Proposer une image commune de la situation opérationnelle pour les praticiens opérationnels interarmées

par Lieutenant-colonel Andrew J. Duncan, CD

INTRODUCTIONNote de bas de page 1

L’ébauche de la publication des Forces armées canadiennes (FAC) Concept d’emploi d’une force dans tous les domaines reconnaît que les FAC sont principalement organisées pour contrer les actions militaires manifestes dans les domaines traditionnels terrestre, maritime et aérien à partir d’éléments que les forces armées d’un adversaire peuvent reconnaître. Cependant, la plupart des adversaires du Canada évitent les confrontations militaires directes coûteuses et imputables et préfèrent défier l’ordre international actuel fondé sur des règles dans les domaines de la cybernétique, de l’espace et de l’information. Ces domaines offrent suffisamment de possibilités aux adversaires du Canada, car les niveaux de conduite généralement acceptés restent ambigus et l’attribution est souvent difficile. Dans le même temps, les États démocratiques hésitent à agir en raison des contrats sociaux nationaux dans le cadre desquels ils opèrent. Malgré ces défis, la publication Concept d’emploi d’une force dans tous les domaines souligne la nécessité de faire campagne dans tous les domaines et de coordonner les actions entre les zones d’opérations mondiales, régionales et ciblées.Note de bas de page 2 

Les commandants et leur état-major travaillant au niveau opérationnel de la guerre doivent être capables de relier le développement de nombreux domaines et niveaux de guerre pour exploiter les occasions éphémères. Alors que certains adversaires du Canada ont connu des succès tangibles en reliant les domaines de la cybernétique, de l’information, terrestre, maritime et aérien dans le passé, la maladresse de leurs méthodes est devenue évidente au fil du temps.Note de bas de page 3  L’avenir sera peut-être beaucoup moins clément alors que les adversaires peaufineront leurs méthodes. En bref, la capacité d’un pays à comprendre l’environnement de tous les domaines, à établir des liens entre les domaines et les niveaux de guerre, à être à l’affût des occasions éphémères, à synchroniser les actions disparates et à exploiter les effets combinés est essentielle à la victoire. Malgré cela, d’importantes lacunes doctrinales subsistent au sein des FAC, qui empêchent de satisfaire à cette exigence de l’ébauche Concept d’emploi d’une force dans tous les domaines. Plus précisément, il n’existe toujours pas de méthode largement comprise et acceptée sur le plan doctrinal pour assembler et décrire une image commune de la situation opérationnelle (ICSO) au niveau opérationnel. 

Cet article vise à décrire une méthode simplifiée, mais efficace, pour générer une ICSO à partir de principes de base afin de permettre la prise de décision au niveau opérationnel de la guerre, dans les domaines traditionnels (terrestre, maritime, aérien) comme non traditionnels (cybernétique, information, espace). L’état-major peut prendre un problème opérationnel et un concept d’opération (CONOPS) d’un commandant au niveau opérationnel et utiliser un raisonnement déductif pour décomposer ce problème opérationnel en besoins de renseignements et en points de données. Il est ensuite possible de les exploiter pour concevoir des systèmes de production de rapports automatisés et manuels qui, grâce à l’utilisation de l’induction logique, peuvent être représentés visuellement afin de développer une connaissance commune de la situation qui permet une meilleure prise de décision.

Il est à noter que la plupart des idées contenues dans cet article ne sont pas entièrement originales. En fait, la plupart des idées qui orientent ce travail découlent de la doctrine militaire ancienne et actuelle. C’est encourageant, car cela signifie qu’il existe une base solide pour l’innovation dans les domaines non traditionnels. Cependant, l’auteur a observé que, lorsque l’état-major est confronté à un problème opérationnel, il n’utilise généralement pas méthodiquement les outils fournis par la doctrine militaire. Dans ce cas précis, la doctrine militaire canadienne sur la planification de la collecte de renseignements constitue un fondement important pour les idées qui seront examinées ci-après.Note de bas de page 4  L’article met l’accent sur les besoins d’information principalement liés aux forces amies, car le processus de planification de la collecte de renseignements a été bien couvert. En outre, l’article s’abstient de recommander des options de visualisation relatives aux ICSO, mais fournit des suggestions générales sur la façon d’en choisir une. Lorsque les experts des domaines non traditionnels de l’espace, de la cybernétique et de l’information élaborent des solutions à l’intention des commandants, ils devraient réfléchir à la nature unique de leurs domaines et à la manière dont ils interagissent avec les autres.

Dans les publications de doctrine interarmées du Canada, l’expression « image commune de la situation opérationnelle » est souvent utilisée, mais rarement examinée en profondeur.Note de bas de page 5  Une recherche dans Termium Plus offre une définition récente (2018) de l’expression : « représentation dynamique d’informations partagée pouvant être adaptée pour faciliter la connaissance de la situation, la planification collaborative et la prise de décisions ».Note de bas de page 6  L’expression « connaissance de la situation» est définie plus en détail dans Termium Plus comme la « connaissance des éléments de l’environnement opérationnel nécessaire pour prendre des décisions informées ».Note de bas de page 7  De même, la définition militaire reconnue de la planification est le « choix, par la prise en considération systématique de toutes les solutions possibles, de lignes de conduite appropriées pour atteindre les objectifs fixés ».Note de bas de page 8  

Il ressort clairement des définitions qu’une ICSO vise deux objectifs étroitement liés. Le premier est la création d’une représentation « commune » de l’information, qui sert de moyen de synchroniser les actions militaires à la fois verticalement et horizontalement, ce qui se traduit par une efficacité interne accrue et des effets externes plus importants. Le deuxième, et le plus important, est de permettre la prise de décision, qui renvoie à l’exigence déclarée qu’une ICSO soit à la fois dynamiqueNote de bas de page 9  et adaptable.Note de bas de page 10  Idéalement, une ICSO devrait permettre aux commandants d’utiliser ce que Carl von Clausewitz a appelé leur coup d’œil pour comprendre et exploiter les occasions éphémères à temps dans les domaines qui leur sont attribués.Note de bas de page 11  Cela comprend non seulement les espaces de combat physiques, mais aussi les possibilités non physiques qui ne peuvent être perceptibles qu’à travers une corrélation d’éléments.

Au sein des domaines traditionnels de niveau opérationnel, les ICSO ont évolué en se fondant sur l’expérience cumulée de générations d’officiers militaires spécialisés dans ces domaines. Les renseignements recherchés ont été obtenus par la logique et par essais/erreurs, tandis que les structures de production de rapports, les bases de données, les outils de visualisation et les normes doctrinales sont généralement normalisés et bien compris. Cependant, comme démontré dans la publication Concept d’emploi d’une force dans tous les domaines, les FAC devront de plus en plus opérer dans les domaines non traditionnels de l’espace, de la cybernétique et de l’information. Dans ces domaines non traditionnels, l’état-major militaire n’a pas encore développé une connaissance approfondie de l’information requise pour soutenir les commandants. En outre, il est de plus en plus évident que les commandants militaires opérationnels interarmées peuvent être appelés à soutenir des activités de défense non traditionnelles dans tous les domaines. Par exemple, le rôle opérationnel du Commandement des opérations interarmées du Canada dans l’Op LASER (réponse des FAC à la pandémie de COVID-19) et l’Op VECTOR (soutien des FAC à la distribution des vaccins) s’est déroulé dans tous les domaines reconnus. Ces opérations comprenaient un certain nombre de tâches assignées et implicites qui exigeaient de la chaîne de commandement qu’elle se conforme à des exigences particulières en matière d’information auxquelles ne sont normalement pas confrontées les forces militaires qui jouent des rôles traditionnels. Pour maintenir la domination de l’information sur les adversaires potentiels et s’adapter rapidement aux tâches non traditionnelles, il est prudent de mettre en place un processus visant à concevoir des ICSO rapidement et de manière à tirer parti des banques d’information et des structures de production de rapports en place.

Le processus de conception d’une ICSO peut se décomposer en trois phases générales. La première phase – déduire les besoins – est partiellement intégrée dans la doctrine relative au soutien du commandement et au renseignement de la doctrine militaire canadienne. Cela nécessite de définir les problèmes liés au renseignement et aux opérations auxquels fait face le commandant, de les diviser en besoins d’information qu’il faudra ensuite décomposer en points de données exploitables attribuables en vue de la collecte. La deuxième phase – rapports d’enquête et bases de données – consiste à faire appel à des spécialistes pour saisir les données requises à partir des bases de données ainsi qu’à du personnel généraliste pour mandater les comptes rendus et rapports requis afin de répondre aux besoins en information sur les forces amies (BIFA). La troisième et dernière phase– visualisation – consiste à visualiser l’information en utilisant des moyens traditionnels ou non traditionnels. 

PHASE 1 : DÉDUIRE LES BESOINS

La planification d’une ICSO commence par la définition du problème auquel le commandant opérationnel est confronté lors de la conception opérationnelle.Note de bas de page 12  Une fois l’énoncé du problème global défini, le commandant et l’état-major devraient être en mesure d’extraire un problème de renseignement qui vise les facteurs externes à la force, ainsi qu’un problème opérationnel généralisé de la force amie auquel le commandant est confronté. L’énoncé du problème opérationnel de la force amie devrait, dans la mesure du possible, saisir les aspects suivants :

  1. les tensions internes et les dilemmes auxquels est confrontée la force que le commandant a l’intention d’utiliser pour accomplir la mission; 
  2. les pouvoirs, les devoirs et les responsabilités du commandant; 
  3. la somme générale de l’information dont le commandant a besoin pour prendre des décisions dans le cadre de la force amie. 

L’énoncé du problème doit généralement prendre la forme d’une question, mais il peut être présenté sous la forme d’un énoncé si on le souhaite. Au fur et à mesure que la conception opérationnelle du commandant se transforme en activités de planification qui affinent les plans d’action (PA), l’état-major qui planifie l’ICSO doit continuer à faire évoluer le problème opérationnel jusqu’à ce qu’un PA et un CONOPS achevé soient sélectionnés. À ce stade, le CONOPS devrait fournir un contexte solide pour le travail déductif à venir.

Une fois que le problème opérationnel de la force amie est confirmé par rapport au CONOPS, il est subdivisé en BIFA. Constitués « d’informations concernant les forces amies dont le commandant a besoin afin d’élaborer des plans et de prendre des décisions adéquates », les BIFA sont une composante essentielle des besoins essentiels du commandant en information (BECI).Note de bas de page 13  S’il n’est pas possible de se procurer des BIFA complets directement auprès du commandant, on peut les déduire du problème opérationnel de la force amie. Chaque BIFA devrait prendre la forme d’une question portant sur une sous-composante du problème opérationnel, et il faut utiliser des termes propres à la doctrine, dans la mesure du possible. Bien qu’il soit théoriquement possible de diviser un problème opérationnel en un nombre infini de BIFA, le nombre devrait être limité à dix pour être gérable. Pour évaluer la validité de chaque BIFA, l’état-major doit s’efforcer de lier chacun à un point de décision, à un point décisif ou à la condition connexe d’un commandant. Si le personnel ne peut pas le faire, il doit remettre en question le besoin.Note de bas de page 14  Une fois les BIFA classés par ordre de priorité, l’état-major doit tenir compte des besoins en information (BI) dérivés de chaque BIFA. Les BI sont des énoncés décrivant une évaluation ou un état connu d’une organisation ou d’un processus qui, en somme, répondent à la question posée par un BIFA. Il n’y a pas de limite au nombre de BI au sein d’un BIFA, mais afin de maintenir une bonne gestion du processus, le nombre de BI doit être réduit au minimum.

Par conséquent, le dernier niveau à prendre en compte est celui d’un point de données ou d’une évaluation individuelle. Bien que l’information demandée ne soit normalement pas des données, elle consiste en un fait individuel ou en une simple évaluation qualitative ou quantitative militaire normalisée qui, lorsqu’elle est considérée en parallèle avec d’autres, peut aider à répondre au BI. Dans le cas d’évaluations normalisées, les planificateurs de l’ICSO doivent examiner comment l’évaluation requise est créée et veiller à en noter la méthodologie. Dans le cas d’évaluations qualitatives, le plan devrait expliquer comment les évaluations spécifiques doivent être menées et intégrées d’un niveau de commandement à un autre. Dans le cas d’évaluations quantitatives, la logique mathématique devrait également être saisie dans le plan pour établir une compréhension de base entre les membres du personnel et une éventuelle automatisation.Note de bas de page 15  

Une fois que les BIFA, les BI et les points de données/évaluations ont été décomposés, ils doivent être tracés en fonction d’un certain nombre de facteurs. Comme pour le processus de planification de la collecte de renseignements, ces facteurs devraient comprendre les sources et les organismes qui représentent les formations supérieures, de flanc et subordonnées d’un commandant. Lors de l’évaluation de ces sources et organismes, l’état-major doit faire la distinction entre un organisme – généralement une formation de flanc, supérieure ou appuyée – et une source, comme une formation ou une unité subordonnée. Les autres facteurs à intégrer sont d’une part, l’intervalle prévu entre les rapports pour le point de données/l’évaluation demandé (immédiat, quotidien et hebdomadaire), et d’autre part, la forme de rapport qui contiendra le point de données/l’évaluation en question. Il convient de noter que l’intervalle entre les rapports et la forme qui leur est attribuée peuvent ne pas correspondre aux priorités attribuées aux BIFA et à leurs BI subordonnés. L’intervalle entre les rapports doit plutôt refléter le lien entre un point de données/une évaluation et la décision ou le point décisif qu’il soutiendrait le plus probablement. Ce lien doit être précisé dans une autre colonne, et il faut indiquer si le point de données/l’évaluation est ou peut être utilisé pour appuyer le point de décision d’un commandant, l’atteinte d’un point décisif ou une mesure de rendement/d’efficacité. Une dernière colonne peut développer le point de données/l’évaluation, sa forme et toute information supplémentaire pertinente pour son inclusion et son intégration finale à l’ICSO.Note de bas de page 16  À ce stade, le plan de collecte de renseignements est en grande partie terminé. À mesure que le plan opérationnel continue de progresser, on devrait affiner les BIFA et en redéfinir la priorité s’il y a lieu. 

 

Exemple d’un plan de collecte de renseignements provisoire sur l’Op VECTOR. Source : Auteur
Exemple d’un plan de collecte de renseignements provisoire sur l’Op VECTOR. Source : Auteur

L'illustration montre un exemple de disposition physique de la première page d'un document de plan de collecte d'informations de l'opération VECTOR (réponse COVID). Il montre comment toutes les pages du plan de collecte afficheraient des éléments communs, notamment l'identité du rédacteur, le nom de l'opération et le défi opérationnel auquel le commandant est confronté. Dans ce cas, il s'agit de déterminer comment les forces sont positionnées pour soutenir les partenaires dans la lutte contre le COVID-19 tout en conservant la capacité de réagir à d'autres événements.

L'exemple d'ICP contient également un tableau segmenté en lignes pour les exigences numérotées en matière d'informations sur les forces amies (FFIR), en sous-lignes pour les exigences en matière de données/informations et de sous-sous-lignes pour les éléments de données/informations spécifiques recherchés. Chaque sous-sous-ligne utilise ensuite des colonnes pour identifier les sources et les agences pertinentes pour chaque élément, ainsi que des détails supplémentaires sur l'intervalle et le type de reporting et les décisions que cet élément d'information soutiendra.

PHASE 2 : RAPPORTS D’ENQUÊTE ET BASES DE DONNÉES

La deuxième grande phase à laquelle doit faire face un planificateur consiste à concevoir les rapports, les évaluations et l’automatisation des données qui sous-tendront l’ICSO. La première étape de cette phase devrait consister à utiliser le plan de collecte de renseignements de l’ICSO pour déterminer comment il s’intégrera à celui du quartier général supérieur ou du commandement appuyé. Il se peut que la formation supérieure impose la collecte de renseignements qui n’ont pas de lien avec l’ICSO de la formation subordonnée. Si tel est le cas, l’état-major peut ajouter un BIFA spécifiquement pour la collecte de ces renseignements et attribuer des points de données/évaluations aux formations subordonnées pour traitement. De plus, l’état-major doit examiner les « demandes » d’information aux commandements supérieurs ou de flanc. Dans certains cas, la demande peut être satisfaite avec un produit conservé par ces commandements sans nécessiter de traitement supplémentaire. Au niveau opérationnel, ces produits ne consisteraient pas nécessairement en des superpositions de cartes, mais en des tableaux et des formulaires d’évaluation graphique qui pourraient facilement être intégrés à l’ICSO de la formation. Dans la mesure du possible, les planificateurs devraient encourager la production d’évaluations graphiques sous la forme d’objets de données et d’autres formats structurés pouvant être manipulés pour répondre aux besoins en information.Note de bas de page 17  L’objectif final de cette phase est d’obtenir une certaine économie d’efforts dans la production de l’ICSO et de tirer profit de l’expertise des commandements supérieurs, de flanc et d’appui. 

Une fois que le contexte de l’ICSO est compris selon le point de vue des quartiers généraux supérieurs et de flanc, les planificateurs devraient passer à la deuxième étape. Cette étape vise à comprendre quelles informations circulent ou non vers le quartier général. Elle vise également à saisir les processus sous-jacents aux évaluations du commandant subordonné et à déterminer quelles données/informations peuvent être intégrées à l’ICSO à partir de bases de données communes. À cette fin, les planificateurs de l’ICSO devraient examiner tout système de comptes rendus et rapports existant dans les formations subordonnées pour déterminer les BI, les points de données et les évaluations déjà fournis. À mesure que les planificateurs de l’ICSO mènent leurs travaux, ils devraient particulièrement prendre note de la structure des données disponibles. Pour tirer pleinement parti de la technologie, simplifier les systèmes de production de rapports et faciliter le traitement, on devrait préférer les données structurées (prédéfinies et formatées selon une structure définie) aux données non structurées (stockées dans des formats natifs et non traitées).Note de bas de page 18  Dans le cas des évaluations, le personnel doit confirmer le processus qui sous-tend ces évaluations pour s’assurer qu’il existe une compréhension commune de leur signification tout en utilisant le niveau approprié de doctrine militaire (par exemple, American British Canadian, Australian and New Zealand Standardization Program, OTAN, nationale) comme référence. Il est essentiel que les planificateurs examinent les bases de données opérationnelles utilisées dans l’ensemble de la force et évaluent la fiabilité, l’intégrité et la sécurité des données détenues dans ces systèmes. Une plus grande attention devrait être portée à la tenue de dossiers historiques à des fins de reddition de comptes, en cas de besoin.Note de bas de page 19  

Si le système de production de rapports actuel convient aux besoins du quartier général, et si les comptes rendus et rapports sont correctement alignés sur les intervalles requis en matière de rapports, le système actuel peut être adéquat et il se peut que des modifications limitées doivent être apportées. C’est le résultat idéal, car les modifications apportées aux systèmes de comptes rendus et rapports nécessitent des efforts considérables pour le personnel à tous les niveaux. Cependant, la plupart du temps, le personnel découvrira des écarts dans l’information, entre les quartiers généraux inférieurs et le leur. Si tel est le cas, deux options s’offrent aux planificateurs d’ICSO. La première consiste à modifier les comptes rendus et rapports actuels pour forcer l’intégration de l’information ou des évaluations requises ou à modifier les calendriers liés au cycle de production de rapports pour reconnaître l’importance évaluée d’un point de données ou d’une évaluation. C’est généralement l’option préférée, car elle tire parti des systèmes et des habitudes existants tout en réduisant au minimum les efforts de l’état-major. La deuxième option consiste à repenser complètement le système de production de rapports pour refléter les exigences de la nouvelle ICSO. Bien que cette option puisse économiser les efforts à long terme, à plus court terme, l’état-major des quartiers généraux subordonnés devra probablement déployer plus d’efforts. Il est donc conseillé de ne diffuser de nouveaux modèles de production de rapports que lors de périodes opérationnelles moins intenses ou lorsqu’un changement de thème de campagne (et une modification du problème opérationnel) l’exige. 

Les bases de données sont étroitement liées à la production de rapports. Une fois que les planificateurs ont déterminé quelles bases de données sont utilisées et de quelle façon, ils doivent chercher à les exploiter en automatisant leurs avoirs dans l’ICSO. Ce processus peut être difficile, étant donné la rareté de l’expertise nécessaire, ainsi que les restrictions et contraintes institutionnelles entourant l’acquisition de services dans les domaines requis, mais il s’agit d’une étape essentielle. L’ébauche de la publication Concept d’emploi d’une force dans tous les domaines indique les défis intellectuels auxquels fait face la profession militaire, tandis que d’autres documents indiquent que les FAC ont du mal à retenir et à recruter du personnel qualifié. Il est donc crucial de maximiser les résultats de chaque membre, y compris les officiers d’état-major formés. Bien que la collecte, l’analyse et la production d’une ICSO soient importantes pour la prise de décision, chaque partie du processus pouvant être automatisée représente une capacité libérée qui pourra être appliquée à l’information extraordinaire qui émerge dans un espace de combat dynamique et multidomaine. Si les planificateurs déterminent qu’une base de données est sécurisée et que les données qu’elle contient sont adaptées à l’usage prévu, des efforts devraient être faits pour automatiser son utilisation dans une ICSO. Si une base de données est jugée inadéquate, il faut en informer le propriétaire et travailler à l’atteinte de ses pleines capacités.

Enfin, à ce stade, les planificateurs de l’ICSO devraient garder à l’esprit le niveau de classification des différentes données ou évaluations pour les BI. Actuellement, la construction des ICSO est limitée au plus haut niveau de classification autorisé sur le système de technologie de l’information (TI) qui l’héberge. Cependant, à mesure que les systèmes de TI à restrictions multiples deviennent possibles grâce à des innovations telles que le cryptage de l’infrastructure à clés publiques (ICP) adaptable et le métabalisage des données, il peut devenir possible de tisser des flux de données ou d’évaluations à différents niveaux de classification et d’adapter l’ICSO au public concerné. Cependant, à plus court terme, les planificateurs devront trouver un équilibre entre le nombre d’utilisateurs de l’ICSO et les exigences en matière de sécurité de l’information.Note de bas de page 20 

PHASE 3 : VISUALISATION

Une fois que les rapports, les évaluations et les bases de données sont alignés sur le plan de la collecte de renseignements, le personnel peut commencer la troisième phase, à savoir la visualisation. Il est à noter que, dans le cadre de cet article, la visualisation n’équivaut pas à l’état cognitif de visualisation du champ de bataille le plus souvent associé au niveau tactique. Cette phase consiste plutôt à décider de la forme de l’ICSO. En soi, une ICSO n’est qu’un artefact, un objet créé par un être humain. Mais lorsque cet objet est combiné aux capacités cognitives de ses utilisateurs, son objectif est atteint : un niveau commun de connaissance et de compréhension de la situation opérationnelle militaire. Cela rend le choix de la forme particulièrement important, car elle jouera un rôle puissant dans l’harmonisation de la compréhension du commandant avec celle de l’état-major.Note de bas de page 21 

Bien que de nombreux officiers d’état-major préfèrent commencer par la visualisation pour ensuite travailler en sens inverse, cette approche comporte des risques considérables. L’un de ses principaux risques est que la visualisation supplante le problème opérationnel, conduisant ainsi à une ICSO déconnectée des exigences du commandant. Il y a des occasions dans lesquelles une ICSO peut, et dans certains cas devrait, commencer par la visualisation. C’est particulièrement le cas dans les domaines au niveau tactique où l’adversaire, l’environnement, les BIFA et la doctrine militaire sont généralement bien compris. Cependant, lorsqu’on opère dans des domaines inconnus ou que l’on fait face à un problème opérationnel unique, le fait de partir des principes de base offre l’avantage d’obtenir un résultat proche de la réalité la première fois et crée un degré plus élevé de compréhension des besoins du commandant au sein du quartier général.

La visualisation est une question incroyablement complexe qui touche un certain nombre de disciplines. C’est également un sujet de débat intense, et de nombreux articles et études ont exprimé leur mécontentement face à de nombreuses formes que les ICSO ont prises au fil des ans.Note de bas de page 22  Pour surmonter ces problèmes, il est admis dans sa définition qu’une ICSO doit être adaptée aux besoins des personnes qui l’utilisent.Note de bas de page 23  Au lieu d’afficher de grandes quantités de renseignements fixes, une ICSO idéale devrait permettre aux commandants et à l’état-major de sélectionner et de corréler les renseignements qu’ils considèrent avoir un rapport avec

un aspect du problème opérationnel et le CONOPS du commandant. Cela comprend la possibilité d’approfondir s’il y a lieu, et d’examiner l’ensemble des renseignements d’un quartier général pour comparer différents types de renseignements. Rendre l’ICSO adaptable est lié à une exigence implicite de présenter les données de manière à permettre au quartier général de synthétiser les renseignements entre les différentes branches d’états-majors. Étant donné la diversité des renseignements inhérents à un commandement, ce n’est vraiment pas une tâche facile. 

Malgré la complexité susmentionnée, admirer le problème de la visualisation ne va pas le résoudre. La première étape vers l’établissement de la visualisation de l’ICSO est étroitement liée à la première étape du processus de construction de l’ICSO et aux BIFA. Les officiers d’état-major qui dirigent l’effort doivent analyser soigneusement les BIFA et tenter de dégager des points communs entre eux. En règle générale, il y aura des points communs qui relient certains d’entre eux. Dans les domaines terrestres, aériens et maritimes traditionnels et tactiques, les BIFA sont liés par le besoin de comprendre l’emplacement des capacités dans le temps et dans l’espace, chacun des domaines traditionnels utilisant une échelle différente, selon les caractéristiques des capacités tactiques utilisées. Les spécialistes tactiques au sein du domaine aérien voient le temps et l’espace à des échelles très différentes de celles utilisées par les officiers tactiques terrestres. Étant donné que le temps et l’espace sont généralement communs à la plupart des BIFA de niveau tactique dans les domaines traditionnels, les produits géomatiques sont prédominants dans les visualisations d’ICSO traditionnelles. Lorsque les planificateurs rencontrent des exceptions, ils conçoivent généralement des graphiques, des tableaux et d’autres artefacts sur mesure qui communiquent l’information et les évaluations en question de manière simplifiée pour que le décideur puisse les intégrer dans sa compréhension de la situation actuelle.

Dans les domaines de la cybernétique, de l’espace et de l’information non traditionnels, et face à certains problèmes opérationnels qui peuvent survenir à travers eux, une référence géomatique peut ne pas être la déduction logique. Bien que le temps et le séquençage soient souvent associés aux BIFA de manière directe ou indirecte, il n’en va pas forcément de même pour l’espace physique. Deux exemples de types de diagrammes qui peuvent être plus appropriés pour les visualisations de base dans certains domaines sont les diagrammes de réseau, qui décrivent les liens et leur degré d’influence relatif, et les diagrammes stylisés, qui montrent l’infrastructure et ses dépendances. Les planificateurs doivent également noter que, dans certains cas, il peut être nécessaire d’apprendre à leurs destinataires à les lire. Les officiers militaires et les sous-officiers oublient souvent que l’utilisation de cartes et de graphiques n’est pas une compétence automatique, mais qu’elle doit être enseignée, pratiquée et perfectionnée au fil du temps. Les professionnels militaires doivent comprendre qu’un processus similaire dans les nouveaux domaines exige un certain degré de discipline et de volonté d’apprendre, et que des changements de visualisations inutiles peuvent nuire à l’efficacité. 

Une deuxième considération à laquelle sont confrontés les planificateurs d’ICSO dans leur choix de visualisation est la facilité avec laquelle les domaines peuvent être liés les uns aux autres. Il est essentiel de faire appel au coup d’œil du commandant pour raccourcir les cycles décision-action. Comme il est essentiel de cerner les possibilités dans tous les domaines pour frapper l’adversaire dans des directions imprévues, il est indispensable de relier les trois environnements traditionnels les uns aux autres et aux domaines non physiques pour réussir.Note de bas de page 24  En fin de compte, le combat (ou la menace de combat) dans les domaines traditionnels définit la guerre et c’est une constante historique susceptible de persister à l’avenir.Note de bas de page 25  Par conséquent, l’un des défis clés de la conception de toute ICSO sera de combler l’écart cognitif entre ce qui est connu dans le monde physique et les éléments moins tangibles et plus incertains des domaines non physiques. L’auteur reconnaît pleinement le défi inhérent à cette tâche.

CONCLUSION : LA RÉFLEXION ET LA PRATIQUE AMÉLIORENT

On suppose souvent que le processus de création des ICSO est simple. C’est bien loin d’être le cas. Les essais et les erreurs ont conduit la Marine royale canadienne, l’Armée canadienne et l’Aviation royale canadienne à élaborer des pratiques exemplaires en matière d’ICSO qui reflètent le caractère unique de leurs domaines. Cela dit, les dilemmes opérationnels et les caractéristiques des domaines non traditionnels – et ceux qui existent au sein des quartiers généraux où ces domaines se recoupent – nécessitent une approche plus méthodique pour guider les efforts et les rapprocher le plus possible d’une réussite au premier coup. En comprenant le dilemme opérationnel, en utilisant un raisonnement déductif et en reconstruisant ces déductions au moyen de systèmes de rapports automatisés et manuels vers une base de visualisation, l’état-major peut fournir à son commandant un artefact puissant qui offre le coup d’œil nécessaire pour déséquilibrer nos adversaires. 

Bien que cet article ait l’intention de tracer la voie vers une ICSO efficace, les spécialistes militaires des nouveaux domaines de la cybernétique, de l’espace et de l’information auront probablement besoin d’élaborer une doctrine militaire propre à leurs domaines et de l’enseigner à toute une génération de hauts dirigeants avant d’atteindre le moment « eureka ». Aborder la question des ICSO de manière méthodique et disciplinée améliorera probablement notre rendement à court terme et permettra aux FAC d’aller de l’avant dans leur désir d’atteindre des niveaux plus élevés d’intégration tous domaines. 

À PROPOS DE L’AUTEUR

Le lieutenant-colonel Andrew J. Duncan, CD, est officier du renseignement et commandant de l’École du renseignement militaire des Forces canadiennes. Il a travaillé comme officier de liaison de la Force opérationnelle interarmées – LASER auprès du Commandement des opérations interarmées du Canada, et plus tard, comme officier de renfort aux efforts de planification à l’appui de l’opération VECTOR. 

MISE EN GARDE

Adapté de « L’image commune de la situation opérationnelle : un processus proposé pour les praticiens opérationnels interarmées », initialement publié dans la Revue de l’Aviation royale canadienne, Volume 11, hiver/printemps 2022. Adapté avec permission.

 

NOTES

  1. L’auteur tient à remercier les lieutenants-colonels Charlie Moores et James LeGresley, le major Neil George et le capitaine Zachary Simard de l’équipe d’évaluation interarmées du commandant du COIC pour avoir inspiré, façonné et enrichi cet article grâce à leurs efforts pendant l’Op VECTOR.
  2. Forces armées canadiennes, Concept d’emploi d’une force dans tous les domaines : triompher dans un monde incertain, ébauche à des fins de discussion uniquement, Ottawa, Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2021, p. 8-11.
  3. Keir Giles, Russia’s “New” Tools for Confronting the West: Continuity and Innovation in Moscow’s Exercise of Power, Londres, The Royal Institute of International Affairs, 2016, p. 31-33. 
  4. Forces armées canadiennes, B-GL-357-001/FP-002, Manuel de campagne – Le renseignement, Ottawa, Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2000, p. 41-54.
  5. Forces armées canadiennes, Publication interarmées des Forces canadiennes 2.0, Le renseignement, Ottawa, Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2011, p. 2­-4, cite un document de la Banque de terminologie de la défense qui définit une image commune de la situation opérationnelle comme « une représentation visuelle interactive et partagée des informations opérationnelles recueillies auprès de diverses sources ».
  6. Gouvernement du Canada, « Image commune de la situation opérationnelle », Termium Plus, Ottawa, Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2019, consulté le 15 mars 2021. 
  7. Gouvernement du Canada, « Connaissance de la situation », Termium Plus, Ottawa, Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2014, consulté le 15 mars 2021. « Environnement des opérations » est défini comme un « ensemble de conditions, circonstances et influences qui agissent sur l’emploi des capacités et qui ont des incidences sur les décisions du commandant ».
  8. Gouvernement du Canada, « Planification », Termium Plus, Ottawa, Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2000.
  9. Oxford University, « Dynamic », The Canadian Oxford Dictionary, Oxford, Oxford University Press, 2001.
  10. Oxford University, « Tailorable », The Canadian Oxford Dictionary, Oxford, Oxford University Press, 2001.
  11. Carl von Clausewitz, De la guerre, Paris, Librairie académique Perrin, 1999, p. 141-142. 
  12. Joint Staff, J-7 Joint and Coalition Warfighting, Planner’s Handbook for Operational Design, Suffolk (Virginie), U.S. Department of Defense, 2011, p. III­6-III­7. 
  13. Forces armées canadiennes, B-GL-300-003/FP-002, Le commandement dans les opérations terrestres, Ottawa, Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2007, p. 2­-10-2­-20.
  14. Une discussion détaillée sur les BIFA se retrouve sur http://warnerds.com/?p=256 
  15. Zach Simard, « RE: Staff Paper – COPs » (courriel), message à Andrew Duncan, 15 mars 2021. 
  16. Ce processus est dérivé de la planification de la collecte de renseignements utilisée par le G2. Voir Forces armées canadiennes, B-GL-357-001/FP-002, Le renseignement, Ottawa, Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2001, p. 46-53.
  17. Zach Simard, « RE: Staff Paper – COPS ».
  18. Ibid., et Talend, Structured vs. Unstructured Data: A Complete Guide, Redwood City, 2021. Sur Internet : https://www.talend.com/resources/structured-vs-unstructured-data/
  19. James LeGresley, « RE: Staff Paper – COPs » (courriel), message à Andrew Duncan, 16 mars 2021.
  20. Zach Simard, « RE: Staff Paper – COPS », Neil George, « RE: Staff Paper – COPs » (courriel), message à Andrew Duncan, 17 mars 2021, et Charlie Moores, « RE: Staff Paper – COPs » (courriel), message à Andrew Duncan, 15 mars 2021.
  21. Ulrik Spak, The Common Operational Picture: A Powerful Enabler of a Cause of Severe Misunderstanding?, Los Angeles, 22e International Command and Control Research and Technology Symposium, 2017, p. 15. 
  22. Ibid., p. 10-14.
  23. Ibid.
  24. Forces armées canadiennes, Concept d’emploi d’une force dans tous les domaines, p. 17-22.
  25. Paul Barnes, « Neophilia, Presentism, and Their Deleterious Consequences for Western Military Strategy », West Point (New York), Modern War Institute at West Point. Sur Internet : https://mwi.usma.edu/neophilia-presentism-deleterious-consequences-western-military-strategy/

Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition d’avril 2024 du Journal de l’Armée du Canada (20-2).

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