Critique de livre - Off, Carol - The Lion, The Fox & The Eagle: A Story Of Generals And Justice In Yugoslavia And Rwanda

Critique préparée par le capitaine Alexander Landry, M.B.A., officier d’état-major du génie au Commandement terrestre allié de l’OTAN

Couverture du livre

Toronto, Canada
Random House Canada, 2000
406 pp.
ISBN: 9780679310495

Alors que les Forces armées canadiennes (FAC) se trouvent sous la loupe et repensent leur culture, le critique estime que le progrès durable passe par l’analyse d’une période tumultueuse de l’histoire l’organisation, mais aussi des stratégies qui ont finalement mené à sa conclusion. Analysant des missions des FAC à l’étranger dans les années 1990, et constituant peut-être même une introspection sur une époque ayant fait de l’organisation ce qu’elle est aujourd’hui, l’ouvrage The Lion, the Fox & the Eagle de Carol Off est toujours d’actualité, d’autant plus que son récit met en avant l’ancienne juge de la Cour suprême à la tête de l’examen externe indépendant des FAC. Tout compte fait, il s’agit d’une histoire qui se veut celle des généraux et de la justice au Rwanda et en Yougoslavie – ou peut-être d’un défaut de justice, selon l’interprétation de l’histoire qu’on fait trente ans plus tard.

Carol Off est indiscutablement une légende du journalisme canadien; elle a déjà animé As It Happens, à la Première chaîne de la CBC, et est l’une des principales journalistes à avoir couvert les opérations des FAC dans les Balkans pendant l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. The Lion, the Fox & the Eagle fait la genèse des conflits en Bosnie et au Rwanda, avant d’analyser l’engagement canadien en se penchant sur le rôle de deux anciens généraux et d’une juge.

L’auteure s’intéresse d’abord au « lion » de l’histoire, Roméo Dallaire, qui se décrivait comme un « homme de l’OTAN » et qui possédait l’expérience de la préparation à la supposée culmination de la confrontation avec les Russes. Disons néanmoins qu’il n’était pas préparé à la poudrière qu’était le Rwanda à l’époque, où s’est joué l’un des pires génocides de mémoire récente. L’auteure prend soin d’esquisser l’histoire d’un chef militaire de premier plan qui allait malheureusement se retrouver empêtré dans la politique d’un conflit. Il comprendrait trop tard que la cavalerie ne viendrait pas, et que la communauté internationale resterait les bras croisés face à ce que l’on croyait à l’époque être un simple conflit et non un véritable massacre ethnique. Tout au long du texte, Mme Off décrit non seulement le conflit en lui-même, mais aussi ses conséquences sur Dallaire, ce qui, aux yeux du critique, constitue un prélude à J’ai serré la main du diable et à Premières lueurs, deux livres qu’il publierait plus tard. Compte tenu de l’époque de sa publication et des entretiens avec le général à la retraite qu’il contient, l’ouvrage est un incontournable pour les supporteurs et les supportrices de Dallaire et les historiens militaires s’intéressant aux Nations Unies.

Passant à l’analogie du « renard », l’auteure transporte le lecteur et la lectrice dans le contexte (moderne) d’une ville assiégée pendant trois ans et où une force de maintien de la paix se trouve une fois de plus à juger de l’« équivalence morale » dans un conflit opposant deux forces apparemment armées dans la région. Dans ce cas, le Canadien à la tête du groupe de travail est Lewis MacKenzie, un général qui sera reconnu (et peut-être plus tard vilipendé) pour s’être servi des médias afin de faire voir le conflit à la face du monde. Il y a long à dire sur le personnage controversé qu’est l’ancien général, et Carol Off y parvient avec brio. Dans un portrait incroyablement juste de celui qui pourrait être considéré comme le faire-valoir de Dallaire à bien des égards, l’auteure illustre ce qui peut se produire lorsque la force neutre prend manifestement parti. Elle se demande également comment un parti pris peut compromettre une situation par ses effets sur l’équivalence morale (si tant est qu’il y en ait une) ou simplement les relations entre les factions impliquées.

Enfin, Mme Off dépeint l’« aigle » par son récit de la nomination de la juge Arbour au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Il ressort de cette partie du texte que la juge Arbour s’est avérée une leader incroyablement juste de ces deux tribunaux, tirant le meilleur parti d’une situation difficile alors que les Nations Unies cherchaient à apaiser la consternation suscitée par deux missions vraisemblablement ratées. Bien qu’il persiste des incohérences au sein de ces tribunaux, Mme Arbour a fait avancer les choses en matière de droit international et a souligné avec succès l’importance du genre de poursuites intentées, les premières depuis Nuremberg. Au-delà de la trame générale de l’histoire, livrée dans un style captivant, on rappelle que des autorités criminelles, dont un chef d’État, ont été traduites en justice pour crimes contre l’humanité. Dans une certaine mesure, cela vient jeter un baume sur les deux parties précédentes du livre, qui plongent le lecteur et la lectrice dans deux grands gâchis.

En résumé, The Lion, the Fox & the Eagle demeure une analyse fondamentale de l’intérêt des FAC et du Canada pour le maintien de la paix avant l’Afghanistan. Le contexte dans lequel s’inscrit ce livre retrouve sa pertinence, alors que le monde entre dans une nouvelle ère de confrontation et d’intimidation entre pays voisins de force quasi égale dans les points chauds de la planète. Deux décennies après sa publication, le récit que fait Carol Off de deux opérations canadiennes de maintien de la paix nous rappelle notre rôle dans le monde et l’époque où le Canada était à l’avant-garde des affaires étrangères et cherchait à donner un sens à la justice au sein d’empires en déclin et dans des querelles ethniques de longue date. Bien que l’avenir des Nations Unies et de ses missions de maintien de la paix reste incertain dans un contexte de tensions renouvelées entre les puissances mondiales, The Lion, the Fox & the Eagle apporte un éclairage sur ce qui peut se produire lorsque ces missions tournent mal et que les crises ne sont pas gérées dans leur phase précoce. Nous recommandons vivement cette lecture aux membres des FAC, ainsi qu’aux Canadiennes et aux Canadiens souhaitant s’imprégner de l’époque à laquelle le Canada était un grand acteur sur la scène internationale. 

Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition d’avril 2024 du Journal de l’Armée du Canada (20-2).

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