pour effet de :
- criminaliser les accords de fixation des salaires et les ententes de non-débauchage;
- augmenter les montants maximaux des amendes et des sanctions administratives pécuniaires;
- préciser que la divulgation incomplète des prix constitue une indication fausse ou trompeuse;
- élargir la définition de « comportement anticoncurrentiel »;
- permettre un accès privé au Tribunal de la concurrence pour remédier à un abus de position dominante.
Nous savons, grâce à nos échanges avec les parties intéressées, que les Canadiens veulent de bonnes directives, de la clarté et de la prévisibilité. À cette fin, nous prévoyons mettre à jour nos lignes directrices sur l’indication de prix partiel, publier de nouvelles lignes directrices distinctes sur les accords de non-débauchage et de fixation des salaires, et réviser considérablement nos orientations sur l’abus de position dominante. Nous ferons tout cela car nous savons que ces questions sont au cœur des préoccupations des entreprises canadiennes qui veulent se conformer à la loi.
Concurrence et coût de la vie
Une autre chose à laquelle tout le monde pense ces jours-ci est l’inflation. Nous assistons aux plus fortes hausses de prix que nous ayons connues depuis des décennies, ce qui est très inquiétant pour les Canadiens. Pour beaucoup, la forte inflation illustre à quel point la concurrence est importante pour contrôler les prix dans les secteurs clés de l’économie. Bien sûr, l’application de la loi en matière de concurrence n’est pas une panacée, mais elle a un rôle important à jouer.
Nous faisons preuve d’une vigilance accrue et travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires nationaux et internationaux pour détecter et éradiquer les comportements anticoncurrentiels qui risquent d’aggraver la situation actuelle.
Dans un environnement inflationniste, il peut être plus facile de dissimuler des comportements anticoncurrentiels. Nous devons donc être sur nos gardes et détecter les nouvelles façons dont les entreprises peuvent s’entendre, signaler les prix, tromper les consommateurs ou nuire au processus concurrentiel.
Nous savons également que le pouvoir de marché peut être exercé de diverses manières autres que par les prix. La « réduflation » en est un exemple. Des pratiques comme le conditionnement en plus petits volumes et d’autres réductions discrètes de la valeur ou de la qualité peuvent être plus difficiles à détecter et à mesurer. Mais ces réductions ont une incidence tangible sur les consommateurs.
Si les vigoureux efforts déployés pour maîtriser l’inflation s’avèrent fructueux, peut-être au détriment de la croissance économique, les décideurs politiques pourraient se réorienter vers la stimulation de la croissance économique. Il est important de se rappeler que les mesures prises en matière de politiques pour accroître l’intensité de la concurrence ont également l’avantage de favoriser les gains de productivité. En d’autres termes, une politique de concurrence plus vigoureuse est une solution à double usage : elle contribue à réduire les pressions inflationnistes tout en stimulant la productivité.
L’avenir : saisir l’occasion
C’est donc une période passionnante pour la politique de la concurrence. Nous en avons fait beaucoup au cours de la dernière année, et il y a un regain de vigueur et d’attention pour l’état de la concurrence au Canada et la nécessité de réformer nos lois. Comme je l’ai mentionné, le gouvernement lancera une vaste consultation qui permettra de débattre de certaines questions difficiles. Je considère ce processus comme un point de départ essentiel pour bâtir une économie canadienne plus forte.
Le Bureau fera partie de la consultation, et nous réitérerons et développerons les recommandations qui figuraient dans notre mémoire soumis lors de la consultation du sénateur Wetston, et que la Loi d’exécution du budget n’a pas déjà couvertes.
Notre point de vue sur la loi est éclairé par notre travail d’application de la loi et de protection de l’intérêt public, et il y a de nombreux domaines où nous prévoyons apporter notre avis. Pour aujourd’hui, je veux aborder les trois grands domaines pour lesquels nous estimons qu’une réforme est prioritaire.
La réforme des fusions
Le premier élément prioritaire est la réforme des fusions. Je pense que beaucoup s’accordent à dire qu’il s’agit du domaine de débat et de réforme le plus important. Notre législation ne devrait pas faire obstacle à la lutte contre les fusions anticoncurrentielles.
Les dispositions actuelles permettent des niveaux élevés de concentration économique – voire des monopoles – dans l’économie canadienne. Cette situation ne correspond pas à ce qu’on voit dans d’autres pays comparables. Nos critères de fond en matière de fusions, y compris la défense fondée sur les gains en efficience, n’ont pas changé depuis 1986.
Nous avons apporté des changements procéduraux pour prolonger les périodes d’attente prévues par la loi et renforcer les pouvoirs de collecte d’information du Bureau, dans l’espoir que plus de temps et d’information mèneraient à de meilleurs résultats en matière d’application de la loi, tout en laissant les critères fondamentaux intacts.
Ces changements ne rectifient pas les lacunes et les effets contraires à l’intérêt public résultant de notre législation actuelle, telle qu’elle est interprétée par le Tribunal de la concurrence et les autres tribunaux.
Nos lois permettent des fusions qui conduisent à des monopoles dans des marchés entièrement nationaux, alors que l’objectif de la législation en matière de fusions est d’empêcher un renforcement de la puissance commerciale au détriment des entreprises et des consommateurs canadiens. Les décisions et les interprétations de notre cadre actuel ont également conduit à un accroissement de la complexité, du fardeau et des délais pour toutes les parties concernées — dans un contexte où la rapidité et la certitude sont essentielles à la fois pour l’intérêt public et pour les parties aux fusions.
Nous avons besoin d’un cadre qui puisse :
- stopper les fusions anticoncurrentielles qui nuisent à l’intérêt public aussi rapidement et promptement que possible;
- rétablir la concurrence aux niveaux antérieurs à la fusion lorsqu’elles se produisent;
- permettre à la grande majorité des fusions qui ne nuisent pas à l’intérêt public de se dérouler aussi rapidement que possible.
Les consommateurs et l’économie souffrent d’une application insuffisante de la loi et de mesures correctives inadéquates. Et les entreprises souffrent d’un système complexe et imprévisible.
Il est temps de revoir les critères de fond établis par la Loi sur la concurrence et de se demander s’ils servent adéquatement les Canadiens.
Délais
La deuxième question est liée à la première, mais elle est plus générale et s’étend à tous les domaines de notre travail, pas seulement aux fusions, et c’est la question des délais. Les affaires prennent tout simplement trop de temps.
C’est en partie à cause de la complexité de nos critères et de la jurisprudence qui y est associée, mais c’est aussi à cause des inefficacités procédurales dans des domaines comme la collecte d’informations, les litiges et l’accès aux mesures provisoires.
Pour être clair, je ne rejette la responsabilité de ces inefficacités sur aucune partie en particulier. Je reconnais également le rôle du Bureau à cet égard, et nous travaillons constamment à l’interne pour trouver des moyens d’être plus agiles et plus rapides dans nos propres enquêtes.
Je considère l’état actuel des choses comme un échec systémique. Et je pense que c’est un échec pernicieux, car il contribue à un sentiment d’apathie parmi les plaignants, les consommateurs et le grand public. Ils ont l’impression que notre travail est non seulement technocratique et complexe, mais qu’il est aussi interminable.
Cela empêche le droit de la concurrence – un outil incroyablement important – de servir les Canadiens comme il le devrait. Nous devons travailler ensemble pour résoudre ce problème, sinon les décideurs et les parties prenantes pourraient se tourner vers des solutions réglementaires beaucoup plus interventionnistes. Ce constat explique en partie la pression exercée dans certaines administrations en faveur de règlements plus prescriptifs au lieu de l’application ex post du droit de la concurrence.
Études de marché
Le dernier élément que je souhaite souligner est la capacité du Bureau à promouvoir la concurrence au Canada à l’aide d’études de marché.
La Loi nous donne le pouvoir d’être une voix positive pour la concurrence dans l’élaboration des politiques gouvernementales. C’est important, car les politiques gouvernementales – de tous les ordres de gouvernement – ont presque toujours une incidence sur la façon dont les entreprises canadiennes peuvent rivaliser.
Nous avons pour mandat d’aider les décideurs à prendre les meilleures décisions pour tous les Canadiens. Et nous avons répondu avec force à ce mandat. Au cours des 15 dernières années, nous avons fourni aux gouvernements des conseils judicieux et fondés sur des preuves dans les domaines suivants : les services financiers, les télécommunications, les soins de santé, les produits pharmaceutiques, les transports et les professions autoréglementées, comme les avocats et les comptables.
Notre travail de promotion continue d’aider les décideurs à apporter des changements qui ouvriront de nouvelles frontières de valeur pour tous les Canadiens : services bancaires ouverts, portabilité des données et droit à la réparation, pour n’en citer que quelques-uns.
Nous avons fait un travail significatif dans ce domaine, et nous pouvons encore faire mieux, mais notre capacité à faire ce travail important est limitée par des pouvoirs inadéquats. Contrairement à nos homologues de la grande majorité des pays du G7, le Bureau ne dispose pas de pouvoirs formels lui permettant d’exiger des informations pertinentes pour notre travail de promotion de la concurrence.
Un manque d’information pertinente peut nuire à notre capacité de diagnostiquer les problèmes de concurrence. Cette situation limite par conséquent l’étendue des conseils fondés sur des données probantes que le Bureau peut fournir aux décideurs. Par exemple, contrairement à nos dossiers d’application de la loi, le Bureau ne fait souvent pas d’analyse économétrique lors des études de marché, car les données sous-jacentes sont difficiles à recueillir sur une base volontaire.
Ainsi, même nos meilleurs conseils d’aujourd’hui peuvent parfois souffrir de lacunes. Dire « plus de concurrence, c’est bien » n’est pas aussi puissant que de pouvoir dire « les Canadiens pourraient économiser jusqu’à 40 % » en adoptant une politique précise. Nous avons besoin de ce pouvoir pour être en mesure de fournir des conseils avisés aux décideurs qui, à leur tour, pourront élaborer des politiques favorisant une économie plus concurrentielle.
Pour conclure, je suis convaincu que nous faisons de grands pas dans la bonne direction. La dernière année a été importante pour le Bureau. L’augmentation de notre budget et les réformes politiques qui ont déjà été mises en œuvre feront une grande différence dans l’état de la concurrence au Canada. Le Bureau continue d’investir dans son personnel et dans sa capacité à faire respecter la loi. Nous avons démontré que nous sommes prêts, disposés et capables d’intenter des actions en justice, si nécessaire, et nous allons continuer à le faire.
La concurrence est un pilier essentiel de notre économie et nous devons prendre des mesures pour veiller à ce que notre législation et notre politique en matière de concurrence soient adaptées à l’économie moderne. Cela rapportera de grands dividendes pour l’avenir et la prospérité du Canada et de sa population. Je vous demande votre soutien et votre engagement alors que nous travaillons à renforcer encore davantage les lois et les politiques canadiennes en matière de concurrence, au bénéfice de tous les Canadiens et de toutes les Canadiennes.
Merci et profitez du reste de la conférence.
Matthew Boswell
Commissaire de la concurrence
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