Allocution de la ministre Gould au Collège Massey

Discours

Le 10 janvier 2020 - Toronto (Ontario)

Le discours prononcé fait foi. Ce discours a été traduit en conformité avec la Politique sur les langues officielles du gouvernement du Canada et révisé aux fins d’affichage et de distribution conformément à sa politique sur les communications.

D’abord et avant tout, je vous remercie de m’avoir invitée à participer à la conférence d’aujourd’hui. Le sujet : L’internationalisme libéral, hier et aujourd’hui, ne pourrait pas être plus opportun.

Alors que nous célébrons le centenaire de la naissance du premier ministre Trudeau père [Pierre Elliott], il est important de réfléchir à ce qui a changé depuis son départ du pouvoir, mais aussi à ce qui n’a pas changé. C’est aussi l’occasion de réfléchir au rôle du Canada sur la scène internationale.

Il est important d’avoir ce genre de conversation alors que nous sommes confrontés à un monde difficile et incertain. Permettez-moi d’abord de présenter un argument en faveur de l’optimisme et de notre engagement envers la façon canadienne de faire les choses.

Il y a des gens au Canada qui préconisent une approche plus réaliste relativement à la conduite de nos relations internationales. Il y en a qui préconisent l’abandon de notre engagement inébranlable à l’égard de l’ordre international fondé sur des règles et qui pensent que l’on ne devrait pas toujours respecter les règles du jeu. Personne d’autre ne le fait, pourquoi devrions-nous le faire?

Certains soutiennent que nous ne devrions pas nous donner la peine de faire notre part face à l’urgence climatique. Puisque d’autres pays ne font pas leur part, pourquoi devrions-nous modifier notre mode de vie?

En fait, nous avons vu cette approche commencer à se concrétiser par un dénigrement des Nations Unies et du multilatéralisme, par une sélection des droits de la personne à défendre, par l’abandon des engagements internationaux pour lutter contre les changements climatiques, par un pied de nez aux institutions mêmes que nous, en tant que Canadiens et Canadiennes de tous les partis, avons travaillé si fort à bâtir au cours de l’après-guerre.

L’isolationnisme, le populisme et le repli sur soi sont des attitudes que rejettent la majorité des Canadiens. Ils ne perçoivent pas le rôle de notre pays sur la scène internationale comme un obstacle, mais plutôt comme une occasion à saisir.

À titre de spécialiste des relations internationales, je me suis toujours identifiée comme une internationaliste libérale, et j’ai probablement parfois semblé un peu naïve aux yeux de mes professeurs et de mes pairs plus réalistes. Cependant, en assumant ce nouveau rôle de ministre du Développement international, je me rappelle pourquoi l’optimisme et l’engagement à l’égard d’un monde meilleur et interconnecté sont une caractéristique déterminante de la politique étrangère du Canada.

En tant que Canadiens, à titre de citoyens de puissance intermédiaire, nous comprenons trop bien que notre propre intérêt réside dans un monde plus pacifique, plus stable et plus équitable. Les événements qui se sont produits en Iran ces derniers jours et la perte tragique d’un si grand nombre de concitoyens nous rappellent brutalement cette réalité. Nous ne sommes pas à l’abri de l’instabilité au Moyen-Orient.

Pour parvenir à un monde plus pacifique, plus stable et plus équitable, nous devons aller au-delà de la diplomatie et de la défense, et faire preuve d’un engagement ferme à l’égard du développement. Nous devons commencer à voir le développement non seulement comme un outil dans la trousse de notre politique étrangère, mais comme un pilier déterminant de ce que nous sommes en mesure de réaliser sur la scène internationale.

Pierre Trudeau comprenait cela.

Alors que l’idée a vu le jour sous la gouverne de son prédécesseur, le premier ministre Pearson, Pierre Elliot Trudeau a préparé la voie à l’émergence du Canada sur la scène mondiale en tant que partenaire crédible, compatissant, juste et fiable. La création de l’Agence canadienne de développement international [ACDI] et la création du Conseil de recherches pour le développement international [CRDI] sont deux réalisations de M. Trudeau.

Lorsque j’étais secrétaire parlementaire de la ministre du Développement international en 2016, j’ai assisté à une conférence à Nairobi [au Kenya]. J’ai dû rencontrer plus d’une douzaine de chefs d’État et de ministres des Affaires étrangères de différents pays africains, et tous, sans exception, avaient un lien étroit avec l’ACDI. Ils m’ont fait part d’une histoire liée à l’éducation, à la prestation de services de santé, à la recherche ou à la défense des droits des femmes qui a été rendue possible grâce à l’aide canadienne au développement.

Grâce à l’engagement des Canadiens en faveur d’un monde meilleur, ces histoires se poursuivent lorsque nous rencontrons les centaines d’anciens chercheurs-boursiers et bénéficiaires du CRDI partout dans le monde qui dirigent maintenant leurs pays ou des organisations internationales.

Il s’agit de l’image que les Canadiens ont à cœur. C’est l’histoire que nous nous racontons à propos de notre engagement à l’égard d’un monde meilleur et plus pacifique, et c’est ce que nous continuons d’essayer de réaliser.

En tant que ministre du Développement international, je suis confrontée à la juxtaposition de l’image du Canada de la période d’après-guerre, à une époque de grande coopération internationale entre les pays occidentaux, unis dans la lutte contre le communisme et la construction d’un ordre international fondé sur des règles, avec l’image du Canada que nous voulons projeter aujourd’hui, dans un monde occidental fracturé, où le populisme et l’isolationnisme se profilent dans la politique de certains de nos plus proches alliés.

Alors pourquoi devrions-nous accueillir à bras ouverts l’internationalisme libéral à une époque de turbulence et d’incertitude mondiales? Ne ferions-nous pas mieux de nous retirer dans notre coin tranquille du monde?

En ce qui me concerne, c’est un non catégorique et, en fait, je pense que nous devons redoubler d’efforts pour promouvoir nos valeurs et travailler avec nos alliés et partenaires pour protéger et améliorer ces institutions, ces systèmes et ces règles qui assurent notre prospérité et notre sécurité collectives.

Je viens de quitter un portefeuille où la défense de notre démocratie contre des acteurs étrangers malveillants était une de mes principales responsabilités. Ces menaces sont réelles. Nous traversons une période au cours de laquelle diverses visions du monde s’affrontent, et ce sont nos réactions qui vont façonner notre histoire.

On l’a vu dans la manière dont le gouvernement de Jean Chrétien a réagi au lendemain des événements du 11 septembre ou dans le leadership et la compassion dont a fait preuve la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern à la suite des attentats de Christchurch.

Étant donné que l’ordre international fondé sur des règles est menacé, nous, les Canadiens, devons respecter nos valeurs et les faire valoir. Non seulement parce qu’il s’agit de la bonne chose à faire partout dans le monde, mais parce que c’est la bonne chose à faire pour les Canadiens.

Je comprends que pour certains, il s’agit d’un concept inconfortable, qui place notre travail et notre programme de développement dans notre propre intérêt. Mais il est crucial pour nous de voir les choses de cette façon, parce que les problèmes auxquels nous sommes confrontés ici même dans notre pays ne seront pas résolus uniquement par la diplomatie ou par la défense : le développement est la clé pour surmonter ces défis.

Qu’il s’agisse des changements climatiques, des flux migratoires et de réfugiés, des pandémies ou de l’insécurité alimentaire [parmi d’autres enjeux], le monde est de plus en plus interconnecté. Nous ne pouvons pas ignorer les changements qui se profilent à l’horizon, et si nous voulons contribuer aux solutions et protéger ce que nous avons ici au pays, nous devons être des acteurs engagés à l’échelle mondiale, en particulier pour le développement.

Cela signifie qu’il faut s’appuyer sur la tradition canadienne de longue date qui consiste à défendre les droits de la personne, la justice et la démocratie. Il faut travailler sur les questions les plus difficiles que beaucoup de gens ont choisi d’éviter, dans les endroits les plus difficiles, et agir comme des Canadiens afin que nous puissions atteindre ceux qui en ont le plus besoin.

C’est pourquoi je suis si fière de pouvoir mettre en œuvre la Politique d’aide internationale féministe du Canada, lancée par la ministre Marie-Claude Bibeau en juin 2017. Nous transformons notre façon de faire du développement. En fait, Mark Lowcock, le chef du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, a déclaré, en réponse à notre aide humanitaire axée sur l’égalité des genres : « Le Canada a établi une norme que de nombreux autres pays du monde devraient chercher à imiter ».

La Politique d’aide internationale féministe du Canada est, à mon avis, l’innovation la plus importante dans la coopération internationale du Canada depuis la création de l’ACDI et du CRDI.

Elle nous force à nous attaquer à la cause fondamentale de la pauvreté et de l’instabilité : l’inégalité. Elle permet de fonder nos programmes de développement sur la conviction fondamentale que toutes les personnes — peu importe leur genre, leur sexualité, leur race, leur religion ou leurs croyances — ont les mêmes droits inaliénables. Et que nous ne pouvons pas atteindre les Objectifs de développement durable si nous laissons de côté la moitié de la population mondiale.

Plus important encore, nous ne pouvons aspirer à l’égalité des genres si nous ne tenons pas compte de la santé et des droits sexuels et reproductifs. Le droit des femmes de choisir et leur capacité d’avoir accès à des services de planification familiale et d’avortement sécuritaire sont essentiels à la création d’un monde plus équitable, plus pacifique et plus prospère.

En août 2017, j’ai fait un voyage en Éthiopie. Nous avons visité un petit village près de Mekele et nous nous sommes arrêtés à la clinique de santé locale. Une demi-douzaine de femmes sont venues nous accueillir.

Nous avons parlé du programme de vaccination et de nutrition des enfants et du fait que ces mesures ont grandement amélioré la santé au sein de leur collectivité. Puis, nous sommes passées au sujet de la régulation des naissances.

Une femme a parlé de l’autonomie qu’elle avait sur son corps et sur sa vie reproductive et de la transformation que cette autonomie a eue sur la dynamique du pouvoir de son mariage. Elle a expliqué qu’elle est devenue la professionnelle en santé de la communauté, qu’elle contribue au revenu familial, et qu’elle s’est attiré le respect de son mari parce qu’elle gagne un bon revenu. Enfin, elle a ajouté que sa fille de 15 ans, qui est maintenant au secondaire et qui nourrit l’espoir de devenir infirmière, pouvait la considérer comme un modèle à suivre et voir d’elle-même que les femmes peuvent être autonomes.

La santé et les droits sexuels et reproductifs sont non seulement essentiels en soi, mais ce sont aussi des facteurs qui nous aident à atteindre tous nos autres objectifs de développement, soit la sécurité alimentaire, le développement économique et de meilleurs résultats en matière de santé et d’éducation.

Vous pouvez appuyer le renforcement du pouvoir économique des femmes, mais tous les programmes dans le monde ne changeront rien si les femmes ne participent pas vraiment à l’économie, parce qu’elles n’ont pas accès à des services de garderie ou qu’elles ne contrôlent pas leurs options en matière de reproduction. Et oui, cela comprend l’accès à un avortement sécuritaire et légal.

L’ACDI s’est fait connaître dans le monde entier pour son engagement à l’égard des droits des femmes. En 1976, elle a lancé les premières lignes directrices de l’Intégration de la femme dans le développement et, en 1999, l’ACDI a lancé la Politique en matière d’égalité entre les sexes. Depuis 2017, nous avons réaffirmé l’engagement total du Canada envers les droits des femmes à l’échelle mondiale. C’est particulièrement stimulant en 2020.

Cette année marque le 25e anniversaire de la Conférence sur l’égalité entre les sexes de Beijing et le 20e anniversaire de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les droits des femmes, la paix et la sécurité.

Malheureusement, les droits des femmes et les droits de la personne sont encore gravement bafoués dans le monde entier. Nous assistons à une augmentation des attaques contre les défenseurs des droits de la personne, les militants pour les droits des femmes et des personnes LGBTQ [lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et queers], les journalistes et les mouvements prodémocratie. Malgré cela, je n’ai pas l’intention de ralentir notre engagement à l’égard des droits de la personne et des droits des femmes. Parce que, comme Hillary Rodham Clinton l’a dit à Beijing, « les droits des femmes sont des droits de la personne ».

Comme vous le savez tous, le monde a changé au cours des 25 dernières années, et encore plus au cours des 50 dernières années. Notre façon de faire du développement a également changé. Le Canada doit rattraper son retard et, encore une fois, être un chef de file novateur et avant-gardiste qui fait du développement de la bonne façon.

Toutefois, la première étape de l’élaboration de la Politique d’aide internationale féministe a été d’accepter ce qui se passait réellement.

Moins de 3 % de l’aide internationale du Canada ciblait en particulier l’égalité des genres, près de 30 % de nos programmes ne tenaient pas compte de la dimension du genre et nous avons dépensé des sommes que l’on pourrait gracieusement qualifier de symboliques pour appuyer les organisations de défense des droits des femmes dans les pays du Sud.

C’est ce que nous avons voulu changer. La Politique nous donne le cadre pour le faire.

Une autre innovation intéressante est le Fonds pour l’égalité. Ce collectif composé du gouvernement du Canada et d’organisations féministes mobilisera plus d’un milliard de dollars en investissements philanthropiques sensibles au genre afin d’offrir un financement prévisible et fiable aux organisations de défense des droits des femmes partout dans le monde.

Jusqu’à présent, moins de 1 % de l’aide publique au développement à l’échelle mondiale atteignait les organisations de défense des droits des femmes. Le Canada change cela en aidant à construire l’espace civique qui permet la construction de nouvelles structures habilitantes.

Malheureusement, la triste réalité, c’est qu’on tente de plus en plus fréquemment de réduire les progrès réalisés en matière de droits des femmes et d’égalité des genres.

Par conséquent, il nous incombe à tous d’aider à protéger les progrès que nous avons réalisés et de faire ce que nous pouvons pour contribuer à l’autonomisation et à l’avancement des voix qui ont été traditionnellement marginalisées.

Pour y arriver, j’ai besoin de votre aide. C’est bien beau de s’asseoir ici et de discuter des mérites et des vertus de l’internationalisme libéral et des raisons pour lesquelles le Canada doit absolument rester engagé envers nos institutions internationales, notre ordre fondé sur des règles et notre contribution à la réponse aux crises mondiales, qu’elles soient d’origine humaine ou autre. Nous devons toutefois convaincre les Canadiens qu’il s’agit également de la bonne chose à faire. Le populisme, l’isolationnisme et l’individualisme frappent à notre porte et ces enjeux ne peuvent pas être laissés au gouvernement seul.

Prenons l’exemple du rôle crucial que la société civile a joué pour amener les gouvernements à interdire les mines antipersonnel. C’est pourquoi nous croyons fermement qu’il faut appuyer les organisations de la société civile et collaborer avec elles.

Je pense au rôle de chef de file crucial que le Canada a joué dans la conclusion du Pacte mondial pour les migrations — une réalisation dont nous devrions être incroyablement fiers. Le Canada est un chef de file mondial en matière de politiques sur les migrations et les réfugiés, avec la création du Conseil mondial pour les réfugiés, dirigé par Lloyd Axworthy. Le Canada soutient également la promotion d’un nouveau discours sur la question des migrants et des réfugiés dans le monde. 

Au Canada, nous continuons de nous pencher sur ces questions difficiles qui auront une incidence réelle et tangible sur la vie quotidienne des gens. Il y a deux choses que le gouvernement a accomplies au cours du dernier mandat qui m’ont semblé exceptionnellement audacieuses, courageuses et incroyablement canadiennes.

Le soutien indéfectible que le Canada a offert aux Casques blancs en Syrie et le travail subséquent pour en faire venir un grand nombre ici, ainsi que le travail discret du gouvernement du Canada pour faire venir des militants LGBTQ au pays comme réfugiés.

Le Canada l’a fait parce que c’était la bonne chose à faire, parce que nous vivons selon nos valeurs et que nous sommes des chefs de file dans des dossiers que d’autres pays ne veulent pas traiter.

En tant qu’internationaliste libérale et féministe, je suis fière que le Canada soit maintenant un des principaux donateurs à l’échelle mondiale pour l’égalité des genres et les organisations de défense des droits des femmes, et le principal donateur mondial pour la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes. Toutefois, vous tous experts en politique étrangère ici présents, je vous demande de considérer ces réalisations comme des réalisations de la politique étrangère du Canada.

Alors qu’il y va de l’avenir du Canada et de sa capacité de jouer un rôle sur la scène internationale, nous devons continuer d’être à l’avant-garde de la promotion des droits de la personne, du maintien de la justice et de la défense de la démocratie. Nous devons contribuer à relever les défis mondiaux qui se profilent à l’horizon, en particulier en ce qui concerne les changements climatiques et la protection de notre environnement, et continuer de travailler à la défense des migrants et des réfugiés dans le monde entier.

Les besoins humanitaires sont énormes, et nous continuerons de soutenir les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables. Nous le ferons, guidés par notre Politique d’aide internationale féministe. Nous nous assurerons qu’elle est ancrée dans les droits de la personne et l’égalité des genres.

Nous vivons dans une époque complexe, cela va sans dire. À mon humble avis, cela signifie simplement que nous devons continuer de bâtir un monde plus juste, plus pacifique et plus prospère à notre façon bien canadienne, tout en nous adaptant à un environnement en mutation.

J’espère que nous pouvons compter sur vous non seulement pour contester, remettre en question et nous pousser à être meilleurs, mais également pour être à nos côtés lorsque nos valeurs et notre engagement envers l’internationalisme libéral et l’ordre international fondé sur des règles devront être défendus.

Merci.

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