Critique de livre - O’reagan, Douglas M. - Taking Nazi Technology: Allied Exploitation of German Science after the Second World War

Critique préparée par Matt Malone, Professeur adjoint (Faculté de droit) à l’Université Thompson-Rivers

Couverture du livre

Baltimore, MD
Johns Hopkins University Press, 2021
296 pp.
ISBN : 978-1-42143-984-6

Dans son livre Taking Nazi Technology, Douglas O’Reagan examine les efforts quadripartites des puissances occupantes visant à transférer les technologies de l’Allemagne nazie après la Seconde Guerre mondiale. Son ouvrage est riche en enseignements pour les défenseurs de la rhétorique actuelle qui maintiennent que le vol de propriété intellectuelle (PI) est une préoccupation en matière de sécurité nationale. L’auteur contribue à apporter la nuance nécessaire aux affirmations de certains rapports, notamment celui du Joint Economic Committee du Congrès américain, Les conséquences du vol de propriété intellectuelle sur l’économie (Impact of Intellectual Property Theft on the Economy). Ce dernier insiste sur la gravité du vol de PI pour la sécurité nationale, mais note l’impossibilité de mesurer ce vol avec exactitude ou d’en estimer précisément l’ampleur.Note de bas de page 1 Ces lacunes importantes sont typiques de la recherche dans le domaine.

O’Reagan omet entièrement d’estimer la valeur des « réparations intellectuelles »Note de bas de page 2, rejetant les tentatives de le faire comme défiant la comptabilité facile.Note de bas de page 3 Toutefois, il convient que « toute personne qui souhaite défendre l’idée selon laquelle les réparations intellectuelles ont représenté un gain énorme pour les États-Unis … peut trouver de nombreuses preuves à l’appui de cette affirmation ».Note de bas de page 4 En effet, durant la guerre, les technologies avancées des nazis suscitaient la peur et la convoitise chez les pouvoirs alliés, qui étaient témoins des avancées incroyables de l’avion à moteur à réaction et des missiles V1 et V2. Qui plus est, les universités de recherche allemandes (des institutions inventées par le pays) bénéficiaient d’une réputation éclatante. De 1901, date à laquelle on a remis les prix Nobel pour la première fois, jusqu’en 1956, l’Allemagne a remporté chaque année plus de prix Nobel que n’importe quel autre pays, à l’exception d’une fois.

L’argument principal de Douglas O’Reagan est que l’obsession du détournement des technologies allemandes s’est heurtée au constat que la simple copie de documents techniques abstraits ne permet pas d’effectuer un transfert de technologies. Ce détournement a confronté les puissances occupantes à un « problème d’information »,Note de bas de page 5 les obligeant à assimiler une quantité « stupéfiante »Note de bas de page 6 de documents. Après leur occupation du Bureau des brevets allemand à la fin de la guerre, les Américains avaient mis la main sur les documents en microfilmant tout ce qu’ils pouvaient trouver et en refusant leur accès aux Français et aux Soviétiques (mais en le garantissant aux Britanniques). Pourtant, la majorité de l’information est demeurée inutilisée même si les Américains fournissaient chaque semaine des bibliographies de documents techniques aux acteurs de l’industrie. (Les décrets-lois du président Truman ordonnaient la diffusion à l’industrie américaine des renseignements de guerre produits au pays et acquis à l’étranger.Note de bas de page 7 ) L’auteur cite le Technical Industrial Intelligence Committee des États-Unis qui observe qu’en 1947, il y avait « littéralement des centaines de tonnes de données non traitées qui étaient dispersées dans différents dépôts en Allemagne, en France, en Angleterre et au Japon ».Note de bas de page 8

Le transfert de technologies ne consiste pas à « copier des documents ».Note de bas de page 9 Il nécessite plutôt de reconnaître que « les technologies habitent autant, sinon plus, les personnes que les objets ».Note de bas de page 10 Ainsi, l’auteur met en évidence l’exemple le plus évident pour cet argument. En effet, le retour à la productivité de l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale lors du Wirtschaftswunder (miracle économique) démontre que le pays avait conservé une grande partie de sa valeur sur les marchés internationaux d’après-guerre même s’il avait été pillé.Note de bas de page 11 Il était également interdit aux innovateurs allemands de déposer une demande de protection des droits de PI entre 1945 et 1949. Malgré toutes ces perturbations, « les conséquences économiques de l’exploitation des technologies étaient, dans le pire des cas, insuffisamment dommageables pour empêcher le miracle économique ».Note de bas de page 12

Pour les lectrices et les lecteurs peu familiers avec les efforts des pouvoirs alliés visant à transférer les technologies, O’Reagan résume chacun de ces efforts en s’appuyant sur certaines des études les plus convaincantes disponibles à ce jour. L’opération PAPERCLIP, l’initiative la plus notable de l’effort américain pour transférer les technologies, avait pour objectif d’exfiltrer directement les scientifiques de l’Allemagne nazie. Il s’agissait autant d’un effort pour faire entrer la science allemande dans le giron américain que de l’empêcher de tomber dans celui de l’Union soviétique. L’exemple le plus emblématique de l’opération PAPERCLIP pourrait être le scientifique Wernher von Braun, membre de l’équipe de conception du missile V2 au site militaire de recherche nazi à Peenemünde, dont les Américains se sont emparés avant les Soviétiques après la guerre.Note de bas de page 13 von Braun a ensuite contribué au développement du lanceur spatial Saturn V, qui a envoyé des astronautes sur la Lune. Le rôle de Wernher von Braun dans cet effort « semble avoir été crucial ».Note de bas de page 14 Dans son livre, l’auteur explique qu’il faisait partie d’un groupe de scientifiques allemands du domaine aérospatial qui se sont installés à Huntsville (Alabama) après la guerre. En revanche, dans le cadre de l’opération OSOAVIAKHIM, la version soviétique de cet effort, environ 3000 scientifiques, ingénieurs et autres savants ont été expulsés de force la nuit du 22 octobre 1946 et envoyés en Union soviétique.Note de bas de page 15 En 1958, la plupart d’entre eux étaient retournés en Allemagne.Note de bas de page 16

Après de nombreux exemples illustrant comment l’exfiltration de personnes, et non de documents, était plus efficace pour le transfert de technologies, O’Reagan affirme que cette prise de conscience a ébranlé les assises des cadres juridiques et de sécurité nationale existants. L’auteur suggère que cet effort a amené les forces alliées à abandonner l’idée erronée selon laquelle « la technologie serait un jeu à somme nulle » et à élaborer des cadres de PI qui reconnaissent et protègent les connaissances « intégrées».Note de bas de page 17 Il affirme ensuite que l’essor de cette loi sur la PI après la Seconde Guerre mondiale découlait de cette prise de conscience et coïncidait avec la pression exercée par les Américains pour que « les autres pays adoptent les normes américaines dans le droit des affaires ».Note de bas de page 18 La reconnaissance par les juges, les avocats et les législateurs de l’importance du savoir-faire technique a mené à la création de nouvelles branches du droit qui ont « permis de généraliser l’octroi de licences de ce savoir-faire des années 1940 jusque dans les années 1970 ».Note de bas de page 19 Le pourcentage d’articles des revues juridiques dans lesquels figurait le terme « savoir-faire technique » a augmenté de 0 % en 1940 à 0,15 % en 1950, puis à 0,35 % en 1970.Note de bas de page 20 Pareillement, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que l’expression « propriété intellectuelle » a commencé à être utilisée couramment.Note de bas de page 21

L’argument global de Douglas O’Reagan est que le transfert de technologies le plus efficace provient des personnes et non des objets.Note de bas de page 22 L’assimilation des vastes quantités d’information technique diffusée après la guerre représentait un défi énorme et a nécessité des ensembles de connaissances « plus générales ».Note de bas de page 23 Note de bas de page 24 En évoquant les arguments sur la nécessité « d’attirer et de retenir des scientifiques étrangers et des travailleurs qualifiés … plutôt que de les expulser à l’expiration de leur visa temporaire ou d’étudiant », l’auteur fait des commentaires prudents sur l’état actuel du discours sur la sécurité nationale aux États-Unis. Il affirme que la crainte actuelle des brèches de données n’est qu’une diversion de la « plus grande menace »Note de bas de page 25 que représentent le déplacement des personnes et la perte de talents. On espère que d’autres chercheurs se pencheront sur la question.

Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition d’avril 2024 du Journal de l’Armée du Canada (20-2).

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