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Une demande de tir numérique

par Chris Thatcher - Le 05 janvier 2022

temps de lecture : 75 min  contenu du Canadian Army Today

Two Soldiers looking through binoculars
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Deux soldats regardant à travers des jumelles

Lorsque les contrôleurs interarmées de la finale de l’attaque (CIFA) de l’Armée canadienne se sont éloignés des tables de vérification à l’aire de trafic au cours de l’exercice Bold Quest 19 en Finlande ce printemps, bon nombre d’alliés les regardaient avec envie.

En 2017, l’Armée a acheté la première version Android d’un système d’appui aérien rapproché à assistance numérique (DACAS) en vertu d’un contrat de 4 millions de dollars adjugé à Collins Aerospace. Cette année, dans le cadre d’une démonstration multinationale d’interopérabilité des tirs interarmées parrainée par l’état-major interarmées des États Unis, les Canadiens ont fait partie d’un groupe de 70 CIFA de 16 pays soumettant leurs systèmes à un processus d’essai et de validation.

Sur l’aire de trafic, devant les tables, se trouvaient un Rafale français, des F/A-18 finlandais, un Cessna 02 Skymaster américain et un Learjet 35A de Bombardier allemand simulant un Panavia Tornado. Derrière les CIFA, à une autre table, des évaluateurs de l’état-major interarmées regardaient un ordinateur pour surveiller les messages échangés entre les systèmes DACAS et les avions.

« Nous avons pu essayer et valider le logiciel et, bref, il a fonctionné », a déclaré l’adjudant Jamie Murphy, pour décrire modestement l’événement.

« L’Armée canadienne s’est présentée… et a tiré tout au long de l’essai – l’outil utilisé a été sans faille », a déclaré Charlie Heidal, qui était le responsable des technologies de pointe associées aux systèmes de mission et de guerre électronique pour Collins Aerospace et le représentant de cette société à l’exercice Bold Quest. « Personne d’autre n’avait un tel dispositif. La solution canadienne les a tous épatés. »

Les Canadiens n’ont mis qu’à peine quelques minutes à ouvrir leur système semblable à un téléphone cellulaire, à entrer les données et à se connecter, alors que certains pays se sont débattus jusqu’à 20 minutes pour faire communiquer leurs systèmes sans problème et que d’autres systèmes ont cessé complètement de fonctionner, a indiqué Heidal. « Tout le monde a entouré l’équipe. Ses membres étaient comme des vedettes. »

La solution non embarquée multiplateformes réseautée de tirs interarmées de Collins est une tablette Google Pixel standard reliée à une station pivot tactique soutenant un récepteur à rehaussement vidéo télécommandé de réseau tactique, un télémètre laser, un GPS, un poste radio Harris 152A ou 117G et une pile conforme. Le système de ciblage aux commandes d’écran tactile utilise l’application logicielle militaire ouverte Android Tactical Assault Kit (ATAK), qui inclut un engin de cartographie géospatiale et d’autres modules d’extension pour réduire et simplifier les étapes afin de permettre aux CIFA de coordonner numériquement l’appui aérien assuré tant par les avions traditionnels que par les avions de nouvelle génération.

« C’est réellement un bond en avant », a précisé Heidal, qui est un ancien CIFA américain. « Nous pouvons littéralement tout faire à partir d’un téléphone. »

Le système permet à un CIFA de coordonner des frappes aériennes en moins de deux minutes, plutôt qu’après les 15 à 20 minutes qu’il fallait souvent pour « guider l’avion jusqu’à un objectif et envoyer les données d’appui aérien rapproché, c’est-à-dire le message en neuf lignes, de façon verbale », a déclaré le major Richard Parent, directeur du projet. « Il permet essentiellement une transmission rapide et exacte de données essentielles entre le pilote et l’opérateur. En Finlande, les autres pays regardaient tous par dessus notre épaule pour voir l’excellent travail accompli par l’équipe. Nous offrons maintenant aux troupes canadiennes une capacité de pointe. » Collins a continué à perfectionner le DACAS canadien depuis sa livraison initiale, et l’équipe de projet mettra la dernière main aux validations avec les CF-188 Hornet à Mirabel cet automne. « Ce qui n’est pas surprenant, c’est que la connectivité numérique aux avions existants a été plus difficile que dans le cas des F-16 ou des F-22 modernisés. Nous ne pourrons pas déclarer que la capacité opérationnelle totale est atteinte jusqu’à ce que nos soyons en mesure de larguer à partir de nos propres avions une bombe à l’appui de nos CIFA », a dit Parent.

Les messages numériques de base ne sont qu’une première étape permettant de tirer pleinement parti du potentiel du logiciel ATAK, a ajouté Murphy, un CIFA ayant servi cinq fois à l’étranger et notamment trois fois en Afghanistan. L’intégration de la liaison de données tactiques (LDT) [Liaison 16], des communications au-delà de la portée optique et d’autres outils de planification des missions sont tous envisagés pour de futures mises à niveau.

La livraison du DACAS est importante, mais ce n’est qu’un élément d’un projet bien plus vaste visant à moderniser les tirs interarmées dans l’ensemble des Forces armées canadiennes (FAC). La numérisation des communications entre un CIFA débarqué et un avion n’est que la première pièce d’un casse-tête complexe qui permettra, un jour ou l’autre, de connecter les CIFA et les officiers observateurs avancés (OOA), tant débarqués qu’à bord de véhicules de poste d’observation VBL 6, à toutes les plateformes d’appui-feu, qu’elles soient de surface, aériennes ou navales.

« Le DACAS est un excellent cas d’utilisation et nous apprenons beaucoup, mais ce n’est qu’une partie de la numérisation », a affirmé Parent. « Au cours d’un combat, nous voulons être en mesure de demander de manière efficace à la Marine des tirs de missile Harpoon ou des tirs d’appui-feu naval ou de demander à n’importe quel membre de la coalition des tirs d’artillerie de campagne ou d’artillerie de roquettes. » Le projet de modernisation des feux interarmées (JFM) propose d’y parvenir en améliorant considérablement les capacités de commandement et contrôle (C2) par l’acquisition de logiciels de ciblage et de gestion du combat, d’équipement tactique et de systèmes de simulation réalistes pour les opérateurs, les commandants et une foule de planificateurs, de coordonnateurs et d’autre personnel affecté au ciblage. Le projet n’est pas difficile à justifier. « Les méthodes analogiques que nous utilisons actuellement dans l’exécution de nos tâches sur le champ de bataille moderne nous mèneront à la défaite », a indiqué Parent. « Il n’est tout simplement pas possible de soutenir des forces terrestres de façon rapide ou sécuritaire par le moyen de la voix dans un environnement de coalition. »

Les erreurs ou malentendus associés à un ordre de tir peuvent provoquer des délais ou avoir des conséquences encore pires. « Pour que la projection massive d’une force par une coalition de cinq ou de 29 pays contre un adversaire qui jouit d’une interopérabilité à chaque échelon soit efficace, les tirs doivent être aussi précis et souples que possible. La numérisation va révolutionner la manière dont nous exécutons les tirs ainsi que la crédibilité et la pertinence que le Canada contribuera», a t il ajouté.

Pendant la phase de contrôle actif d’un cours en Roumanie, des CIFA utilisent le nouveau marqueur laser Type 163, l’instrument d’optique de poche IRCL (infrarouge de courte longueur d’onde) et le dispositif de poursuite multimode. Source : Caméra de combat
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Pendant la phase de contrôle actif d’un cours en Roumanie, des CIFA utilisent le nouveau marqueur laser Type 163, l’instrument d’optique de poche IRCL (infrarouge de courte longueur d’onde) et le dispositif de poursuite multimode. Source : Caméra de combat

Selon la vision de Parent, un opérateur canadien devrait être muni d’une tablette qui lui donne accès à la « boîte à outils » des effets des tirs provenant non seulement des ressources canadiennes, mais aussi de celles de toute la coalition. Au lieu de demander les armes d’une ressource précise, par exemple d’un avion, la demande numérique d’appui-feu serait traitée au niveau du quartier général. Ainsi, le moyen le plus efficace présent dans le secteur serait alors affecté à la tâche, ce qui se traduira par un cycle décision action accéléré et une meilleure utilisation des ressources. « Si vous avez besoin d’un marteau à panne ronde, vous ne demandez pas une masse uniquement parce que c’est l’outil le plus proche ou le seul qui se trouve dans votre réseau analogique », a t il dit.

MANGER UN ÉLÉPHANT

Il faudra du temps et de la persévérance pour aller du point où les FAC se situent aujourd’hui à cette vision grandiose. Une liaison numérique existe à l’heure actuelle seulement entre les CIFA et les pilotes qui interviennent en visibilité directe. La mise à niveau des logiciels de C2 des tirs et de ciblage pour relier les opérateurs à l’artillerie de campagne et aux canons navals est tout un exploit. L’ensemble du matériel et des systèmes de simulation nécessaire à la JFM compte une douzaine ou davantage de projets distincts. Un sous ensemble plus petit inclut des outils d’acquisition d’objectifs, des systèmes intégrés de vision numériques, des passerelles de LDT, des outils de planification des missions et des capacités antibrouillage.

Dans la foulée du succès du DACAS, le projet aura dorénavant pour but d’établir une liaison numérique avec l’artillerie canadienne et l’artillerie alliée grâce à une collaboration avec les armées des pays ABCANZ (États Unis, Grande-Bretagne, Canada, Australie et Nouvelle Zélande) portant sur l’élaboration d’une interface de format de message variable (VMF) et à la poursuite des efforts en cours visant à promouvoir la participation du Canada au programme d’interopérabilité de l’OTAN concernant les activités de coopération en matière de systèmes d’artillerie (ASCA) en vue d’élaborer les protocoles et les normes applicables aux transmissions associées aux tirs interarmées numériques.

L’approbation de la mise en œuvre de la JFM est actuellement prévue pour 2024, et la capacité opérationnelle initiale est prévue au plus tard pour 2026, mais l’équipe du projet constituée de Parent, de Murphy et de Rob Clarke, un artilleur retraité comptant 22 années de service, n’attend pas que le financement du crédit 5 soit approuvé. Après avoir éliminé une année de la phase d’analyse des options du projet qui se déroule à un rythme accéléré (le projet a été approuvé en juillet par le Conseil des capacités de la défense), ils procèdent à un éventail d’investissements en immobilisations mineurs, en grande partie similaires au DACAS, pour acquérir le plus grand nombre possible d’éléments qui vont ultimement contribuer à la JFM.

« Nous sommes tout simplement impatients de mettre en place les améliorations des capacités, c’est pourquoi nous faisons de notre mieux dans le cadre existant. Pour 5 millions de dollars, que pouvons nous obtenir pour le combattant en vue de combler l’écart qui nous sépare de la JFM? », a demandé Parent, qui est un ancien OOA et un ancien commandant de batterie qui a aussi servi au QG de la 1re Division du Canada et qui comprend tout l’impact de l’appui-feu aux niveaux tactique et opérationnel. « Chaque élément constitue une étape vers la JFM. Il existe des capacités que nous pouvons fournir demain aux forces de campagne et aux forces interarmées, après quoi la JFM va combler les lacunes et intégrer ou fournir ce qui reste. »

L’acquisition du DACAS s’est faite par l’entremise d’un projet d’immobilisations mineur afin de respecter une obligation immédiate d’interopérabilité numérique en matière d’appui aérien rapproché avec les États Unis et les principaux alliés avant la fin de 2018, et ce, dans le cadre d’un protocole d’entente à l’initiative de l’état-major interarmées des États Unis. D’autres composantes de la JFM ne découlent pas des mêmes engagements internationaux, mais, selon Parent, l’âge de certains systèmes d’équipement et d’instruction suffit pour que des mesures « d’atténuation des risques » soient prises. « C’est comme manger un éléphant : ce n’est possible qu’en prenant une bouchée à la fois », a-t-il indiqué.

L’équipe a examiné chaque pièce d’équipement et capacité qu’un CIFA ou OOA doit apporter avec lui pour mieux comprendre comment elle pourrait en réduire le poids physique et cognitif. Parent fait remarquer que les piles nécessaires pour faire fonctionner les imageurs thermiques, les lasers, divers instruments d’optique et les postes radio portatifs représentent près de 30 % du poids de la charge d’un observateur. De meilleures solutions de gestion de la consommation d’électricité qui sont moins nombreuses, plus efficaces et plus légères figurent donc en haut de la liste. Plus tard cette année, un nouveau marqueur laser de type 163 fabriqué par Leonardo sera livré. « Il est passé de 30 livres, incluant un câble ombilical et cinq ou six piles, à environ quatre ou cinq livres », a indiqué Murphy.

Des solutions antibrouillage sont également recherchées pour le soldat. En décembre 2017, la société NovAtel de Calgary a signé un contrat de 1,3 million de dollars pour fournir 52 exemplaires de son dispositif antibrouillage GPS (GAJT) destinés à être installés à bord des véhicules de poste d’observation VBL de l’Armée. Parent veut une version de l’antenne de la taille d’une rondelle de hockey pour l’opérateur individuel débarqué afin de répondre à la même exigence d’un accès exact, sûr et fiable aux signaux du GPS.

Ce qui est plus préoccupant, c’est l’obsolescence d’une bonne part du matériel d’instruction qui ne respecte plus les exigences d’accréditation de base des CIFA et qui ne fournit aux OOA qu’une capacité très minimale et désuète. Idéalement, ces derniers devraient disposer d’un simulateur immersif de tirs interarmées, utilisé sous un dôme ou au moyen de lunettes de réalité virtuelle, en réseau avec des pilotes de CF 18 et connectés entre eux à travers toutes les bases au Canada, ce qui transformerait l’instruction individuelle et collective et économiserait en fin de compte des ressources de tir réel.

« Nous essayons de déterminer combien nous pouvons en acheter en vertu de l’enveloppe de financement compte tenu des capacités du personnel de gestion de projet du SMA(Matériels) », a précisé Parent. « Le réseau existant, établi à l’échelle du pays, est le réseau de base qui nous permet de parler avec les pilotes de CF¬ 18; nous faisons donc de notre mieux, au moyen d’investissements en immobilisations mineurs, pour que notre personnel dispose d’un nouveau simulateur bien avant 2026. »

« Cette mesure ne remplacera pas le besoin relatif à des avions réels, mais elle maximisera le temps que vous avez avec ces avions », a dit Murphy. « L’accès à un simulateur accrédité haute-fidélité rendra chaque heure que vous avez avec cet éventuel avion réel considérablement meilleure et efficace. »

En bout de ligne, le but du projet est de « planifier, coordonner et exécuter l’appui feu avec un maximum d’exactitude et de façon sûre et efficace », a affirmé Parent, et la numérisation « est susceptible de révolutionner notre activité fondamentale qui consiste à exécuter des tirs à l’appui des opérations terrestres et que nous maîtrisons malgré les limites imposées par les méthodes analogiques ».

Image of College Entrance used for a section break.

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