Critique de livre - Oliviero, Charles S. - Auftragstaktik: The Birth of Enlightened Leadership 

Critique préparée par le major (à la retraite) Gerry (GD) Madigan, CD, M. Sc., M.A., logisticien des Forces armées canadiennes à la retraite

Le leadership est souvent considéré comme un don inné qui se manifeste naturellement. La plupart du temps, toutefois, il s’acquiert au cours de l’apprentissage continu de la formation professionnelle et au fil de l’avancement de carrière. Un véritable leader est une personne qui est ouverte aux nouveaux concepts de même qu’aux nouvelles idées et expériences et qui perçoit l’utilité de leur application, si ce n’est aujourd’hui, à tout le moins dans l’avenir.

Auftragstaktik: The Birth of Enlightened Leadership présente une telle occasion. L’auteur, le colonel Charles S. Oliviero, soutient que le concept d’Auftragstaktik: demeure « mal compris », bien qu’il ait été adopté comme l’un des piliers du commandement de mission de l’OTAN. Il explique le concept de façon exhaustive dans le but de faire mieux connaître la véritable intention de l’Auftragstaktik:.

Le colonel Oliviero fouille dans le dossier historique et se penche sur les personnes, les lieux, les événements et l’évolution de l’état-major général allemand : l’ascension et la chute de ce dernier, de même que son excellence. Il est important de noter que l’état-major général allemand a permis d’élaborer ce concept et de le faire évoluer par suite des échecs et des leçons apprises; c’est ce qui définit le contexte de la thèse de l’auteur quant à la pérennité et à la pertinence continue de l’Auftragstaktik:. Malgré la mise en œuvre réussie de ce concept dans certaines armées et le désir d’autres armées de l’imiter, ce n’est pas quelque chose qui peut être facilement adopté ou appliqué harmonieusement d’une armée à l’autre, surtout en raison de la diversité des cultures militaires. L’Auftragstaktik: est une philosophie culturelle, et il est difficile de l’aborder comme un système de valeurs.

Il s’agit d’un concept qui prévoit de possibles échecs et écarts et dans le cadre duquel il existe une [traduction] « […] confiance mutuelle entre les supérieurs et les subordonnés : les supérieurs fixent des objectifs, offrent des ressources et donnent carte blanche aux subordonnés pour atteindre ces objectifs ».^{Note de bas de page 1}  Le colonel Oliviero n’est pas seul à réclamer un changement en matière de leadership. Il est opportun que son travail soit présenté alors que nos collègues civils se penchent sur la même question, bien qu’ils le fassent à partir de points de vue différents. Eux aussi plaident en valeur d’un nouveau concept du leadership, et leurs attentes sont semblables.

Le plus grand degré de latitude et de confiance se trouve dans un résultat où l’intention stratégique d’un commandant est respectée. Il s’agit peut-être de la question qui pose problème pour nombre de personnes puisqu’elle nécessite également une responsabilité partagée et une confiance mutuelle entre les leaders et les subordonnés.^{Note de bas de page 2}  En fait, cet aspect à lui seul est probablement inconcevable pour la réflexion, l’apprentissage et la formation au Canada sur le plan stratégique. Dans les mots du colonel Oliviero, [traduction] « la confiance était dirigée non seulement vers le haut, mais, plus important encore, également vers le bas, des officiers aux soldats ».^{Note de bas de page 3}  L’élément le plus important est la ressemblance avec le point de vue de nos collègues civils – ce concept a pour but de faire des soldats des [traduction] « actionnaires des opérations plutôt que des employés non consultés ».^{Note de bas de page 4}

Le colonel Oliviero a été exposé très tôt au concept d’Auftragstaktik: dans le cadre d’une affectation au Collège d’état-major général à Hambourg au début de sa carrière. C’est dans le contexte dynamique des travaux de cours, de l’acquisition d’expérience et des débats entre ses collègues et le personnel de direction qu’il a commencé à explorer la pertinence de l’Auftragstaktik: et sa mise en œuvre.

L’auteur soutient que, parfois, l’avantage fondamental des concepts ne ressort pas clairement. Il est souvent enfoui profondément dans la psyché et le langage – sur le plan social – d’une autre culture. Par conséquent, la pertinence des concepts n’est pas facile à comprendre, à transférer et à traduire : il s’agit là d’une difficulté et d’une lacune de l’Auftragstaktik:.

La carrière du colonel Oliviero montre clairement la valeur à la fois d’apprendre et vivre la langue et d’absorber la culture; c’est ce qui rend une telle entreprise utile, grâce à cette exposition culturelle. C’est là où les idées sont mûries dans l’élaboration de la formation militaire personnelle et inculquées à travers les idéaux de l’histoire, les valeurs culturelles et les réflexions d’un pays hôte, explorées ouvertement et honnêtement sans conditions préalables. À ce moment, et seulement à ce moment, l’on peut commencer à véritablement comprendre ces idées et à tenter de les traduire dans sa langue maternelle. Peu de personnes se voient offrir la chance d’acquérir ou de vivre une telle expérience; encore moins sont prêtes à en tirer profit.

L’amiral Isoroku Yamamoto représente un tel exemple. Son avancement de carrière, son éducation et ses expériences personnelles ont influé sur l’évolution de sa réflexion et de son style en matière de leadership militaire.^{Note de bas de page 5}  L’amiral Yamamoto, comme le colonel Oliviero, a effectué des études et des affectations qui l’ont amené à toujours vouloir suivre des formations et se perfectionner sur le plan professionnel. Ce qu’il faut retenir de la vie de l’amiral Yamamoto est l’importance fondamentale du temps passé, de l’expérience acquise et des études suivies aux États-Unis ainsi que des diverses missions diplomatiques à l’étranger. La combinaison de ces facteurs tôt dans sa carrière a façonné ses pensées et les concepts employés dans la guerre du Pacifique. L’amiral Yamamoto étudiait et adoptait de nouvelles idées. Il a délaissé la doctrine courante des grands canons des cuirassés pour se tourner vers la primauté des porte-avions dans sa planification. Son expérience du domaine de l’aviation a grandement influé sur la réflexion stratégique non seulement au sein de l’état-major de la marine japonaise, mais également chez tous les belligérants.

Un autre élément à retenir du travail du colonel Oliviero est la valeur des leçons apprises, quelle que soit la source, et leur mise en application de façon appropriée. Cela signifie que le leadership nécessite un désir et une ouverture d’esprit à l’égard de l’apprentissage, parallèlement à une volonté d’accepter les conséquences d’une erreur. Dans ce livre, le colonel Oliviero admet que le concept d’Auftragstaktik: n’est pas facilement transférable et risque même de froisser nos susceptibilités canadiennes sur le plan militaire. Par conséquent, certaines personnes rejetteront peut-être d’emblée le concept, le considérant comme indéfendable du point de vue de la doctrine. Pourtant, les germes de ses retombées devraient être pris en compte si nous voulons faire progresser la doctrine et les concepts stratégiques.

L’Auftragstaktik: nécessite de faire confiance à ses subordonnés. Le colonel Oliviero a déjà occupé les fonctions de chef d’état-major du Collège de commandement et d’état-major de l’Armée canadienne. Il a pris la mesure audacieuse de donner plus de responsabilités à ses subordonnés civils et militaires pour la prise de décisions, au besoin, sans craindre les représailles ou la censure. Une décision audacieuse à l’époque où l’on donnait l’exemple par ses gestes et paroles a fait naître un certain scepticisme chez de nombreuses personnes. Le colonel Oliviero a donné un exemple de confiance concernant une secrétaire laissée seule avant une longue fin de semaine. Le bureau d’impression a appelé pour demander une permission urgente d’imprimer des copies supplémentaires des instructions de ralliement pour un cours. La secrétaire avait comme choix d’attendre le retour du gestionnaire ou de se montrer proactive et d’approuver cette simple demande. Le colonel Oliviero a décrit le contexte comme suit : comme le besoin était à la fois légitime et urgent, la secrétaire pouvait l’approuver et en informer son superviseur à son retour.^{Note de bas de page 6}  Elle ne s’était jamais vu offrir une telle confiance auparavant.

L’Auftragstaktik: est un système de valeurs qui a évolué en Allemagne depuis le début des années 1600 et qui a été maintenu et perfectionné jusqu’à la création de l’état-major général du pays. Ce n’est peut-être pas un système qui convient à de nombreuses situations. Il s’agit d’un défi intellectuel que le lectorat peut tenter de relever pour lui-même. Ainsi, l’Auftragstaktik: peut servir de construction intellectuelle pour l’apprentissage personnel et professionnel.

Peu importe l’opinion et la disposition d’une personne à l’égard du concept et de son utilité, Auftragstaktik: The Birth of Enlightened Leadership est une œuvre visionnaire qui mérite un plus grand lectorat, particulièrement au sein des Forces.

Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition d’avril 2024 du Journal de l’Armée du Canada (20-2).